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Le trait le plus caractéristique du pouvoir judiciaire de l’Union européenne est qu’il est composé de deux branches : l’institution judiciaire communautaire, d’une part, et les juridictions nationales de l’ensemble des Etats membres, d’autre part.

Depuis l’origine, bien avant que le principe de subsidiarité ne fût expressément incorporé dans le droit communautaire primaire par le traité de Maastricht, l’organisation judiciaire de la Communauté européenne a été fondée sur la philosophie de la subsidiarité en ce sens que seules les compétences qui n’auraient pu être utilement exercées par les juridictions nationales ont été attribuées à la Cour de justice, à l’époque la seule juridiction communautaire. Ce sont en effet les juridictions nationales qui, de façon cohérente avec la mise en œuvre administrative largement décentralisée du droit communautaire, sont appelées à appliquer ce droit dans le domaine de leur compétence territoriale et fonctionnelle, en assurant la protection des droits des justiciables fondés sur cet ordre juridique. Ainsi que le soulignait le président Lecourt, « il est d’autres juges communautaires que la Cour de justice. Tout juge national est aussi juge communautaire. Il l’est même, dans un certain sens, plus naturellement que la Cour dont la compétence est seulement d’attribution ».Footnote 1

Il ne s’agit nullement du seul modèle concevable. A cet égard on peut établir une comparaison du modèle judiciaire européen avec celui des Etats-Unis d’Amérique. L’un et l’autre présentent un trait commun, à savoir la création initiale d’une seule juridiction, respectivement la Cour de justice et la Supreme Court. Mais, alors que la Constitution américaine envisageait dès le début la création d’autres juridictions fédérales par la voie législative, et rendait ainsi possible le développement d’un système de justice fédérale, les traités instituant les Communautés européennes ne prévoyaient pas la création d’autres juridictions communautaires que la Cour de justice. C’est seulement par des réformes introduites par l’Acte unique européen et par le traité de Nice qu’a été insérée dans les traités la base juridique pour la création d’un Tribunal de première instance, d’abord, puis de tribunaux spécialisés.

La création du Tribunal de première instance n‘a pas été le résultat d’une réflexion d’ensemble sur le modèle judiciaire communautaire. Elle a été plutôt une réponse pragmatique au problème de l’augmentation croissante de la charge de travail de la Cour de justice et de la nécessité conséquente d’alléger cette charge et d’améliorer ainsi la protection juridictionnelle, notamment dans les affaires exigeant l’examen approfondi des faits. L’Acte unique conféra au Conseil la faculté d’adjoindre à la Cour de justice une juridiction chargée de connaître en première instance certaines catégories d’affaires introduites par des personnes physiques et morales. En exerçant ce pouvoir, le Conseil, sur proposition de la Cour, créa un Tribunal de première instance par sa décision du 24 octobre 1988Footnote 2 et lui attribua de nouvelles compétences par ses décisions du 8 juin 1993Footnote 3 et du 7 mars 1994.Footnote 4

Initialement, le Tribunal s’est vu attribuer des compétences pour connaître en première instance des catégories assez limitées d’affaires, dont notamment les recours intentés par les particuliers contre les décisions de la Commission dans le domaine de la concurrence. A partir de la décision de mars 1994 il a été chargé de l’ensemble des recours introduits par des personnes physiques et morales.

Le traité de Maastricht a introduit une modification importante en ouvrant la possibilité de transférer au Tribunal la connaissance de l’ensemble des recours directs, tout en excluant expressément le transfert de la compétence pour statuer sur des questions préjudicielles, qui restait ainsi réservée à la Cour de justice.

En 1998 le Conseil fût saisi par la Cour d’une proposition de transfert de compétences au Tribunal portant sur certains recours introduits par les Etats membres. Cette proposition qui visait à rationaliser le système en réduisant notamment les recours dits « parallèles » (c’est-à-dire les recours ayant le même objet qui devaient être introduits devant la Cour ou devant le Tribunal selon que le demandeur était un État ou un particulier) ne fût jamais adoptée. Ainsi, nonobstant les prévisions du traité de Maastricht, les recours introduits par les États et les institutions sont restés soustraits à la compétence du Tribunal jusqu’au moment où, sur le fondement des nouvelles dispositions du traité de Nice, des modifications ont été introduites dans le statut de la Cour de justice.

