Pour l’ecocriticism, cette discipline qui se penche sur la littérature et, par extension, toutes les expressions artistiques dans leur rapport avec la nature et les problèmes écologiques, la crise environnementale est d’abord une crise de l’imagination. Si les solutions majeures sont à chercher du côté de la politique, de l’économie et de l’éthique, la conversion individuelle à un mode de vie plus durable dépend aussi de « la recherche de meilleures façons d’imaginer la nature et la relation de l’humanité avec elle » (Buell, 1995 : 2).Footnote 1 La littérature est particulièrement apte à immerger le lecteur dans un monde inconnu et à le rapprocher « empathiquement » de ce qui est « autre », que cet autre soit un animal, un végétal, l’habitant indigène d’une culture éloignée peu nuisible à l’environnement ou encore le résident d’une société future qui a bien trouvé les moyens de mettre en place un système économique et politique prospère et durable. C’est avec ce dernier type d’« altérité » qu’Abdelaziz Belkhodja confronte le lecteur dans 2103, le retour de l’éléphant, un roman qui se présente comme science-fictionnel et utopique – non pas situé, comme le suggèrent d’habitude ces deux modes romanesques, à une époque lointaine et dans un lieu méconnaissable, et, partant, inconnu, mais localisé en Tunisie à environ 80 ans de notre époque. Par cet ancrage concret et détaillé, l’auteur invite implicitement le lecteur à comparer la réalité décrite non seulement à l’état du monde actuel, mais aussi à sa propre vie. Cette comparaison se révèle d’autant plus pressante que l’utopie affiche le monde alternatif comme « meilleur », alors que la science-fiction le présente comme « réalisable ». Du moins pour ceux qui adhèrent à la position de Darko Suvin, selon lequel la science-fiction doit offrir une vision concrète d’un monde possible et cohérent, basée sur des connaissances scientifiques qui assurent la faisabilité du projet. Rejetant toute littérature qui intègre des éléments fantastiques, il exige des visions du monde utopiques qu’elles soient non seulement conceptuellement mais aussi matériellement réalisables – la fiction se mue alors en un dépositoire d’informations et de possibilités cognitives pour mettre en avant des utopies « rationnelles ».

Si le genre science-fictionnel et le mode utopique permettent en effet à Belkhodja de proposer une vision écologique de l’avenir particulièrement attrayante, où, comme nous allons le montrer, un certain nombre de champs de tension actuels liés à la protection de la nature sont résolus, c’est avant tout le jeu, voire le bouleversement, des conventions traditionnelles de la science-fiction qui révèlent la véritable solution exposée dans le roman : un retour aux valeurs du passé et, dans une perspective métalittéraire, une revalorisation du rôle de la littérature dans la société.

Oppositions

Dans toute œuvre fictionnelle, le lecteur est invité à découvrir une autre « réalité », que celle-ci se rapproche fortement du monde connu dans des textes dotés d’un haut degré de référentialité ou qu’elle s’éloigne fondamentalement des repères spatiaux, temporels ou ontologiques ordinaires, comme dans des ouvrages fantastiques. Même si dans 2103, le retour de l’éléphant les événements décrits se situent dans des villes tunisiennes bien reconnaissables et que les inventions scientifiques qui ont donné lieu à une société high-tech semblent suffisamment concrètes et réalisables pour ne pas plonger le lecteur dans un univers irréel ou tout à fait parallèle, l’effet d’aliénation et la distanciation cognitive propres au genre science-fictionnel sont renforcés par la construction narrative du roman. Le lecteur suit les découvertes du protagoniste John, un Américain venu en République de Carthage pour y étudier – du moins, c’est ce qu’il veut faire croire à ses hôtes tunisiens : il s’avère être un espion pour les services secrets des États-Unis, qui en 2103 se révèlent être un pays bien moins développé que la région maghrébine. Sans toutefois adopter la posture du naïf – stratégie narrative servant d’abord à exposer les défauts de la société à découvrir, comme dans les exemples fondateurs du Candide de Voltaire et des Lettres persanes de Montesquieu, qui exploitent à fond l’ironie verbale (Schoentjes, 2001 : 87, 99) – le protagoniste scrute avec émerveillement et sans aucune connaissance préalable les réalisations d’une société entièrement verte et économiquement et politiquement prospère. Toutefois, le caractère utopique du monde exploré n’est pas sans encourager le lecteur, qui suit John dans son périple, à réfléchir, à l’instar du héros, aux problèmes qui hantent sa propre société et à l’état du monde actuel.

