Bien qu’il soit important de commencer tôt l’éducation scientifique des enfants, plusieurs études suggèrent que les enseignant(e)s du primaire ne se sentent ni suffisamment qualifié(e)s ni outillé(e)s pour assumer cette tâche (Appleton, 2010; Lisée, 2008; Théoret, 2009). Les sciences sont ainsi sujettes à être peu enseignées au primaire (Hasni, 2005; Lisée, 2008) et les expérimentations y seraient plutôt rares (Roth, 2014). Or, elles sont importantes pour permettre aux élèves de s’approprier la pensée et les méthodes propres à ce champ disciplinaire (Roth, 2014).

Pour pallier ces limites, certains auteurs proposent que le milieu de l’éducation scientifique formelle (l’école) collabore avec le milieu informel [les organisations externes] (Dionne et al., 2013). Ces organisations ont une expertise reconnue en éducation scientifique (Brisson et al., 2013). Ce type de collaboration permettrait d’enrichir l’éducation scientifique et de favoriser la littératie scientifique des élèves (Stocklmayer et al., 2010). En effet, la participation à des activités scientifiques parascolaires serait bénéfique à la performance des élèves, mais aussi à leurs attitudes et leurs croyances d’autocompétence en sciences (Rennie, 2014; Young et al., 2017). Elles permettraient de mettre l’élève en contact avec des éléments différents de la classe, comme l’accès à des spécialistes ou à du matériel spécialisé (Murphy et al., 2019; Rennie, 2014), tout en les amenant à mieux comprendre les concepts vus en classe, ce qui contribuerait à la qualité de leurs apprentissages (Behrendt et Franklin, 2014) et à leur motivation scientifique (Murphy et al., 2019).

Toutefois, plusieurs auteurs mentionnent le peu d’études avec groupe contrôle qui permettrait d’affirmer hors de tout doute la contribution des activités scientifiques offertes par le milieu informel à la motivation ou l’intérêt en sciences (Potvin et Hasni, 2014b; Young et al., 2017). Ainsi, plus d’études à devis rigoureux sont nécessaires afin de combler ce trou dans les connaissances, surtout au primaire, où les personnes enseignantes ont recours à ces ressources pour enrichir leur enseignement des sciences et où les études sont moins nombreuses.

Objectif général

Depuis maintenant 40 ans, le programme Les Débrouillards fait partie des plus populaires initiatives d’éducation scientifique informelle au Québec. Plusieurs enseignant(e)s du primaire ont recours à ces services d’animation afin d’ajouter un volet « expérimentation» à leur enseignement et d’enrichir leurs pratiques. Malgré la longévité et la popularité de ce programme au Québec, aucune étude expérimentale n’a été réalisée sur son efficacité et c’est le cas pour la plupart des programmes de ce genre offerts dans le monde (Young et al., 2017). On ne sait donc pas si les animations scientifiques contribuent à « donner le gout des sciences» aux jeunes, et ce dans une optique de « sciences pour tous», alors même que cela correspond à la mission des Débrouillards. L’objectif de notre recherche est donc d’évaluer ce programme en fonction de sa contribution à la motivation en science des élèves du primaire et, plus spécifiquement, de deux processus motivationnels: l’autoefficacité et les valeurs accordées aux sciences. Et ce, tout en prenant en compte les caractéristiques des élèves qui peuvent court-circuiter son atteinte de l’objectif « sciences pour tous».

Cadre théorique

Les animations scientifiques

Les animations scientifiques (AS) sont des activités de sciences offertes par une organisation du milieu informel (externe à l’école). Elles sont conçues de manière à aborder un thème de sciences avec une forte composante d’expérimentations et de manipulations (hands-on) avec les élèves. Les animateurs(trices) scientifiques guident les élèves dans les activités et avec du matériel spécialement élaboré. Pour la présente étude, nous nous intéressons à l’apport des AS utilisées en salle de classe, bien que les AS puissent être offertes dans d’autres contextes, comme les camps estivaux.