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La réforme du système juridictionnel la plus importante jusqu’à ce jour a été effectuée par le traité de Nice. Elle a été précédée par un large débat, auquel la Cour elle-même a participé, notamment par la voie d’un document de réflexion,Footnote 5 élaboré ensemble avec le Tribunal, qui a été présenté au Conseil des Ministres de la Justice en mai 1999 et qui a eu une importance déterminante pour l’inclusion de la réforme juridictionnelle dans l’agenda de la Conférence intergouvernementale qui a abouti au traité de Nice ainsi que pour l’approbation, par le Conseil, d’un certain nombre de modifications du règlement de procédure proposées par la Cour, qui sont entrées en vigueur en juillet 2000. Dans ledit document la Cour préconisait une série de modifications du traité visant à assouplir le système judiciaire en ouvrant la voie à des réformes qui pourraient être effectuées sans avoir recours à la procédure encombrante de la révision du traité.

Les réformes finalement introduites par le traité de Nice appartiennent à deux catégories.

D’une part, dans le domaine judiciaire comme dans d’autres, le traité de Nice a introduit des modifications considérées indispensables en vue de la réussite du grand élargissement envisagé. A cet égard on relèvera notamment la nouvelle règle relative à la composition de la Cour, qui est formée désormais « d’un juge par État membre ».Footnote 6 Même s’il est vrai que le nombre des juges avait toujours été fixé par rapport au nombre des États membres, cette disposition établit pour la première fois de façon expresse un lien entre la composition de la Cour et la nationalité des juges. De façon cohérente avec cette option pour une Cour large, le même article du traité consacre le caractère exceptionnel de l’assemblée plénière de la Cour, qui siège désormais normalement en chambres ou en grande chambre. C’est à cette dernière formation, qui, conformément au statut de la Cour, tel qu’il a été modifié au moment de l’adhésion,compte 13 juges (d’abord sur 25, ensuite sur 27), que revient la fonction essentielle d’assurer la cohérence de la jurisprudence, fonction qui relevait traditionnellement de la Cour plénière.

D’autre part, le traité de Nice a introduit un certain nombre de modifications dans la voie de l’assouplissement du système juridictionnel, qui avait été préconisée par la Cour. Il a notamment ouvert des possibilités de réforme qui peuvent être mises en œuvre et précisées, sans qu’une révision du traité soit nécessaire, par la procédure prévue à l’époque à l’article 245, deuxième alinéa, du traité CE, qui permettait au Conseil de modifier les dispositions du statut, à l’exception de son titre I, en statuant à l’unanimité sur demande de la Cour de justice et après consultation du Parlement européen et de la Commission, ou sur demande de la Commission et après consultation du Parlement européen et de la Cour de justice. Cette procédure est modifiée depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Ce sont désormais le Parlement européen et le Conseil qui peuvent, conformément à l’article 281, deuxième paragraphe, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, modifier les dispositions du statut selon la procédure législative ordinaire, toujours sur demande de la Cour et après consultation de la Commission, ou sur demande de la Commission et après consultation de la Cour.