Ainsi, pour le protagoniste américain comme pour le lecteur de la première moitié du XXIe siècle il est saisissant de voir certains paradoxes, tensions et dualismes de la préservation de l’environnement résolus grâce à une réforme simple de la structure économique du pays. Depuis la naissance du mouvement écologiste dans la seconde moitié du XXe siècle, une des critiques les plus véhémentes couramment adressée aux défenseurs des animaux et des végétaux est d’ordre social : comment justifier une lutte en faveur d’êtres et d’organismes depuis toujours considérés comme inférieurs (voire, depuis chez Descartes, comme des machines) dans un monde de famine, de maladies incurables, de génocides, de travail forcé et de prisons totalitaires? Comment encourager des peuples à économiser leurs ressources naturelles et à supporter la présence parfois destructrice d’animaux sauvages quand ils ne sont même pas capables de nourrir leurs propres enfants?Footnote 2 Certains penseurs écologistes comme Peter Singer cherchent à résoudre la contradiction à travers des concepts antispécistes radicaux : la souffrance est un mal à réparer indépendamment de l’espèce de l’être souffrant. Il en résulte non seulement que l’exploitation du monde naturel et la mise à mort d’animaux sont des crimes, mais encore que, selon le principe central de l’antispécisme, aucune souffrance ne peut être plus importante qu’une autre parmi les organismes vivants : « Si un être souffre, il ne peut y avoir de justification morale pour refuser de tenir compte de cette souffrance. Quelle que soit la nature de l’être qui souffre, le principe d’égalité exige que sa souffrance soit prise en compte autant qu’une souffrance similaire – pour autant que des comparaisons grossières soient possibles – de tout autre être. » (Singer, 1991 : 17)

Ce postulat qui consiste à effacer toute distinction éthique et juridique entre nature et culture, entre monde naturel et société humaine, risque vite de qualifier la souffrance des habitants du tiers-monde comme un phénomène naturelFootnote 3, mais, paradoxalement, pourrait également mener à une justification de l’industrie toxique de l’Occident comme le résultat d’une évolution tout aussi naturelle (Bartosch, 2013 : 36).

Pour les écologistes sociaux, par contre, il faut considérer les sociétés et leurs environnements comme des systèmes non pas identiques ni égaux mais « biophysiquement liés »Footnote 4. Ce rapport dialectique entre nature et monde social permet d’instaurer des distinctions géographiques basées sur le degré de développement des pays et, par la même occasion, sur le type de valeur accordé au monde naturel. Ainsi, Ramachandra Guha et Juan Martínez-Alier distinguent un environnementalisme du premier monde et un environnementalisme des pauvres. Le premier, lié à des valeurs postmatérialistes, n’est possible qu’une fois que les sociétés ont atteint un certain niveau d’opulence et se révèle aussi motivé par des aspirations esthétiques, alors que le deuxième est lié à l’assouvissement de besoins essentiels, comme la lutte contre la pollution d’eau potable (Guha & Martínez-Allier, 1997 : 16–21). C’est à cet « environmentalism of the poor » que réfère Rob Nixon (2011) lorsqu’il décrit les soucis écologiques des pays du tiers-monde, qui se voient non seulement imposer des mesures environnementales aussi sévères que les pays superpollueurs, mais qui souffrent aussi le plus des désastres écologiques dont ils ne sont pas responsables. Pensez par exemple aux grandes décharges électroniques en Afrique subsaharienne, où des pays occidentaux continuent à déverser leurs déchets sous prétexte qu’il s’agit d’appareils « d’occasion »Footnote 5. Si la discipline de l’écocritique a essayé d’intégrer la dimension sociale en se concentrant davantage sur les représentations artistiques de la ville et d’espaces dégradés que sur celles d’une nature vierge et sauvage tout à fait exempte d’êtres humainsFootnote 6, ce n’est que récemment, avec la naissance de la « postcolonial ecocriticism »Footnote 7, qu’elle prend en compte la question de la « justice environnementale ». En reliant la problématique écologique à l’histoire coloniale et postcoloniale, l’écocritique s’intéresse désormais aussi à la façon dont les écrivains intègrent dans leurs œuvres de fiction les rapports de force économiques et la fracture Nord-Sud.