Motivation

À l’instar d’autres auteurs (p. ex.: Potvin et Hasni, 2014b; Tytler, 2014), nous référons dans cet article au terme « motivation» pris dans son sens large et pouvant englober différents construits ou processus motivationnels qui y contribuent (croyances d’autocompétence, attitudes, intérêt, valeurs, etc.). La motivation détermine les choix de l’élève quant aux types d’activités ou de tâches dans lesquelles elle ou il s’engage, son niveau d’engagement, sa persistance et ultimement sa réussite dans la tâche (Wigfield et al., 2015). C’est aussi un « facteur déclencheur qui permet de vaincre l’inertie naturelle, d’amorcer un cheminement et de susciter éventuellement des apprentissages» (Motivation, 2005, p. 915). Différents processus motivationnels sont étudiés relativement aux sciences, dont l’autoefficacité (Bandura, 2007) et les valeurs (Eccles et Wigfield, 2020; Murphy et al., 2019). En effet, ces processus motivationnels, lorsque reliés aux sciences, constitueraient des éléments cruciaux de la littératie scientifique (Christidou, 2011).

L’autoefficacité

L’autoefficacité est une croyance de compétence. Elle correspond à une autoévaluation de ses capacités à réussir une tâche: « Jusqu’à quel point suis-je en mesure de réussir cette tâche?». Bandura (2007) a défini quatre sources influençant l’autoefficacité: l’expérience de maitrise (où l’individu réalise une action); l’expérience vicariante (où l’action est modélisée par une autre personne); la persuasion verbale (où un tiers influence verbalement l’individu à propos de son action); les états physiologiques et émotionnels (comment l’individu se sent au moment d’évaluer sa capacité à réussir). En sciences, comme dans d’autres domaines, ces sources permettent de prédire l’autoefficacité, avec une influence prépondérante de l’expérience de maitrise (Britner, 2008; Britner et Pajares, 2006). En effet, chaque réussite d’une tâche relative aux sciences augmente l’autoévaluation que fait l’enfant de sa capacité à réussir une tâche similaire. En revanche, l’échec de cette même tâche mine la croyance d’efficacité dans ce domaine. Une forte croyance d’autoefficacité permet à une personne de persévérer, celle-ci percevant les obstacles comme autant de défis à relever, alors qu’une autre ayant un faible sentiment d’efficacité se décourage plus rapidement.

Les valeurs

Les valeurs sont issues de la théorie des attentes-valeurs situées (Eccles et Wigfield, 2020). Les attentes de succès sont similaires à l’autoefficacité (Rosenzweig et al., 2021), mais l’élément « valeurs» (intérêt, utilité, importance, cout) est ajouté, soit les raisons qui poussent l’enfant à faire l’activité. Ces valeurs répondent en quelque sorte à la question « Ai-je envie de faire cette tâche?». C’est-à-dire: l’enfant trouve la tâche intéressante, la perçoit comme utile, il(elle) lui est important de la réussir ou, à l’inverse, il(elle) perçoit un trop grand cout à s’y engager. La combinaison des attentes de succès et des valeurs accordées à une tâche déterminerait la motivation de l’individu envers celle-ci. Les expériences précédentes prédiraient les attentes et valeurs (Eccles et Wigfield, 2020). Il faudrait donc influencer les attentes de succès et les valeurs accordées à la tâche des élèves en sciences pour arriver à influencer leur réussite, leurs choix et leurs performances dans ce domaine.

Ainsi, dans une AS, les sources d’expérience de maitrise (les tâches d’expérimentation demandées à l’enfant), d’expérience vicariante (la modélisation offerte par l’animateur[-trice] et les pairs) et la persuasion verbale (soutien offert par l’animateur[-trice] pendant la réalisation de l’expérimentation) seraient présentes et pourraient nourrir l’autoefficacité de l’enfant (Britner et Pajares, 2006). Les tâches d’expérimentation offertes dans les AS participeraient ainsi au cumul d’expériences scientifiques de l’enfant, sur lesquelles elle ou il se base pour construire ses attentes de succès et valeurs en sciences (Simpkins et al., 2006). Ces expériences sont médiatisées par l’interprétation que fait l’enfant de ses expériences, selon sa perception notamment de l’agent socialisateur (p. ex. personne animatrice) et des caractéristiques de la tâche demandée (Eccles et Wigfield, 2020).

