Introduction

Dans la ville de Béjaïa et sa région côtière orientale, la lithologie, la tectonique et son évolution durant l’ère quaternaire, la déformation qui se poursuit actuellement, ponctuée par une forte sismicité, la morphologie et les conditions climatiques favorisent le déclenchement et la réactivation de mouvements gravitaires. Ces phénomènes s’exercent de façon très active dans des versants de fortes pentes et des terrains meubles ou intensément fracturés. L’aléa mouvement de terrain est considéré comme l’une des principales sources de risques pour les citoyens, l’aménagement et les activités économiques dans la région en raison de la combinaison des différents facteurs géologique, géomorphologique et climatique (Boullé et al. 1997; Crozier and Glade 2005; Walstra et al. 2007; Mansour et al. 2011). Au cours de ces dernières années, les pluies torrentielles et la forte activité sismique dans la région a accéléré l’apparition de ces mouvements et la réactivation de certains glissements anciens. Le meilleur exemple est la réactivation d’un ancien glissement de terrain le 20 mars 2006 dans la région de Laâlam sous l’effet d’un séisme modéré (Machane et al. 2008; Guemache Mehdi et al. 2009). Pour une meilleure localisation et cartographie des mouvements gravitaires récents et anciens, nous avons utilisé des photographies aériennes à haute résolution et des images satellitaires. Cette cartographie a été ensuite vérifiée sur le terrain. Au total 175 mouvements gravitaires ont été contrôlés lors de ces missions sur le terrain (à pied). Les plus importants ont fait l’objet d’un suivi par cartographie et observation directe après des périodes pluvieuses ou un séisme, pendant cinq ans (2011–2016). 34 phénomènes de type éboulement-écroulement, 97 de type glissement de terrain et 16 de type coulée boueuse ont été identifiés. L’instabilité des versants est liée à des facteurs naturels et anthropiques (Durville and Sève 1996). D’autre part, plusieurs auteurs (Slosson et al. 1962; Azimi and Desvareux 1996; Picarelli et al. 2004) regroupent ces facteurs en deux groupes passifs et actifs. A partir des travaux de cartographie, d’observations sur terrain et l’analyze effectués dans les différents mouvements, nous avons classé les facteurs qui ont contribué au déclenchement et à l’apparition de ces mouvements en deux grandes familles: les conditions permanentes et les facteurs d’intensité variable dans le temps.

Les photographies de la Fig. 1 montrent quelques mouvements gravitaires anciens, tandis que les photographies de la Fig. 2 montrent quelques glissements de terrain à l’est de la région de Béjaïa provoqués par les fortes pluies de janvier 2015.

Fig. 1
figure 1

Exemples d’anciens mouvements gravitaires à l’Ouest de la zone d’étude

Fig. 2
figure 2

Exemples de quelques glissements à l’Est de la zone d’étude

Les effets induits par le séisme de Kherrata en 1949 sont bien décrits par Rothe (1950), ses traces sont bien visibles à ce jour sur le flanc nord de Djebel Takoucht (Fig. 3a).

Fig. 3
figure 3

a. Photographies panoramique et aérienne du glissement de Djebel Takoucht déclenché par le séisme de Kherrata en 1949. b. Glissement dans la région de Laâlam provoqué par le séisme de 2006 (Mw = 5.6). (Bouhadad et al. 2010). c. Chute de bloc sur la RN 43 provoqué par le séisme de Laâlam

La Fig. 3b montre quelques effets induits par le séisme de Laâlam en 2006. Ils sont représentés par la réactivation d’un ancien glissement dans la région de Laâlam (Bouhadad et al. 2010; Machane 2009), et des chutes de blocs (Fig. 3c) dans les falaises calcaires du massif Djemaa N’sia (Melbou, Béjaïa).