Dans 2103, le retour de l’éléphant (2005)Footnote 8, le dualisme entre écologie sociale et écologie profonde (« deep ecology ») a disparu grâce à la mise en place d’un système économique à première vue contradictoire, mais non moins efficace : d’une part, la « mécanisation verte » de la société, rendue possible grâce à la production à faible coût de cellules photovoltaïques, d’autre part, la réduction du chômage qui en résulterait par la création de « métiers de contact ». En créant des postes pour accompagner physiquement les services électroniques et automatiques, ces métiers permettent à la fois de démocratiser les réalisations du progrès technique par l’amélioration du niveau de vie de personnes défavorisées, et de combattre la déshumanisation globale de la société, car « n’avoir affaire qu’à des machines, comme avant, c’est déplorablement sous-dév’! » (RE : 24). Ainsi, la société utopique de Belkhodja remédie au cataclysme prophétisé par les auteurs français et francophones des années 1970 qui, optant souvent pour un registre catastrophique, mettent en scène des villes cauchemardesques où l’être humain est devenu un étranger parmi les nombreuses machines à intelligence artificielle opérant de façon entièrement autonome et produisant des ondes invisibles qui font peur par leur caractère insaisissable et ininterrompu. La « pollution mentale » que dénoncent ces œuvres littéraires, dont La Guerre (1970) et Les Géants (1973) de Jean-Marie Gustave Le Clézio constituent sans doute les exemples les plus explicites (Buekens, 2020 : 52–73), révèle combien les proportions hallucinantes des inventions techniques affectent non seulement le monde naturel mais aussi la santé mentale de l’être humain industrialisé. Or, il n’en est rien dans la société utopique de la Grande Carthage, où la conversion écologique de l’industrie et de toutes ses productions a généré suffisamment de prospérité pour résoudre le dilemme éthique entre protection de l’environnement et bien-être public, que celui-ci soit psychologique ou matériel.

Ainsi, l’état du monde (re)présenté dans 2103, le retour de l’éléphant répond aux critères de l’utopie traditionnelle, telle que l’a définie Tom Moylan : « L’utopie nie les contradictions d’un système social en forgeant des visions de ce qui n’est pas encore réalisé, ni en théorie ni en pratique. En générant de telles images d’espoir, l’utopie contribue à l’espace ouvert de l’opposition » (Moylan, 1986 : 1–2)Footnote 9. La neutralisation de ces contradictions est dans ce cas rendue possible par le genre de la science-fiction, qui, contrairement aux autres genres susceptibles de véhiculer une vision utopique comme le conte, le mythe et la fable, vise à ce que le fantastique ne l’emporte jamais sur le caractère réaliste du décor. L’expérience de l’altérité se réalise – et trouve sa forme la plus aboutie – à travers l’immersion dans un monde « cognitivement cohérent avec la nature telle qu’elle est connue ou avec les lois naturelles imaginées dans le texte particulier » (Moylan, 1986 : 33–34)Footnote 10, un univers cohérent où les réalisations scientifiques et technologiques se révèlent révolutionnaires et disruptives, mais ne semblent jamais impossibles. Remarquons que le genre de la science-fiction écologique, qui met en scène un monde futuriste où les réalisations techniques permettent aux habitants de mener une vie durable, contient déjà en soi la neutralisation d’une opposition ancienne, à savoir celle entre science et (défense de la) nature. Pour nombre d’écologistes, c’est précisément le progrès technique, rendu possible par l’avancement scientifique, qui constitue la source d’une série de problèmes majeurs auxquels fait face la société moderne. Entraînant au cours du XXe siècle une industrialisation et une mécanisation rapides et illimitées, il est responsable de l’altération des espaces naturels. Cette dégradation matérielle va de pair avec des classifications et raisonnements abstraits qui ont donné lieu à une réification du monde naturel. Celui-ci devient de plus en plus un objet « inanimé », au sens où toute forme de transcendantalisme et d’animisme assurant le traitement respectueux et la protection sans réserve des éléments naturels se trouve rejetée par le matérialisme scientifique. Il en résulte une « surdémystification réaliste » (Gary, 2005 : 135), pour le dire avec les mots de Romain Gary, une forme aliénante de rationalisme abstrait qui va jusqu’à interdire toute expérience purement intuitive du monde.

En imaginant un monde semblable au nôtre où ce sont précisément les réalisations scientifiques et les inventions techniques qui permettent non seulement de mener une vie la moins préjudiciable possible à l’environnement, mais aussi de résoudre les problèmes écologiques actuels et de restaurer ainsi l’équilibre des écosystèmes terrestres, le genre littéraire de la science-fiction « écotopique » a trouvé les moyens rhétoriques pour proposer, dans un univers futuriste, des solutions aux dualismes inhérents au débat environnemental dans la société actuelle. Or, si 2103, le retour de l’éléphant répond à tous les critères de ce genre littéraire au niveau de la construction narrative comme sur le plan du contenu – un étranger arrive dans une société utopique convertie à un mode de vie écologique grâce à des découvertes scientifiques et des inventions techniques –, les lecteurs restent sur leur faim, qu’ils s’inscrivent dans la lignée de Darko Suvin et cherchent à repérer dans cette œuvre un blueprint pour la réforme de la société actuelle, ou qu’ils apprécient par contre les utopies science-fictionnelles pour leur détachement du monde concret et, par conséquent, pour leur pouvoir onirique.