Effets possibles des AS sur la motivation

Nous présentons ici une recension des écrits permettant de comprendre comment les AS peuvent contribuer aux processus motivationnels des élèves. Les études répertoriées sont présentées dans un ordre allant du devis descriptif au devis expérimental et ont porté sur les élèves d’âge primaire.

Dans les programmes d’AS, les activités d’expérimentations sont perçues comme l’un des facteurs contribuant à l’intérêt des élèves (Dairianathan et Subramaniam, 2011; Muller et al., 2013). Les élèves ayant bénéficié de ces programmes rapportent notamment que leur intérêt pour le sujet a été éveillé, souhaitent en apprendre plus sur des sujets similaires (Dairianathan et Subramaniam, 2011; Weinberg et al., 2011), mentionnent que leurs cours de sciences étaient plus intéressants avec les activités proposées (Lirette-Pitre, 2013) et rapportent des effets positifs sur leurs apprentissages et leurs attitudes en sciences (Alon et Tal, 2015).

Dans un devis prétest-posttest, Sample McMeeking et al. (2016) ont évalué une AS prenant la forme d’un « minimusée de sciences» se déplaçant dans les écoles, à la disposition des élèves pour une période de 45 à 60 minutes, avec la présence de vulgarisateur(-trice)s scientifiques. L’exposition abordait le fonctionnement de différents objets domestiques et les principes scientifiques associés à leur fonctionnement. La majorité des 642 élèves de 2e à 8e année a perçu un gain de son intérêt en sciences au posttest par rapport au prétest. Avec un devis similaire, pour un programme de sorties éducatives relatives à l’environnement de cinq jours, Leach (2012) rapportait toutefois qu’aucun changement n’avait été observé sur les croyances d’autocompétence des élèves et de leur plaisir à faire des sciences.

Dans une étude à devis prétest-posttest-suivi menée auprès de 1 496 élèves de 5e et 6e année (10–12 ans) de 18 écoles différentes, Boeve-de Pauw et al. (2020) ont montré que la participation des élèves à une journée d’activités de manipulations sur le thème des technologies engendrait des effets positifs sur leur motivation, et ce, jusqu’à trois semaines après l’intervention. Les élèves rapportaient notamment moins d'ennui, plus d'intérêt et plus d'aspirations envers ce sujet, bien que les niveaux après trois semaines soient moins élevés que tout juste après l’activité. Dans une étude à devis similaire, des élèves de 4e à 9e année (n = 3 344) ont participé à une journée d’activités de conception technologique dans un laboratoire d’ingénierie (Ozogul et al., 2019). Des effets positifs ont été maintenus jusqu’à deux semaines après l’intervention, sur l’ensemble des variables motivationnelles mesurées (intérêt, autoefficacité, utilité et stéréotypes).

Schiefer et al. (2020) ont réalisé une étude à devis expérimental avec comme intervention un programme d’enrichissement sur huit semaines pour des élèves doué(e)s de 3e et 4e année (n = 310). Les élèves du groupe expérimental ont montré, après le programme, de meilleures compétences et connaissances en sciences que les élèves du groupe contrôle, mais leurs perceptions de compétence et leurs valeurs envers les sciences n'ont pas changé.

Les études recensées ici ont évalué des interventions faites en collaboration entre les milieux formel et informel d’éducation scientifique auprès d’élèves d’âge primaire et ont obtenu des résultats encourageants. Cependant, toutes ces études (sauf celle de Schiefer et al., 2020) sont préexpérimentales et n’incluent pas de groupes de contrôle. De plus, il est difficile de porter un jugement définitif sur l’impact des programmes étudiés sur la motivation étant donné la très grande variabilité entre les études dans les durées et contenus des AS. Des études à devis plus rigoureux sont donc nécessaires afin de confirmer le lien causal entre l’exposition aux AS et la motivation ainsi que l’intensité nécessaire pour améliorer cette motivation. Plusieurs auteurs avaient déjà relevé ces observations (Potvin et Hasni, 2014b; Young et al., 2017).

Effets qui pourraient varier selon certaines caractéristiques des élèves

Tous les élèves n’ont pas le même bagage. Dans une optique de « sciences pour tous» et d’égalité des chances, il importe donc de s’intéresser aux modérateurs des effets d’un programme de motivation envers les sciences, notamment aux caractéristiques des élèves (Drouin, 2005; Rosenzweig et Wigfield, 2016).