Les réformes que l’on peut rattacher à cette seconde catégorie ont pour objet la distribution des compétences entre la Cour et le Tribunal de première instance –dont la position institutionnelle est d’ailleurs renforcée-, la possibilité de création de tribunaux spécialisés appelés « chambres juridictionnelles », les modalités de contrôle des décisions du Tribunal de première instance par la Cour et, enfin, les conditions d’approbation des règlements de procédure de la Cour et du Tribunal par le Conseil, qui statue désormais à la majorité qualifiée et non plus à l’unanimité.Footnote 7

En ce qui concerne les recours directs, le traité de Nice prévoyait que le Tribunal de première instance était compétent pour connaître en première instance des recours en annulation, des recours en carence, des recours en indemnité, des litiges entre la Communauté et ses agents et des litiges portés devant la juridiction communautaire sur le fondement d’une clause compromissoire contenue dans un contrat passé par la Communauté ou pour son compte,« à l’exception de ceux qui sont attribués à une chambre juridictionnelle et de ceux que le statut réserve à la Cour de justice ». D’ailleurs, il était prévu que le statut de la Cour pourrait attribuer au Tribunal la compétence pour d’autres catégories de recours.

Compte tenu des modifications introduites au statut suite à l’entrée en vigueur du traité de Nice, la distribution des compétences entre la Cour et le Tribunal en matière de recours directs qui en résulte est, pour l’essentiel, la suivante.

Les recours en manquement relèvent toujours de la compétence de la Cour. Le Tribunal, dont la compétence était limitée auparavant aux recours introduits par des particuliers, est devenu compétent pour connaître de l’ensemble des recours qui ont pour objet le contrôle de la légalité des actes ou des carences de la Commission, alors que le contrôle des actes et des carences du Conseil et du Parlement européen (séparément ou ensemble) ainsi que l’ensemble du contentieux interinstitutionnel sont réservés à la Cour. Ces critères de base, qui connaissent des exceptions – telles que, par exemple, l’attribution au Tribunal de la compétence pour connaître des recours mettant en cause des décisions du Conseil concernant des aides d’État ou le fait que soit réservé à la Cour le contrôle des actes de la Commission relatifs à des coopérations renforcées – visent à ce que le contrôle de la légalité communautaire soit exercé par le Tribunal, sauf dans la mesure où ce contrôle s’apparente à un contrôle de constitutionnalité, soit parce qu’il concerne des actes de nature législative, soit parce qu’il a pour objet des conflits de compétence, ce qui est le cas notamment du contentieux interinstitutionnel.

En ce qui concerne la compétence préjudicielle, dont le transfert au Tribunal était auparavant expressément exclu, il est désormais prévu que le Tribunal « est compétent pour connaître des questions préjudicielles… dans des matières spécifiques déterminées par le statut ». Néanmoins aucune proposition de modification du statut à cet égard n’a été présentée à ce jour par la Cour ou par la Commission, de sorte que les questions préjudicielles relèvent toujours de la Cour.

Une modification importante introduite par le traité de Nice concerne la possibilité de création de « chambres juridictionnelles ».

Aux termes du nouvel article 225 A, premier alinéa, du traité CE, introduit par le traité de Nice, « Le Conseil statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen et de la Cour de justice, ou sur demande de la Cour de justice et après consultation du Parlement européen et de la Commission, peut créer des chambres juridictionnelles chargées de connaître en première instance de certaines catégories de recours formés dans des matières spécifiques. » Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, ce sont le Conseil et le Parlement européen qui décident par la voie de la procédure législative ordinaire.

Les « chambres juridictionnelles » sont donc des juridictions spécialiséesFootnote 8 qui se substituent au Tribunal de première instance dans les matières spécifiques déterminées par la décision de création de la chambre en cause. Aux termes de l’article 225 A, troisième alinéa, du traité CE tel que modifié par le traité de Nice, « les décisions des chambres juridictionnelles peuvent faire l’objet d’un pourvoi limité aux questions de droit ou, lorsque la décision portant création de la chambre le prévoit, d’un appel portant également sur les questions de fait, devant le Tribunal de première instance ». C’est donc le Tribunal qui assume le rôle de juridiction de cassation ou d’appel, selon le cas, vis-à-vis des chambres juridictionnelles.

Une seule « chambre juridictionnelle » a été créée jusqu’à présent, à savoir le Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne, créé par décision du Conseil du 2 novembre 2004Footnote 9 et installé le 6 octobre 2005, mais le modèle peut être utilisé chaque fois que l’on considère que, dans un certain secteur, le développement d’un contentieux spécifique d’une certaine importance quantitative est de nature à justifier la création d’une juridiction spécialisée.