Des découvertes scientifiques peu novatrices

Comme dans la science-fiction traditionnelle, les réalisations scientifiques mises en lumière dans 2103, le retour de l’éléphant occupent le premier plan du récit et frappent le héros par leur efficacité et leur inventivité. Le monde alternatif imaginé par l’auteur et toutes ses particularités se trouvent au centre de l’attention de la fiction utopique et se présentent essentiellement dans des passages descriptifs – ceci, comme le montre Tom Moylan, au détriment des dialogues et du développement des personnages : « Ce qui dans le roman réaliste serait considéré comme un « simple » décor de fond devient dans l’écriture utopique traditionnelle l’élément clé du texte » (Moylan, 1986 : 36)Footnote 11. Toutefois, quoique décrites en long et en large, les inventions techniques ayant révolutionné la Grande Carthage de l’année 2103 impressionnent peu le lecteur contemporain. Dès la première page, John, en route pour la Tunisie, est subjugué par la « Vision intégrale » incorporée dans un appareil qui permet de zoomer en détail sur les merveilles du monde naturel survolées en avion : « Puis il fait un zoom arrière et le panorama apparaît, dans sa totalité, sur l’écran » (RE : 12), observe l’Américain stupéfait. Comment y voir plus qu’une caméra à haute définition fixée sous l’avion? Il en va de même pour les véhicules, qui constituent un facteur majeur dans la conversion verte de l’économie. Si le caractère « amphibie » de ces engins se propulsant à la fois sur des coussins d’air et dans l’eau est remarquable, le fait qu’ils se déplacent sans bruit ni émanation de gaz (voitures hybrides alimentées par l’énergie solaire), sans intervention d’un conducteur (à la façon d’un véhicule autonome), et qu’ils sont dirigés par la voix des passagers (donc dotés d’un dispositif de commande vocale) (RE : 21–22) n’a rien d’étonnant en ce début du XXIe siècle. Le paiement de l’essence ou de l’énergie solaire se fait sans contact (RE : 24) ; les fenêtres des bâtiments dans la ville sont constituées de miroirs en verre réceptif et changent de couleur selon l’intensité du soleil (RE : 29) ; les restaurants sont équipés de tables à écran tactile (RE : 42) ; la VGV, la vedette à grande vitesse – le jeu de mots ne manque pas de rappeler au souvenir du lecteur le TGV actuel – se révèle être un trimaran « à coque hyperprofilée et recouverte de panneaux solaires » (RE : 58). Ce dernier véhicule se range parmi les autres nouveautés des loisirs aquatiques qui font bien rêver le lecteur de gadgets de haute technologie mais qui ne semblent point relever d’une technologie de pointe encore à inventer : « sous-marins de poche, planches à voiles solaires, bicyclomarines, trottinetteskis, hydrohélinavettes, skis automouvants, hydrojets subaquatiques » (RE : 61).

Il en va de même pour les mesures « d’accompagnement » qui incitent les habitants à se convertir à un mode de vie durable : le tri automatique des ordures ménagères (RE : 22), l’interdiction absolue de jeter des déchets par terre (RE : 22), l’abandon des emballages en plastique et en fer-blanc (RE : 75), le retour à des matières de construction naturelles comme le sable (RE : 77–78), l’obligation de replanter des arbres après l’abattage (RE : 109), le bannissement des voitures particulières dans les villes et le développement des transports publics (RE : 75). Si d’habitude c’est précisément l’écart entre le monde connu du lecteur et l’univers romanesque – toujours reconnaissable mais organisé d’une façon fondamentalement différente aux niveaux politique, économique et social ou pourvu d’inventions techniquement et scientifiquement révolutionnaires –, qui incitent non seulement à se rendre compte des défauts de la société actuelle, mais aussi à réfléchir consciemment à des transformations potentielles susceptibles de la transformer en une utopie proche de celle de l’œuvre fictionnelle, le choc qu’éprouve le lecteur relève ici du fait que « l’altérité » utopique n’est rien d’autre qu’un miroir. Et les reflets de celui-ci ne conduisent pas, comme chez les surréalistes, à une évasion onirique ou à une fusion magnétique avec l’univers (Gracq, 1961 : 147), ni à un amalgame complexe d’images, susceptible d’alimenter l’imagination du lecteur : ce dernier est confronté à un monde, évoqué dans un style presque factuel, dont les sources du bonheur se réduisent à des phénomènes, des initiatives et des inventions qui existent déjà dans la société contemporaine. Faut-il en conclure, non sans étonnement, que nous disposons actuellement de tous les moyens pour passer une fois pour toutes à une vie durable et résoudre les problèmes écologiques?