Le capital scientifique

Le capital scientifique fait référence au bagage culturel que l’élève possède et qu’elle ou il construit au fil de ses expériences liées aux sciences (Archer et al., 2015). Plus l’élève aura vécu d’expériences liées aux sciences et aura dans son environnement des personnes qui lui parlent de sciences, plus son capital scientifique sera grand. Il lui sera alors plus facile d’avoir les outils pour aborder une situation de sciences. La fréquence de participation de la famille de l’élève à des activités scientifiques est en effet un prédicteur de son intérêt envers les sciences (Hasni et Potvin, 2015). Shanahan et al. (2011) ont aussi référé à la notion de capital scientifique pour expliquer le phénomène voulant qu’un programme d’AS pouvait augmenter le capital des élèves en possédant peu au départ – en leur proposant des expériences – leur permettant en quelque sorte de rattraper la moyenne des élèves. Toutefois, les études évaluant les effets d’une intervention en sciences ne semblent pas tenir compte de ce modérateur.

Le contexte sociofamilial

Les résultats de recherche sont contradictoires concernant les effets modérateurs du contexte sociofamilial de l’élève — ce qui englobe le statut socioéconomique et le contexte familial dans lequel l’enfant évolue. Les élèves qui ont des parents plus éduqués auraient tendance à avoir plus confiance en leurs habiletés en sciences que les élèves de parents moins éduqués (Perry et al., 2012), mais on ne sait pas comment ils répondent aux AS. Quant au statut socioéconomique, les élèves d’écoles de milieux défavorisés ont parfois rapporté de meilleures attitudes en sciences que les élèves de milieux favorisés et parfois de moins bonnes (Potvin et Hasni, 2014b) ce qui pourrait moduler la réponse des élèves aux AS. Aussi, des élèves qui ont un niveau d’autoefficacité moins élevé au départ, relié à leur contexte sociofamilial (p. ex. leur ethnicité), peuvent avoir des gains plus importants à la suite de leur participation à un programme d’AS (Ozogul et al., 2019). Ainsi, le contexte sociofamilial de l’élève semble important dans la modélisation de sa motivation envers les sciences, mais peu d’études le prennent en compte comme modérateur lors de l’évaluation d’une intervention (Rosenzweig et Wigfield, 2016).

L’âge

Un nombre considérable d’études font état d’un déclin de la motivation en sciences, particulièrement pendant la période de la transition primaire secondaire (pour une recension, voir: Potvin et Hasni, 2014b). C’est le cas de l’étude de Cavas (2011), qui rapporte que la motivation des élèves décroit entre la 6e et la 8e année. C’est pourquoi plusieurs auteurs suggèrent d’intervenir tôt, afin de tenter de contrer ce déclin (p. ex. Potvin et Hasni, 2014a). Par ailleurs, Ozogul et al. (2019) ont observé que des élèves plus âgé(e)s (13–14 ans) avaient des niveaux plus faibles d’intérêt et d’autoefficacité en sciences que les plus jeunes (9–12 ans) et avaient ainsi montré des gains plus marqués à la suite de leur participation à un programme d’AS.

Le sexe

Garçons et filles n’affichent généralement pas les mêmes niveaux de motivation en sciences, les garçons ayant généralement des scores plus élevés que les filles (Potvin et Hasni, 2014b). Les filles préférèrent habituellement les sciences de la vie, tandis que les garçons s’intéressent davantage aux sciences physiques et à la technologie (Koballa et Glynn, 2010). Les filles ont aussi des croyances d’autocompétence souvent moins positives que celles des garçons (Murphy et al., 2019). Ces profils distinctifs suggèrent que garçons et filles pourraient réagir différemment à des AS en raison de leurs intérêts et leurs croyances d’autocompétence de départ, de ce qu’elles ou ils valorisent et selon les contenus abordés dans les animations (Boeve-de Pauw et al., 2020; Ozogul et al., 2019). Des études ont d’ailleurs montré que certains programmes réussissent à combler le fossé motivationnel scientifique entre les sexes (Sullivan et Bers, 2019), alors que d’autres le creusent davantage (Sasson et Cohen, 2013). Comme le mentionnent Weinberg et al. (2011), lorsque garçons et filles sont exposés à des animations qui répondent à leur champ d’intérêt, les effets des AS sont généralement comparables.