La distribution spatiale des mouvements gravitaires localisés et vérifiés sur le terrain est représentée sur la Fig. 4. Cette carte réalisée selon une méthode prouvée (Harp et al. 2011) est extrêmement représentative de la réalité. Elle illustre la répartition spatiale de ces types de phénomènes dans les différentes formations géologiques. L’objectif de ce présent article est d’exposer une caractérisation et une classification des différents facteurs qui interagissent dans le déclenchement des mouvements gravitaires dans la ville de Béjaïa et sa région côtière orientale.

Fig. 4
figure 4

Carte géologique de ville de Béjaïa et sa région côtière orientale et localisation des mouvements gravitaires

Cadre géographique et géologique

Le golfe du Béjaïa est situé sous la latitude 36°46′ Nord et compris entre 5°02′ et 5°36’de longitude Est (Fig. 4). Il est situé approximativement dans la partie centrale de la façade méditerranéenne.

Il se développe d’Ouest en Est entre le Cap Carbon et le Kef Ziama. La région qui fait l’objet de la présente étude fait partie de ce golfe. Elle est située dans la chaîne des Babors qui fait partie des zones externes (Durand-Delga 1971; Vila 1980; Obert 1984). Cette chaîne s’étend depuis la vallée de la Soummam à l’Est d’Akbou jusqu’au massif de la Petite Kabylie au méridien de Jijel à l’est. Elle couvre d’Est en Ouest, la partie nord de l’ensemble constitué par les unités suivantes: Brek-Gouraya, Barbacha, massifs éruptifs d’Oued Amizour et le domaine des flyschs (flyschs massyliens, mauritaniens et numidiens). Les Babors sont affectés par des failles orientées NE-SW, décrochantes, de jeu senestre et à vergence Ouest. (Rothe 1950; Leikine 1971; Obert 1981; Meghraoui 1988; Harbi et al. 1999; Machane 2009). Il existe des failles actives qui sont responsables d’importants séismes (Rothe 1950; Meghraoui 1988; Mokrane et al. 1994; Benouar 1994). La série stratigraphique des Babors débute par le Trias. Il est de nature argilo-évaporitique, marno-gypseuse et gréseuse. Il jalonne la base des unités baboriennes, connue dans les unités de Brek-Gouraya et de Barbacha (Leikine 1971; Coutelle 1982; Obert 1984; Hassissene 1989). Le Jurassique est essentiellement constitué de formations calcaires et dolomitiques (unité de Brek-Gouraya et de Barbacha) avec des niveaux conglomératiques (uniquement dans l’unité de Brek-Gouraya). Les dépôts crétacés affleurent très largement dans les Babors. Ils se répartissent en deux ensembles lithologiques: les formations pélitiques et marneuses appelées « faciès tellien » et les formations schisto-gréseuses. Ces dépôts sont bien représentés dans l’unité Barbacha. Le Paléogène est développé surtout dans la partie méridionale, où le Paléocène est marno-pélitique et l’Eocène calcaire puis marneux. Le Néogène est composé par plusieurs faciès: calcaire, grès, conglomérat et argile. Le Pliocène marin est formé de marnes bleues qui se développent sur près de 15 km à la faveur de la dépression occupée actuellement par la Soummam (Glaçon 1967, 1971) et le Pliocène continental est constitué par des affleurements de brèches consolidées à très gros éléments de calcaire jurassique, signalées par Leikine (1971) et Hassissene (1989).

Tectonique

Le domaine tellien des Babors est constitué d’unités charriées, préalablement plissées et écaillées. La région côtière de Béjaïa est composée de deux unités qui se différencient chacune par sa stratigraphie et son histoire tectonique. Cet édifice structural complexe est composé de:

  • L’unité de Breck-Gouraya, la plus déformée de tout le domaine. Cette unité est caractérisée par des plis importants déversés et couchés vers le nord. D’après Obert (1984), les plis sont affectés par des cisaillements liés au jeu d’un accident décrochant sénestre.