Comme indiqué ci-dessus, les éléments utopiques du monde fictionnel se laissent découvrir essentiellement dans des passages descriptifs, qui l’emportent sur la psychologie des personnages et sur l’intrigue du récit. Or, nous repérons dans 2103, le retour de l’éléphant un grand nombre de passages qui semblent s’intégrer à la séquence des descriptions neutres, mais qui se révèlent être les pensées des personnages indigènes de la Grande Carthage. Ainsi, l’auteur oppose aux découvertes évoquées dans des descriptions factuelles et suscitant l’émerveillement de l’étranger les réflexions des habitués des lieux, qui sont plus critiques. Lorsque John explore avec empressement le fonctionnement de la Vision intégrale susmentionnée décrite avec force détail et sur un ton neutre par le narrateur extradiégétique, Chedly, son compagnon de route, « exprime » quelques réserves, fût-ce dans des méditations exclusivement accessibles au lecteur :

John se demande ce que cherche Chedly. Celui-ci se concentre sur son écran où il discerne parfaitement les anfractuosités des rochers, les plus petites feuilles des plantes côtières. [.. .] Chedly pense à ce qu’il a cherché sans succès : la fameuse source de la Zaouia qui coulait de la falaise et se déversait directement dans la mer. Alors qu’il était enfant, son père lui disait que cette source avait donné naissance à la mer. Chedly se rappelle encore son étonnement et le rire paternel. Ce rire qui avait la même sonorité joyeuse que l’eau. La source s’était tarie l’année de la mort de son père. (RE : 13)

Par le biais d’une transition habile des anaphores (on peut se demander à qui réfère le « il » de la deuxième phrase), le point de vue passe du héros à un personnage secondaire. Les pensées de celui-ci exposent les points névralgiques de la mécanisation de la société : d’une part, la technologie fait défaut (« sans succès ») quand il s’agit de retrouver des éléments vierges du monde naturel – non réparables par les inventions scientifiques et donc perdus à jamais –, d’autre part, la réflexion introduit dans le récit ce qui reste absent dans les descriptions techniques des réalisations du progrès : les expériences sensorielles ainsi que le plaisir physique et les connaissances intimes du monde naturel auxquelles ces sensations peuvent mener. En outre, le passage nous montre que les explications mythiques de la naissance du monde continuent à jouer un rôle important dans une société essentiellement rationalisée.

Dans d’autres passages, la transition se fait encore plus subtilement par le procédé narratif du discours indirect libre :

Chedly acquiesce, non sans une certaine rancœur car pour lui, cet exode de milliardaires n’est pas source de fierté. Sa région natale avait, certes, retrouvé sa pureté naturelle – l’eau état redevenue aussi claire que lorsqu’il était enfant, les poissons eux-mêmes, menkouss* comprise, avaient reparu – mais les hôtels, les restaurants les plages privées et les villas étaient bien trop nombreux à son goût. De son temps, il y avait moins de murs, plus de sentiers et des centaines de vignobles qui donnaient un raisin à la saveur véritablement divine. Des années de recherche agronomiques n’avaient pas permis de retrouver le goût du fameux muscat de Rafraf. Chedly soupire : la culture intensive et les plants transgéniques ont prévalu. Le monde est ainsi fait : certaines saveurs disparaissent à jamais. Inconstante Dame Nature! (RE : 12)

Si la nature a été restaurée grâce aux efforts de l’industrie et du progrès scientifique – la qualité de l’eau, la diversité des espèces animales –, le mariage entre nature et culture pose problème, non seulement dans une perspective esthétique, mais aussi au niveau de la qualité voire de l’ontologie. Remarquons que la dernière phrase ne peut se lire que d’une façon ironique : les activités agricoles toujours plus intensifiées et la modification génétique n’ont plus rien à voir avec l’évolution naturelle de la planète. Si la substitution de l’appellatif noble « Dame » à la désignation péjorative « marâtre » (on se souvient des plaintes de Du Bellay : « Ô marâtre nature ») désigne à première vue une attitude plus respectueuse envers l’environnement, le changement terminologique implique aussi l’annihilation de l’idée écologique de Gaia comme un corps autorégulateur, comme une force souveraine susceptible de se venger des atteintes causées par l’humanité. C’était précisément pour réfuter cette idée de la planète comme une simple victime, comme un organisme soumis à la bienveillance des hommes, affirmée pendant longtemps par les héritiers de l’humanisme et suggérée ici par la désignation « Dame », que James Lovelock (1995) a mis l’accent sur le dynamisme du monde naturel. Plus récemment, de nombreux penseurs, tels que Bruno Latour (2015), ont développé la conception de la nature en tant qu’entité vivante à travers la notion de « Gaia ». À cela s’ajoute, comme nous l’avions déjà signalé, qu’à aucun moment le roman ne laisse voir une nature vierge ou sauvage : elle est toujours aménagée, « guérie » par les soins de l’être humain, contrôlée par la technique, fût-ce dans un but de préservation et de restauration.