Le traité de Nice a prévu également l’aménagement des modalités du contrôle juridictionnel exercé par la Cour à l’égard du Tribunal de première instance. Les décisions rendues par le Tribunal en statuant sur des recours contre les décisions des chambres juridictionnelles ne sont pas susceptibles de pourvoi. Elles peuvent faire exceptionnellement l’objet d’un réexamen « en cas de risque sérieux d’atteinte à l’unité ou à la cohérence du droit communautaire ». Il en ira de même pour le contrôle des décisions rendues par le Tribunal sur des questions préjudicielles. Conformément aux dispositions du statut qui ont été adoptées pour préciser les conditions du réexamen, seul le Premier Avocat Général peut proposer à la Cour de « réexaminer » une décision du Tribunal. La Cour décide dans un délai d’un mois s’il y a lieu ou non de suivre cette proposition. Si elle réexamine la décision, elle statue sur les questions faisant l’objet du réexamen selon une procédure d’urgence sur la base du dossier qui lui est transmis par le Tribunal.

Enfin, le traité de Nice ouvre la possibilité de soumettre le pourvoi contre les décisions rendues par le Tribunal de première instance à des « conditions et limites prévues par le statut. ». Pour le moment, le statut n’a fait l’objet d’aucune modification visant à mettre en œuvre cette possibilité.

En somme, les réformes consacrées ou rendues possibles par le traité de Nice ouvrent la voie à une évolution du système juridictionnel de l’Union dans laquelle la Cour de justice tend à se concentrer sur ses fonctions de juridiction constitutionnelle et suprême, chargée d’assurer l’unité et la cohérence du droit communautaire, et le Tribunal de première instance devient, pour l’essentiel, la juridiction administrative générale. Néanmoins, dans certains domaines spécifiques, limités à l’heure actuelle au contentieux de la fonction publique, le contentieux administratif de première instance peut être attribué à des juridictions spécialisées. Dans ces domaines le Tribunal assume le rôle de juridiction de cassation ou d’appel, soumise seulement à un contrôle exceptionnel de la part de la Cour en cas de risque sérieux d’atteinte à l’unité ou à la cohérence du droit communautaire.

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Les éléments essentiels du système judiciaire tel que résultant du traité de Nice ont été confirmés de façon implicite ou explicite dans le traité établissant une Constitution pour l’Europe, d’abord, puis dans le traité de Lisbonne, qui a repris en substance les dispositions relatives au pouvoir judiciaire du traité constitutionnel, frustré par les référendums négatifs en France et au Pays-Bas.

En ce qui concerne la structure de l’organisation judiciaire, le traité de Lisbonne –comme le traité constitutionnel- se borne à des modifications essentiellement terminologiques. En effet, aux termes de l’article 19, paragraphe 1, premier alinéa, du traité sur l’Union européenne tel que modifié par le traité de Lisbonne, « La Cour de justice de l’Union européenne comprend la Cour de justice, le Tribunal et les tribunaux spécialisés. Elle assure le respect du droit dans l’application et l’interprétation des traités ». Cette disposition consacre ainsi une distinction conceptuelle entre la Cour en tant qu’institution et la Cour en tant que juridiction et modifie la dénomination du Tribunal de première instance et des chambres juridictionnelles, désignés respectivement comme « Tribunal »Footnote 10 et « tribunaux spécialisés ». Pour le reste elle confirme la mission traditionnelle de la Cour, à savoir assurer le respect du droit.

On relèvera que le traité constitutionnel confirme également la fonction essentielle des juges nationaux en tant que juges communautaires chargés de l’application du droit communautaire et notamment de la protection des droits des justiciables trouvant leur source dans l’ordre juridique communautaire. En effet, même si l’on n’a pas finalement inclus une disposition exprimant directement la reconnaissance de cette fonction des juges nationaux, elle est indirectement reconnue à l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa du traité sur l’Union européenne, aux termes duquel « Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ».