  • L’unité de Barbacha couvrant la plus grande partie de la zone d’étude. Elle chevauche directement vers le SE, l’unité des Beni Djemati- Beni Ourtilan. Elle constitue un arc dont l’ax méridien passe par l’extrémité occidentale du Draa el Haouch et dont la concavité est tournée approximativement vers le nord. (Leikine 1971).

D’après Leikine 1971, repris et cartographié par Obert (1984), les Babors sont affectés par un accident majeur orienté NE-SW, coulissant, très certainement récent (post-langhien) ou réactivé. Obert (1981) leur associe un âge beaucoup plus ancien (Jurassique), et une réactivation durant les phases alpines ultérieures, voire les phases néotectoniques. Coutelle (1982) a montré que la tectonique récente dans la région des Babors est marquée par un important réseau de failles verticales, dont il semble que les tremblements de terre locaux soient la continuation actuelle. Meghraoui (1988), a montré que, dans la région, plusieurs traits du paysage liés à la relation entre néo-tectonique et géomorphologie ont été constatés. Hassissene (1989) a défini une phase intrapliocène, voire pléistocène à actuelle, marquée par une famille de failles verticales N-S à NNE-SSW (de direction N010°E-N025°E) et des décrochements E-W dextres, NE-SW sénestres et NNW-SSE à NW-SE dextres. D’après Domzig (2006), le Nord de l’Algérie a bien subi des déformations durant les temps géologiques récents. La géomorphologie des zones actives peut ainsi montrer des traces de l’activité tectonique récente.

Cause des mouvements gravitaires

Les facteurs les plus importants qui influent sur la stabilité des versants dans la ville de Béjaïa et sa région côtière orientale sont de plusieurs types. Les mouvements cartographiés sont liés aux conditions défavorables permanentes et à des facteurs déclenchant classés comme causes d’instabilité des versants (Durville and Sève 1996; Slosson et al. 1962; Azimi and Desvareux 1996; Picarelli et al. 2004). Ces facteurs sont regroupés en deux grandes classes:

  1. A)

    Conditions permanentes (facteurs passifs)

Ils sont en relation directe avec la morphologie, la géologie et l’hydrogéologie des versants instables. Cette catégorie de facteur est décrite à partir des observations de terrain et une synthèse à partir des mouvements cartographiés. Ces facteurs résume par:

  1. a-

    La nature lithologique des formations géologiques affleurantes

Le facteur le plus important dans le déclenchement et la distribution des mouvements gravitaires est la nature lithologique des formations géologiques (Fig. 4). Le tableau suivant présente les différentes formations géologiques (cartes géologiques du Ziama, Amizour et Béjaïa, 1/50000), au sein desquelles les mouvements gravitaires ont été identifiés.

Les histogrammes de la Fig. 5 montrent que la distribution des mouvements gravitaires en fonction de la nature lithologique des formations affleurantes est hétérogène. Les événements les plus nombreux sont enregistrés dans les formations du Trias (t), du Jurassique (I4, I3–1) et du Crétacé (CI-V, C7-p, C8–7) (Table 1, Fig. 5).

Table 1 Description des formations géologiques rencontrées dans la zone d’étude

On observe un grand nombre de glissements dans les marnes du Crétacé C8–7 et d’éboulements dans les calcaires jurassiques I3–1.

Les tableaux suivants présentent une synthèse des caractéristiques géomécaniques générales des principales lithologies marquées par un nombre important de mouvements gravitaires. Ces données proviennent des différentes études réalisées sur des glissements et éboulement-écroulement localisés dans chaque formation géologique (Hallal 2015). L’indice de fracturation RQD (Rock Quality Désignation, Deere 1963) (Table 3) traduit l’intensité de la fracturation et la qualité du massif dans plusieurs sites d’éboulement-écroulement dans la région. Il est déterminé à partir des observations et mesures effectuées sur des échantillons récupérés à partir des sondages carottés réalisés dans les massifs rocheux (I4, I3–1). Ces derniers montrent des qualités différentes: très mauvaise, mauvaise et bonne.