Un retour en arrière

Les « informations », des données d’habitude de nature scientifique et destinées à immerger le lecteur dans la société de pointe, abondent dans le récit, comme on pourrait s’y attendre dans un roman science-fictionnel. Mais le type de « savoir » que Belkhodja a inséré dans la trame narrative et qui éclaire le héros, comme le lecteur, n’est pas de nature technique : il s’agit de données historiques retraçant l’évolution de la société de la Grande Carthage depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Ainsi, la voix off du tour visuel au Musée d’Histoire développe sur une quinzaine de pages (RE : 68–84) les mutations politiques, les progressions économiques et sociales, les progrès médicaux, les crises financières, la décadence culturelle (causée par les nouveaux médias), le développement et la démocratisation de l’enseignement, la crise environnementale et les voies qui ont mené à une existence plus durable (essentiellement le développement de l’énergie solaire), ainsi que le rêve d’une collaboration interafricaine plus étroite. Tout au long de l’exposé, l’Occident se voit accuser un tas de méfaits principalement liés au pillage des ressources naturelles, à une consommation illimitée d’objets de luxe polluants et au commerce mondial de biens et de nourriture au détriment de la petite production locale. En décrivant la faillite de l’Occident, qui a opéré sa propre destruction, l’auteur fait passer en revue les injustices écologiques infligées aux pays africains au cours des XXe et XXIe siècles (et qui sont toujours d’actualité pour le lecteur contemporain) :

[l’Occident] imposait un système d’exploitation généralisé des richesses de la terre (images de milliers de derricks au Moyen-Orient, de mines en Afrique et en Amérique du Sud, d’usines où travaillent des enfants, de mégapôles industriels et de leur mégapollution, de naufrages de pétroliers, de transport de matières fissibles, de pollution atmosphérique, du trou de la couche d’ozone, du bouleversement climatique…). Pour s’approprier ces richesses, les pays dominants soutenaient les pires tyrannies et pour taire les revendications des peuples, ils vendaient du matériel de police et de guerre puis injectaient çà et là quelques capitaux sous forme de prêts que les pays du tiers-monde étaient obligés de payer avec des intérêts qui atteignaient plusieurs fois le capital emprunté. (RE : 68–69)

Sans les nommer, l’auteur aborde ici les questions du pillage colonial et du néocolonialisme, ce dernier visant à entretenir, fût-ce d’une façon plus subtile et sous le couvert de l’assistance économique, des rapports de force financiers avec les anciennes colonies. En implantant des entreprises d’extraction de minerais et de pétrole, en y employant des ouvriers de nationalité occidentale, en imposant aux pays africains des compensations financières très élevées pour l’apport du matériel et du savoir-faire « modernes », les pays occidentaux (et bien d’autres pays, comme la Chine, mais le texte n’y fait pas référence), continuent à s’approprier des sols étrangers et à les polluer à leur gré, souvent soutenus par des dirigeants locaux corrompus. Même si l’auteur semble minimiser les déséquilibres du monde actuel – il les réduit à la série des problèmes « résolus » à la Grande Carthage de l’année 2103 –, en même temps il les fustige de façon beaucoup plus explicite que dans une utopie traditionnelle, où les défauts de la société contemporaine ne viennent à l’esprit du lecteur qu’après une comparaison à laquelle le texte utopique n’invite que de façon incidente.

Les frontières entre passé, présent et futur se brouillent d’autant plus que le lecteur est ponctuellement replongé dans l’Antiquité. Dans ses descriptions de la société du futur, l’auteur intègre un grand nombre de mots dont le signifié renvoie à des réalités qui n’existent plus aujourd’hui ou sont réduites à des vestiges, comme « les forums et les agoras » (RE : 74), des aqueducs ou des temples – tout en attachant aux signifiants correspondants de nouvelles réalités propres à la société utopique de 2103 : le « temple », construit en 2068 de miroirs en verre réceptif, est en réalité une bibliothèque et un centre de recherche. À cela s’ajoutent un grand nombre de notes de bas de page dont l’appel renvoie à la description d’une statue ou d’une ruine et qui contiennent une évocation détaillée d’une page importante et victorieuse de l’histoire de la Carthage antiqueFootnote 12 ou le résumé d’un mythe classique et de sa réception dans la littérature grecqueFootnote 13. Le style de ces renseignements n’est pas sans faire penser à un manuel d’histoire. Cette forme d’écriture est déjà annoncée par le prologue, qui inscrit le roman dans la lignée des mythes et de la littérature antique, comme s’il s’agissait de la description objective d’une étape historique et véridique de l’histoire du pays : « La Tunisie est née d’une gageure, celle de la reine Didon qui, fuyant la tyrannie, a fondé la cité idéale. Platon, dans son Cristias, aurait pu parler de Carthage. Ce récit est la suite de cette idée » (RE : 9)

Si la notion du progrès est matérialisée stylistiquement dans le roman, par exemple dans la transition entre le prologue et le premier chapitre – le prologue se terminant par une phrase incomplète et des points de suspension, tandis que le chapitre prend comme titre la suite de la phrase –, l’idée d’un retour en arrière est suggérée par les nombreux renvois à l’histoire. D’une part, le mouvement de propulsion en avant est assuré par une écriture alternativement factuelle et énergétique, riche en énumérations, qui dans les descriptions de l’histoire du pays n’est pas sans prendre un élan épique. De l’autre, la progression linéaire des chapitres se double d’une dynamique circulaire animée par la récupération de concepts et de termes anciens – une métaphore de recyclage qui s’associe parfaitement aux idées écologiques du roman.