Cette disposition confirme la conception du système judiciaire communautaire fondée sur la philosophie de la subsidiarité et, en même temps, elle exprime de façon très synthétique le principe de l’autonomie procédurale des États membres et ses limites, tels qu’ils ont été développés par la jurisprudence de la Cour. En effet, la double exigence découlant de cette jurisprudence - à savoir que les voies de recours et les modalités procédurales disponibles, selon le droit national, pour la protection des droits conférés par l’ordre juridique communautaire, soient effectives et équivalentes à celles qui sont disponibles pour la protection de droits comparables conférés par l’ordre juridique interne (principes d’effectivité et d’équivalence) – précise les conditions indispensables pour assurer une protection juridictionnelle effective dans le domaine d’application du droit de l’Union.

Le traité de Lisbonne – comme le traité constitutionnel - confirme et renforce le rôle de la Cour de justice en tant que juridiction constitutionnelle de l’Union européenne.

On sait que la question de la délimitation des compétences de l’Union par rapport à celles des États membres a été au coeur du débat constitutionnel, notamment du point de vue du contrôle effectif du respect du principe de subsidiarité par les institutions européennes.

Le groupe de travail compétent au sein de la Convention européenne a bien mis en lumière le caractère éminemment politique du principe en cause et la marge d’appréciation dont doivent jouir les institutions pour son application. Il a proposé en conséquence l’établissement d’un mécanisme politique de contrôle préalable de la part des parlements nationaux.

Pour ce qui est du contrôle judiciaire, le rapport final du groupe de travail a proposé un contrôle ex post confié à la Cour de justice, en écartant la proposition de créer une nouvelle juridiction « constitutionnelle » ou « de subsidiarité », chargée de connaître exclusivement des affaires relatives à la délimitation des compétences entre l’Union et les États membres. Le groupe s’est appuyé, entre autres, sur une résolution du Parlement européen, fondée sur le rapport Lamassoure, qui soulignait que la Cour est la juridiction constitutionnelle de l’Union.

La Convention, puis la Conférence Intergouvernementale, ont suivi la même orientation, qui, après l’échec du traité constitutionnel, a été reprise dans le traité de Lisbonne. Le Protocole nº 2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité dans son article 8 attribue expressément à la Cour compétence pour se prononcer sur les recours pour violation, par un acte législatif européen, du principe de subsidiarité. Il s’agit de recours en annulation et donc la compétence n’est pas nouvelle, puisque la Cour contrôlait déjà sur le fondement du droit en vigueur la légalité des actes des institutions, entre autres pour violation du principe de subsidiarité. Ce qui est nouveau, outre l’attribution de compétence expresse, est que l’article 8 précise que ces recours pourront être formés par un État membre « ou transmis par celui-ci conformément à son ordre juridique au nom de son parlement national ou d’une chambre de celui-ci » et que « de tels recours peuvent aussi être formés par le Comité des régions contre des actes législatifs européens pour l’adoption desquels la Constitution prévoit sa consultation ».

Le renforcement du rôle constitutionnel de la Cour est d’autant plus remarquable que tant avant que durant le processus d’élaboration du projet constitutionnel des voix s’étaient élevées pour limiter ce rôle en attribuant à une nouvelle juridiction la connaissance des litiges relatifs à la délimitation des compétences de l’Union.

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Après les modifications introduites par le traité de Nice et confirmées par le traité de Lisbonne, le système judiciaire communautaire reste caractérisé –comme il l’a été dès l’origine –par la coexistence de deux branches : d’une part, la Cour de justice –institution qui comprend la Cour, le Tribunal et les tribunaux spécialisés (pour l’instant le Tribunal de la fonction publique) – et, d’autre part, les juridictions nationales des Etats membres.