En synthèse, les caractéristiques présentées dans les deux tableaux 2 et 3 montrent que:

  • Les glissements de terrains enregistrés dans la ville du Béjaïa et sa région côtière orientale sont en relation directe avec la nature lithologique. Les formations argileuses et marneuses, relativement peu perméables, sont sensibles à la présence d’eau.

  • Les phénomènes « chute de bloc » et « éboulement-écroulement » sont localisés dans des talus calcaires caractérisés par une matrice faiblement résistante et moyennement raide avec une qualité du massif très hétérogène (avec des indices RQD pouvant être compris entre 20% et 80%).

  1. b-

    La disposition des formations lithologiques

Table 2 Données géomécaniques générales des faciès affectées par les glissements de terrain
Table 3 Synthèse des caractéristiques géomécaniques des calcaires
Table 4 Répartition de la population et nombre de mouvement gravitaire par commune

L’agencement structural des terrains en profondeur joue un rôle important dans le déclenchement des mouvements de terrain. A partir des observations effectuées sur le terrain, nous avons constaté que la surface de rupture de la plupart des glissements cartographiés est située dans une seule formation géologique. Pour certains glissements, la surface de rupture correspond aux plans de stratification. Pour les éboulements – écroulements, le déclenchement s’effectue suivant la conjugaison des plans de trois familles de fractures ou de deux familles de fractures plus un plan de stratification (Hallal et al. 2013; Hallal and Bougdal 2014).

  1. c-

    La fracturation des massifs

Les massifs rocheux qui forment des caps vers la mer au Nord et une barrière au Sud de la région côtière de Béjaïa font partie de la chaine des Babors (Fig. 6). Ils sont connus par une forte fracturation due aux différents épisodes tectoniques qui ont affecté la région. Les relevés de fracturation effectués dans les massifs calcaires de Cap Aokas (Fig. 7) et Djebel Djemaa N’sia ont révélé la présence de deux réseaux de fractures orientés grossièrement NE-SW et NW- SE (Hallal et al. 2013; Hallal and Bougdal 2015), responsables d’instabilités.

  1. d-

    La morphologie

Fig. 5
figure 5

Distribution des mouvements gravitaires en fonction des formations géologiques affleurantes

La zone côtière de Béjaïa est marquée par forts reliefs plongeant dans la mer (Fig. 6). Dans de nombreux cas, la stratification est de direction et de pendage défavorables à la stabilité (conforme à la pente), ce qui peut expliquer en partie la plus forte densité des mouvements de terrain recensés au niveau des versants côtiers.

  1. e-

    Altitude des mouvements gravitaires

L’altitude des mouvements gravitaires recensés est comprise entre 0 m et 840 m, ce qui implique une grande diversité des conditions climatiques, depuis des conditions méditerranéennes au niveau de la côte de la basse-vallée de la Soummam jusqu’à des conditions plus montagnardes en altitude. Les glissements de terrain sont localisés à partir de 430 m pour les formations C3–1 et CI-III et entre 0 m et 620 m pour la formation C8–7. Pour les éboulements et les chutes de pierres, les mouvements cartographiés dans les calcaires marneux (I4) sont situé à partir de 680 m d’altitude. Dans les autres formations (I3–1, C7-P, M et R.V), ces mouvements sont situés entre 0 m et 800 m. L’altitude d’un site instable (Fig. 8) est un facteur contrôlant la puissance érosive des agents naturels, l’état d’altération des terrains, les précipitations sous forme de neige et leur fonte parfois brutale, les alternances de gel et de dégel et la possibilité d’amplification des ondes sismiques par des effets de site.

  1. f-

    Pentes des versants

Les reliefs les plus escarpés se situent au Sud et à l’Est de la région de Béjaïa. Ces deux zones sont marquées par une densité importante de mouvements gravitaires. La figure suivante (Fig. 9) montre une bonne correlation entre le nombre de mouvements gravitaires et la pente.