À la croisée de ces deux mouvements se situe le présent (du lecteur), qui, dans son immobilité apparente, fait irruption dans le récit à travers le procédé littéraire du nouveau réalismeFootnote 14. Celui-ci consiste à dépeindre la vie – et en particulier les éléments caractéristiques de l’espace urbain comme les affiches, les sons, les graffitis – à l’intérieur d’un texte fictionnel. Ainsi, ces fragments qui souvent relèvent du langage publicitaire et de la culture de masse introduisent le réel dans le récit d’une manière particulièrement saisissante, dans la mesure où ces objets langagiers sont copiés littéralement dans le texte, comme des fragments de réalité. Les jeux de mots sur les noms ne laissent aucun doute sur le caractère « contemporain » et la nature satirique des listes, comme dans celle des noms qui figurent sur des panneaux publicitaires :

COCA-KOUDA

TAJEROUINE WORLD BANK

REDEYEF PENTIUM 685

ZEMBRETTA BOATS

VERITAS FAHS

BOUING-AIRBUS BATNA

ABSOLUT LEGMI

CHENINI PRESS COMPANY

(RE : 33)

De la même manière, le lecteur est confronté à des listes de plats, à des slogans publicitaires d’agences de voyage et à des transcriptions d’actualités radiophoniques, dont les renversements ironiques ne cherchent pas à cacher une critique féroce de l’état actuel du monde :

« Extension des États membres de la République de Carthage : l’Angleterre a de nouveau soumis sa demande d’adhésion au Conseil carthaginois. Après examen, le président du conseil s’est prononcé : l’Angleterre ne remplit pas les conditions démocratiques nécessaires à son adhésion.

[…] « Aide économique du Tchad à la Scandinavie : trois chargements disparaissent.

(RE : 53)

Comment interpréter ces stratégies d’écriture et ces choix narratologiques tout à fait contradictoires? Comment réconcilier le genre de l’utopie science-fictionnelle avec la trame narrative, qui semble démontrer que les mesures écologiques prises aujourd’hui devraient suffire pour rendre la société actuelle plus verte? Et à quoi servent les références à l’Antiquité, qui replongent le lecteur dans le passé et détonnent fortement avec les attentes scientifiques que soulève le genre littéraire de la science-fiction?

Le pouvoir de la littérature

Et si, malgré les apparences, le véritable sujet de cette œuvre littéraire n’était pas le futur lointain, ni les inventions scientifiques qui pourraient mener à une restauration de la planète? Si, par contre, c’était la forme de l’utopie même, l’exercice de réflexion qui consiste à imaginer et à rêver un monde meilleur, ainsi que les supports qui véhiculent ce type de méditation, qui se trouvaient au centre du récit? Tout au long du roman, nous l’avons vu, les jeux du langage et les différents types de discours occupent une place importante. Lorsque l’auteur insère des fragments langagiers du réel, à travers la transcription littérale de listes, de publicités et de messages médiatiques trompeurs ou mystifiants, il met l’accent sur la forme que prennent les messages dans la réalité extralittéraire. En outre, l’auteur se livre à un exercice de purification en censurant le « langage ordurier » de New York – les gros mots – par des points de suspension (« Et toi, mon s…, qu’est-ce que tu viens f… ici? » (RE : 36)), malgré le plaisir manifeste que prennent les personnages à l’utiliser. Ce faisant, il vise à remédier à un des points névralgiques attribués à la société actuelle dans son aperçu historique : le langage mensonger à effet paralysant véhiculé par les nouveaux médias et le discours publicitaire (RE : 70). En outre, afin de libérer les jeunes des leçons prémâchées qui visent à faire d’eux « des agneaux sans imagination » (RE : 73), il faut passer à un système de « développement d’imaginaire » (RE : 70), car c’est dans la stimulation de l’imagination et de l’originalité que réside le vrai pouvoir de rendre la société meilleure :

En Amérique, si tu n’es pas profiteur, si tu suis la voie normale, si tu ne joues pas le jeu de la corruption, tu crèves de faim! Ici, vos soucis sont esthétiques, environnementaux, culturels. Là-bas, tout le monde se fout de l’esthétique, de l’environnement et encore plus de la culture. Si jamais tu écris un bouquin, on le descend en ricanant dès que tu as le dos tourné! Les idées porteuses, les réformes, les inventions, ils s’en foutent! (RE : 96)