Le contentieux dont la connaissance relève de la Cour et des autres juridictions communautaires est, en termes généraux, soit un contentieux de nature institutionnelle (notamment manquements d’État et litiges interinstitutionnels), soit un contentieux directement lié à l’activité normative et administrative des institutions et organes communautaires (recours en annulation et en carence, recours en indemnité). Il n’inclut pas de litiges entre particuliers ni de litiges entre particuliers et administrations nationales. Le rôle –essentiel- attribué à la Cour de justice à propos de ces litiges est celui de se prononcer incidemment sur l’interprétation du droit communautaire ou sur la validité des actes des institutions en statuant sur les questions dont elle est saisie à titre préjudiciel par les juridictions nationales, dont les décisions restent soustraites à tout contrôle hiérarchique de la part de la Cour.

Cette structure judiciaire paraît aujourd’hui assez bien équipée pour faire face à un développement du contentieux directement lié à l’activité normative et surtout administrative des institutions et organes communautaires. En effet, la création d’un tribunal spécialisé est possible dès que le développement quantitatif des litiges dans un domaine spécifique le justifie. En outre, il y a une autre possibilité, à savoir l’augmentation du nombre des juges au Tribunal.

Dans un projet de modifications du statut de la Cour de justice présenté par la Cour au Parlement européen et au Conseil le 28 mars 2011 il est proposé d’augmenter le nombre de juges au Tribunal. Il est expliqué que, « après avoir longuement pesé l’une et l’autre option, la Cour est parvenue à la conclusion que l’augmentation du nombre de juges est clairement préférable à la création d’un tribunal spécialisé dans le domaine de la propriété intellectuelle. Les motifs sont liés à l’effectivité de la solution proposée, à l’urgence de la situation, à la souplesse de la mesure envisagée ainsi qu’à la cohérence du droit de l’Union ».A mon avis, les mêmes motifs pourraient être valables pour faire le choix en faveur de l’augmentation du nombre de juges au Tribunal plutôt que de créer un tribunal spécialisé dans d’autres domaines que celui de la propriété intellectuelle. Il me paraît donc probable que le développement futur de l’architecture judiciaire de l’Union européenne s’appuiera sur le partage de compétences entre la Cour et le Tribunal, éventuellement accompagné par l’augmentation du nombre de juges au Tribunal, plutôt que sur la création de tribunaux spécialisés.

On ne saurait pas utiliser les mêmes instruments pour faire face à l’augmentation du contentieux qui n’est pas lié à l’expansion de l’activité administrative communautaire, car ce contentieux relève de la compétence des juridictions nationales et il ne se répercute sur la juridiction communautaire que par la voie des questions préjudicielles dont la Cour est saisie par les juridictions nationales.

La compétence préjudicielle est la pièce la plus importante du mécanisme judiciaire communautaire. Elle constitue en effet l’instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales qui rend possible une application décentralisée du droit communautaire reposant, néanmoins, sur une interprétation uniforme qui doit être assurée par la Cour de justice. En outre, il n’est pas difficile de constater que les développements jurisprudentiels les plus importants ont été réalisés par la voie d’arrêts préjudiciels et ils ont été souvent induits par les juridictions nationales par leurs questions.

Il est assez généralement considéré que le système des questions préjudicielles a bien fonctionné et qu’il ne serait pas souhaitable de le remplacer par un système de recours contre les décisions des juridictions nationales devant la Cour de justice, qui substituerait un rapport hiérarchique au rapport de coopération existant entre les deux branches du pouvoir judiciaire communautaire. Toutefois, le système pourrait être victime de son succès, car le nombre d’affaires préjudicielles dont la Cour est saisie ne cesse d’augmenter.

À cet égard, on rappellera que le traité de Nice, conformément à la demande qui avait été formulée par la Cour, a ouvert la possibilité de conférer des compétences préjudicielles dans des matières spécifiques au Tribunal qui pourra renvoyer devant la Cour l’affaire s’il estime que celle-ci appelle une décision de principe susceptible d’affecter l’unité ou la cohérence du droit communautaire et dont les décisions rendues sur des questions préjudicielles pourront faire exceptionnellement l’objet d’un réexamen par la Cour en fonction des mêmes critères, à savoir « en cas de risque sérieux d’atteinte à l’unité ou à la cohérence du droit communautaire ».