  1. g-

    Orientations des pentes

Les mouvements gravitaires dans la région d’étude sont localisés sur des versants de pentes moyennes à fortes et de diverses orientations. La figure suivante (Fig. 10) montre que les versants à regards N, W et NW sont marqués par un nombre plus important de mouvements gravitaires. Ce résultat est à mettre en relation, d’une part, avec la tectonique de la région (failles actives, subverticales ou inclinées, orientées globalement NE-SW) d’autre part avec des phénomènes climatiques (exposition de ces versants aux actions érosives de la mer Méditerranée et aux pluies).

  1. h-

    Hydrologie des versants instables

Les écoulements des eaux en surface sont orientés globalement vers le N et NW en direction des versants marqués par des glissements de terrain. Les formations sensibles aux glissements de terrain sont généralement hétérogènes d’un point de vue lithologique, présentent des épaisseurs variables et sont relativement peu perméables. Plusieurs sources ont été observées à proximité des glissements de terrain recensés. Lors des périodes de fortes pluies, le débit de ces sources est très important. Elles traduisent donc l’existence de circulations d’eau préférentielles dans les versants, alimentées par les apports d’eau au sol et pouvant être à l’origine d’instabilités de pente (saturation progressive des terrains, génération de surpressions interstitielles, évolution de glissements superficiels en coulées boueuses (Fig. 11).

  1. i-

    Le couvert végétal

La région littorale de Béjaïa connait aujourd’hui une forte urbanisation stimulée par le développement touristique et industriel. Malgré les efforts des agents forestiers, elle présente encore généralement une couverture végétale clairsemée, qui ne peut donc pas assurer un rôle efficace de protection contre l’érosion externe. Le régime des précipitations limite en effet la formation et le maintien de sols sur des épaisseurs importantes sur les versants. Le développement des ravinements est également important dans les versants dégradés affectés par des glissements de terrain.

  1. B)

    Facteurs d’intensité variable dans le temps (facteurs déclenchants)

La variation de l’intensité de certains facteurs dans le temps a un effet direct sur le déclenchement d’instabilités de versants. Certains sont d’origine naturelle (précipitations, fonte des neiges, séismes), d’autres d’origine anthropique.

  1. a)

    Effet des précipitations

Soumise à un climat de type méditerranéen, la région de Béjaïa est classée parmi les régions les plus pluvieuses d’Algérie avec une hauteur moyenne de précipitations annuelles proche de 900 mm/an. Les précipitations, pour une grande partie sous forme d’orages et de pluies torrentielles, sont concentrées pendant une période très humide s’étalant d’octobre à mars. Les observations effectuées sur le terrain et les exemples des principaux mouvements gravitaires enregistrés ces dernières années (2013, 2014 et 2016) montrent l’existence d’une relation étroite entre la pluviométrie, le développement, le déclenchement et la distribution des mouvements gravitaires (Fig. 12). En janvier 2013, mars 2014 et février 2016, les fortes précipitations enregistrées ont provoqué des coulées boueuses (Fig. 11) et la réactivation de quelques anciens glissements.

La nuit du 13 mars 2016 a été catastrophique, les fortes précipitations ont provoqué l’éboulement de deux blocs rocheux de nature calcaire, qui ont détruit deux habitations au cours de leur propagation dans le versant (Fig. 13).