Voilà pourquoi le mythe, comme celui de la naissance de la mer cité précédemment, continue à être présent dans un récit de science-fiction. Et ne peut-on pas voir dans la transition fluide des premiers chapitres l’amorce d’un chant rhapsodique? Voilà aussi pourquoi les scientifiques les plus importants de la Grande Carthage hésitent à révéler l’origine historique de l’Atlantide : « Un mythe qui se dévoile est comme une religion qui meurt. L’utopie de l’Atlantide est le plus grand mystère, le plus grand rêve de l’humanité. Platon parlait d’une cité sage, savante, juste et magnifique. Cette découverte risque de détruire le vieux rêve de la cité idéale » (RE : 149). Dans une mise-en-abyme, le rôle des utopies fait l’objet d’une conversation entre personnages, où c’est d’abord sa valeur de rêve – et son pouvoir d’inciter au rêve – qui est mise en avant. Ce besoin du pouvoir onirique était déjà annoncé dans la « note de l’auteur », où, contrairement au ton du prologue, la littérarité du discours est soulignée : « Mon but n’est pas de mettre le feu aux poudres, mais de divertir, peut-être aussi de faire rêver. Un grand philosophe a dit : « Les gens normaux ne savent pas que tout est possible. » Je vous prie de ne pas être normaux en lisant ce livre! ». Voilà en quoi la Grande Carthage diffère profondément de la société actuelle : l’imagination y règne comme moteur d’une amélioration constante de la vie. Car, comme le fait remarquer Stephanie Posthumus, « le besoin d’imaginer le monde matériel comme autre chose que ressource à épuiser, espace à dominer, produit à étiqueter, se fait de plus en plus pressant. La force de la littérature se trouve justement dans sa capacité d’explorer d’autres mondes possibles, de juxtaposer plusieurs rapports différents entre l’homme et le monde » (Posthumus, 2002 : 15) – ainsi, le texte devient une expérience esthétique qui « complexifie, interroge, subvertit les savoirs communs sur le rapport entre l’humain et le non-humain » (2002 : 16). Ainsi, dans la Grande Carthage, c’est la réalisation d’une idée purement fictive qui a rapporté un des matériaux les plus durables de l’architecture urbaine :

Un écrivain carthaginois un peu excentrique a publié au début du XXIe siècle une fiction dont la trame était basée sur une utilisation industrielle de la brique de Tozeur. Quelques décennies plus tard, un de ses lecteurs, aussi illuminé que l’auteur et nommé Taj, a concrétisé la fiction de l’écrivain et fait cuire les briques de Tozeur dans un four solaire. (RE : 77)

La citation montre, dans une réflexion essentiellement métalittéraire, qu’on ne saurait sous-estimer la valeur de l’écrivain et de la littérature face à des problèmes sociétaux concrets. Si la fiction n’est pas à même d’offrir des solutions pratiques aux catastrophes écologiques (contrairement à la position de Darko Suvin susmentionnée), elle est tout de même capable d’aiguillonner l’imagination des économistes, des politiciens, des enseignants… pour réfléchir à un monde meilleur, voire d’inspirer les scientifiques futurs qui trouveront les moyens techniques pour arrêter la destruction de la planète. Ainsi, littérature et science, loin d’être conçues comme des contraires, se complètent, non seulement dans le genre du « roman science-fictionnel », mais aussi dans la société réelle. Comme l’avait rappelé Robert Harrison, on ne saurait oublier que le mot écologie même est constitué d’une symbiose de deux composants : le premier, oikos, renvoie à la maison dans sa signification la plus large, à savoir la terre et toutes les formes de vie qu’elle nourrit, alors que le second, logos, « langage », est l’ultime lieu d’habitation de l’homme », il « relie les hommes à la nature sur le mode de l’ouverture et de la différence. C’est en lui que nous habitons et par lui que nous entrons en relation avec tel ou tel lieu. [.. .] Ainsi le mot écologie désigne bien davantage que la science des écosystèmes ; il désigne l’être au monde universel de l’homme » (Harrison, 1992 : 287) – une communion qui se développe essentiellement à travers les différents emplois du langage. D’où, dans le roman de Belkhodja, la matérialisation extérieure de la métaphore de l’écrivain enfermé dans sa tour d’ivoire : une vraie tour érigée des défenses provenant d’un cimetière d’éléphants orne le paysage de la ville de Carthage. D’où la citation inattendue du Petit Prince de Saint-Exupéry à la fin du roman, véritable plaidoyer en faveur de l’imagination et accusation de la dominance de la raison dans les discours adultes. D’où aussi l’insertion de quelques vers du poète Abdou El-Kacem Chebbi, jeune révolutionnaire exprimant au début du XXe siècle son indignation face à la tyrannie, la misère et la soumission du peuple tunisien dans des poèmes qui n’ont aujourd’hui rien perdu de leur pertinence.