Cette possibilité de transfert limité de compétences préjudicielles, avec les sauvegardes indiquées, constitue un élément de souplesse du système, qui doit permettre de réagir en cas d’augmentation du nombre d’affaires préjudicielles en allégeant la charge pesant sur la Cour de justice. Jusqu’à présent aucune proposition d’utiliser cette possibilité n’a été présentée. Il semble y avoir un large consensus sur ce que le partage des compétences préjudicielles entre deux juridictions ne serait pas une mesure appropriée pour renforcer la cohérence de la jurisprudence.

A cet égard, dans la motivation du projet de modifications du statut de la Cour de justice présenté le 28 mars 2011, la Cour a relevé que le réexamen n’est pas l’outil adéquat pour garantir la cohérence de la jurisprudence à un niveau autre que celui des grandes questions de principe et que, ainsi, l’utilisation de la faculté de confier au Tribunal le traitement de questions préjudicielles, plutôt prévue pour décharger la Cour de justice dans l’hypothèse où celle-ci se trouverait en difficulté – ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle – risquerait de créer plus de difficultés qu’elle n’apporterait d’avantages. Outre les questions de cohérence…, la répartition des questions préjudicielles entre les deux juridictions pourrait par ailleurs créer la confusion auprès des juridictions des États membres et les décourager de poser des questions préjudicielles… ».

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Au delà du droit en vigueur, dans une perspective à très long terme, on reviendra ici sur une des réformes possibles envisagées par la Cour dans son document de réflexion de 1999 sur l’avenir du système juridictionnel de l’Union européenne, à savoir « la création ou la désignation d’instances judiciaires déconcentrées par État membre chargées de traiter les questions préjudicielles émanant des juridictions relevant de leur sphère de compétence territoriale. De telles instances, spécialisées en droit communautaire, se trouveraient plus proches que la Cour de justice du système juridique national dans lequel doit s’inscrire la réponse aux questions posées. Elles fonctionneraient en outre dans les langues de l’État concerné, ce qui permettrait de maintenir l’accès le plus large des juges nationaux à la procédure préjudicielle en évitant l’engorgement dû aux nécessités de traduction. Ces juridictions pourraient être dotées soit d’un statut communautaire, soit d’un statut national… ».Footnote 11

L’inconvénient fondamental d’un tel système, signalé par la Cour dans son document de réflexion, est, naturellement, le risque de renationalisation de l’interprétation du droit communautaire et, par conséquent, d’éclatement de son unité. Néanmoins diverses mesures peuvent être prises en considération pour éviter ou réduire ce risque.Footnote 12 Dans son document de réflexion, la Cour estimait, « sans méconnaître les difficultés liées à la mise en œuvre d’un système de déconcentration de la procédure préjudicielle, que ce système et ses diverses modalités méritent d’être explorés et approfondis ».Footnote 13

Personnellement, j’estime que, à long terme, un système de juridictions décentralisées par Etat membre pourrait s’avérer comme la seule solution efficace dans l’hypothèse -qui n’est ni certaine ni souhaitable – d’une augmentation telle du nombre de questions préjudicielles qu’elle déborderait la capacité de la Cour. Je suis, en effet, convaincu que l’augmentation du nombre de juges « centraux », à Luxembourg, ne constitue pas une réponse satisfaisante. Au contraire, elle comporterait, à mon avis, un risque d’asphyxie de la juridiction communautaire.

Si un jour on devait s’orienter vers la mise en place de juridictions décentralisées, ces juridictions devraient avoir de préférence un statut communautaire et se voir attribuer d’autres compétences au delà de leur rôle de « filtre » de renvois préjudiciels. Leurs décisions devraient être susceptibles de pourvoi, soumis à des limites et conditions, devant la Cour de justice. Il s’agirait, en somme, d’une justice communautaire décentralisée de type fédéral.