  1. b)

    La fonte des neiges

Les hauteurs des massifs montagneux qui bordent la région de Béjaïa sont constituées de calcaires fissurés et sont recouvertes de neige pendant la saison hivernale. La circulation et l’infiltration des eaux dues à la fonte des neiges, qui peut être brutale, sont assurées par des réseaux karstiques. Les Figs. 5 et 8 montrent que l’aléa « éboulement rocheux » est très répandu à des altitudes comprises entre 500 m et 850 m, concernées par la neige pendant la période d’hiver. L’effet de gel-dégel (notamment le nombre de cycles de gel-dégel dans un intervalle de temps très court) joue un rôle important dans la dégradation des massifs rocheux. Les glissements de terrain sont situés au pied de ces montagnes. L’eau résultant de la fonte des neiges alimente les nappes et circulations d’eau superficielles dans les versants et assure la saturation progressive des formations géologiques sensibles à l’eau rendant ainsi possibles les mouvements de fluage et la réactivation des glissements.

  1. c)

    Effet des séismes

Fig. 6
figure 6

Carte de relief de la ville de Béjaïa et sa région côtière orientale

La région de Béjaïa a connu dans le passé de nombreux séismes modérés à forts, de magnitude Mw relativement élevée (Jusqu’à 7) et d’intensité maximale pouvant atteindre X. Les meilleurs exemples des mouvements gravitaires provoqués par un séisme sont l’éboulement et le glissement de Laâlam (Machane et al. 2008; Bouhadad et al. 2010) présentés sur la Fig. 14. Récemment, plusieurs études ont abordé les phénomènes des mouvements gravitaires déclenchés après un fort séisme, (Huang et al. 2013), (Zhou et al. 2014) et (Koukouvelas et al. 2015). La multiplicité des événements enregistrés, combinée à la sismicité historique régionale, donne un aperçu sur la récurrence de ce phénomène. Deux couloirs ont été définis: le premier est de même orientation que le réseau de failles actives lié au séisme de Kherrata (1949) et le second est de même direction que la vallée de la Soummam (Meghraoui 1988). La distribution spatiale des mouvements gravitaires sur la carte géologique de la Fig. 4 est hétérogène, avec une plus forte concentration dans la partie orientale, où la densité d’évènements est la plus forte à l’intersection entre deux couloirs de failles actives définis par Meghraoui (1988).

Le nombre des épicentres des séismes localisés dans chaque formation géologique durant la période 1900–2014 a été comparé à celui des mouvements gravitaires localisés dans la même formation. Les résultats sont présentés dans la Fig. 15 ci-après.

La Fig. 15 montre que:

  • le nombre des épicentres des séismes et les mouvements gravitaires sont plus importants dans les deux formations géologiques du Jurassique (calcaires du Lias) et du Crétacé (schistes et marno-calcaires du Sénonien) (Table 1).

  • dans les deux formations du Trias (t) et du Néocomien (CI-V), le nombre de mouvements gravitaires est relativement élevé comparativement au nombre d’épicentres localisés dans ces terrains.

  • La distribution des mouvements gravitaires dans la zone côtière de Béjaïa est guidée par le relief et la nature lithologique des formations affleurantes combinés à la localisation des épicentres des séismes.

  1. d)

    Effet de la houle

Les côtes du golfe de Béjaïa, entre le cap Carbon et le cap de Ziama Mansouria sont en constante évolution (Figs. 4 et 6), sous l’action du vent, des courants, de la marée et surtout de la houle (Fig. 16). D’après Paskoff 1998, à l’échelle de la planète, 70% des côtes reculent et 10% seulement avancent. Sunamura 1992; Stephenson and Kirk 2000; Trenhaile 2000; Brossard and Duperret 2004 ont montré que les falaises et les versants qui bordent la mer adoptent une dynamique régressive face aux agents d’érosion, principalement la houle. Elle se manifeste par des mécanismes d’effondrement ou de glissement d’une ou plusieurs de leurs parties (Brossard and Duperret 2004; Young and Ashford 2008; Wolters 2008).

Fig. 7
figure 7

Coupe géologique (AB, Fig. 4) orientée N-S dans l’unité de Barbacha

Fig. 8
figure 8

Altitude des mouvements gravitaires localisés dans chaque formation géologique

Fig. 9
figure 9

Corrélation entre le nombre des mouvements gravitaires et le gradient de la pente

Fig. 10
figure 10

Nombre de mouvements gravitaires en fonction de l’orientation de la pente dans la région d’étude

Fig. 11
figure 11

Coulée boueuse provoquée par les pluies torrentielles en janvier 2013

Fig. 12
figure 12

Carte pluviométrique de la région côtière de Béjaïa et la répartition des mouvements gravitaires

Fig. 13
figure 13

Destruction de deux habitations par l’éboulement de mars 2016 à Tizi N’Berbère (Béjaïa)

Fig. 14
figure 14

Sismicité instrumentale et historique et effets en surface du séisme de Laâlam en 2006 (Ayadi communication personnelle; CSEM 2004–2014) et failles actives (Meghraoui 1988)

Fig. 15
figure 15

Comparaison entre le nombre des séismes et le nombre des mouvements gravitaires dans chaque formation géologique

Fig. 16
figure 16

Roses de la houle dans la région Est de l’Algérie, L. E. M 1998. Hivernal, état calme de la houle (11,10%). Rose annuelle des houles. Etat calme (15,50%)

Fig. 17
figure 17

Glissement de versants côtiers sous l’effet de l’érosion marine (houle)

Fig. 18
figure 18

Coupes géologique à travers les versants côtiers déstabilisés par l’érosion marine

Fig. 19
figure 19

Cartes d’occupation des sols avec répartition de la population et localisation des mouvements gravitaires importants

Fig. 20
figure 20

Basculement d’une construction récente

Fig. 21
figure 21

Terrassement effectué en aval des constructions

Fig. 22
figure 22

Glissement des versants suit aux travaux de terrassement

Dans le golfe de Béjaïa, l’analyze des photographies aériennes et les observations effectuées sur le terrain montrent que les versants orientés vers le nord et le nord-ouest ont évolué sous l’effet de la houle.

L’impact de la houle sur ces versants, particulièrement lors des épisodes tempétueux de la saison hivernale, est. important; la morphologie des talus aval des versants en témoigne grandement. Au large de la côte béjaouie, les houles en provenance de l’Ouest prédominent avec une fréquence de 40%. En hiver, plus de 80% de ces houles proviennent des secteurs ouest-nord-ouest; elles se caractérisent par des amplitudes moyennes de 2 m à 3 m et atteignent un maximum de 4 m à 6 m (LEM 1998). A la côte, ce sont les houles qui proviennent du Nord-Est qui ont le plus d’impact. Entre le cap Carbon et le cap Aokas, ces houles abordent la côte avec une énergie légèrement atténuée; tandis que dans la partie est du golfe, entre le cap Aokas et le cap Ziama Mansouria, la houle conserve son énergie presque en totalité. Cette partie de la côte a enregistré un nombre important de glissements provoqués par la houle (Figs. 17 et 18).

Durant les années à venir, l’élévation prévisible du niveau de la mer Méditerranée du fait du changement climatique accentuera l’érosion côtière, ce qui impactera par ailleurs fortement les aménagements anthropiques existants. En effet, à l’horizon 2100, le niveau des océans et des mers s’élèvera de plus de 59 cm (IPCC 2007), voire de plus de 1,5 m à 2 m pour les scénarios les plus pessimistes (Strohecker (2008).

Suite à ce relèvement du niveau des eaux marines, la côte du golfe de Béjaïa se verra complément changé suite aux phénomènes d’érosion, de glissement et d’effondrement et avec eux les installations humaines qui y sont présentées.

  1. e)

    Facteurs anthropiques

Les perturbations de l’équilibre naturel initial souvent précaire des versants par actions anthropiques ont déclenché des mouvements gravitaires et contribuent d’une manière directe ou indirecte à la réactivation de certains mouvements anciens.

Le tableau suivant présente la répartition de la population entre les deux secteurs urbain et montagneux, et les types des mouvements gravitaires dans chaque commune.

La Fig. 19 et le tableau 4 montrent que la localisation des mouvements gravitaires recensés est en relation directe avec le mode de peuplement et la répartition spatiale de la population à travers la ville de Béjaïa et sa région côtière orientale.

Les communes de Béjaïa et Tala Hamza urbanisées et densément peuplées sont marquées par un nombre important de mouvements gravitaires. Ces mouvements sont provoqués par:

  • la modification de l’équilibre naturel des pentes par des travaux de terrassement, de construction et d’aménagement (Fig. 20);

  • le talutage en pied et le remblaiement en tête de versants en état de stabilité précaire instables (Fig. 21).

Le tableau 4 montre que les communes côtières de Boukhlifa, Tichy, Aokas, Tizi N’Berber, Souk El Tenine et Melbou sont caractérisées par une population résidant majoritairement dans des villages de montagne et sont également exposés aux mouvements de terrain, parmi les facteurs qui favorisent le déclenchement de ces mouvements, on retrouve:

  • les rejets des eaux usées qui se déversent directement dans les versants et maintiennent la saturation de ces derniers;

  • les travaux d’élargissement des routes et la réalisation de nouvelles pistes entre les villages ont pu perturber l’état d’équilibre des versants (Fig. 22).

Discussion et conclusion

L’interprétation et la synthèse des données recueillies sur le terrain nous permettent de retenir les points essentiels suivants:

  • Les facteurs interagissant dans le déclenchement des mouvements de terrain sont multiples. Ceux liés à la géologie, au climat (régime des précipitations) et à la sismicité régionale sont prépondérants,

  • La plus grande partie du territoire de la zone côtière de Béjaïa est occupée par des terrains sédimentaires: marnes, marnes schisteuses, marno-calcaires du Sénonien, argiles à faciès numidien, calcaires et calcaires dolomitiques du Jurassique et argiles évaporitiques du Trias, ces lithologies sont associées à la majorité des mouvements de terrain recensés,

  • Les glissements de terrain cartographiés présentent en surface des indices morphologiques caractéristiques (souvent typiques de glissements profonds dans des terrains argileux), qui tranchent nettement avec la morphologie plus régulière des portions de versants stables,

  • Les phénomènes d’éboulement-écroulement sont dus principalement aux fractures orientées N25°E à N40°E et N50°E à N85°E avec un pendage vers le N et le NW, Cette fracturation donne naissance à des glissements et des éboulements-écroulements essentiellement vers le Nord et le Nord-Ouest. Ces réseaux de discontinuités ont favorisé par endroits le découpage en quelques dièdres des éperons rocheux qui forment des caps vers la mer,

  • Dans cette région présentant des reliefs escarpés, un séisme de magnitude importante peut réactiver ou déclencher des glissements de terrain et des chutes de blocs par la modification des conditions de l’équilibre naturel initial (forces motrices supplémentaires, élévation des pressions interstitielles), ainsi, un versant à pente abrupte, stable en situation statique, peut se trouver en déséquilibre sous sollicitation dynamique. La répartition des épicentres des séismes suivant deux couloirs de failles actives constitue un facteur défavorable,

  • Les facteurs d’origine anthropique sont également notables dans le déclenchement des mouvements gravitaires, la réalisation des nouvelles constructions en tête des versants, les terrassements à la base ou dans le versant et les défauts de maîtrise des eaux superficielles (rejets des eaux usées, etc.) ont pu contribuer à la déstabilisation de certains versants,

La présente étude permet ainsi d’identifier les secteurs présentant la plus forte prédisposition aux mouvements de terrain, au sein desquels pourront être concentrées les actions visant à réduire la vulnérabilité des enjeux (notamment par une meilleure maîtrise des aménagements et constructions sur pentes ou par la mise au point d’un outil pour anticiper les risques hydrométéorologiques à l’instar du projet RHYTMME en France).