La présente étude

La présente étude permet d’innover de différentes façons. D’abord, le programme Les Débrouillards et ses AS en classe n’ont jamais été évalués et notre étude pose un premier regard sur celles-ci. Ensuite, les études qui utilisent un devis avec groupe contrôle pour évaluer des AS sont rares (surtout en contexte de classe), en regard d’effets sur les processus motivationnels. Notre étude présente un devis expérimental avec assignation aléatoire par grappe qui fait intervenir la présence et la quantité d’AS reçues (intensité). De plus, nous nous intéressons aux élèves du 3e cycle du primaire (5e et 6e année), correspondant à la période précédant le déclin de la motivation envers les sciences (Cavas, 2011; Potvin et Hasni, 2014a). Notre étude porte spécifiquement sur les processus motivationnels de l’autoefficacité envers les tâches scientifiques et des valeurs accordées aux sciences, qui sont connus comme étant d’importants prédicteurs de l’engagement des élèves envers les sciences et de leur performance dans ce domaine (Murphy et al., 2019).

Ainsi, nos questions de recherche spécifiques sont les suivantes. (1) Quel est l’effet de la participation à différentes intensités d’AS Les Débrouillards (en classe) sur les processus motivationnels en sciences, spécifiquement l’autoefficacité et les valeurs accordées aux sciences ? Une sous-question est aussi comprise ici: à partir de quel moment (quelle intensité) pouvons-nous détecter des effets sur les élèves ? Nous formulons l’hypothèse que plus l’élève sera exposé aux AS, plus les effets seront notables sur les processus motivationnels, mais qu’une seule AS ne sera peut-être pas suffisante pour les détecter, puisque la petite envergure d’un programme d’AS est parfois mise en cause dans les études ne rapportant pas d’effet. (2) Comment les caractéristiques des élèves modèrent-elles les effets du programme ? Nous formulons l’hypothèse que l’âge, le sexe, le contexte sociofamilial et le capital scientifique pourraient modérer les effets du programme sur les processus motivationnels. Quant au sexe et au contexte sociofamilial, puisque les études recensées présentent des résultats contradictoires, il nous est difficile de nous prononcer sur le sens de ces effets et notre hypothèse est donc exploratoire. Quant à l’âge, les effets du programme pourraient être plus marqués chez les élèves plus âgés, de la toute fin du primaire (6e année), soit au moment où le déclin de la motivation commence (Cavas, 2011). Quant au capital scientifique, des gains plus importants pourraient être notés chez les élèves en possédant peu, comme proposé par Shanahan et al. (2011).

Méthodologie

Participants

Vingt-huit classes de 3e cycle du primaire (5e et 6e année) d’autant d’écoles différentes, réparties dans quatre régions de la province de Québec (Canada), ont été recrutées (n = 526) par notre équipe de recherche. Ces élèves étaient âgé(e)s de 9 à 13 ans (Mage = 11,01; ÉT = 0,71) et étaient des garçons dans une proportion de 50,6%. Dans 67,9% des cas, les élèves habitaient avec leurs deux parents. Les parents avaient fait des études postsecondaires dans une proportion de 71,7% et 53,1% avaient un revenu familial supérieur au revenu médian national de 72 240$ CAD en 2013 (Statistique Canada, 2016). Le projet de recherche a reçu l’approbation du comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval et les parents ont donné leur consentement éclairé pour la participation de leurs enfants.

Devis et procédure

Selon un devis expérimental avec assignation aléatoire par grappe, les 28 classes participantes ont été assignées aléatoirement à l’une des quatre conditions suivantes (sept classes par groupe): Groupe 0: groupe contrôle, aucune participation (AS compensatoire offerte à la fin de l’étude); Groupe 1: participation à une AS; Groupe 2: participation à deux AS; Groupe 3: participation à trois AS.

Avant leur assignation à l’un des quatre groupes d’exposition, les élèves ont rempli un questionnaire prétest en classe et leurs parents un questionnaire de données sociodémographiques. Puis, les classes ont participé aux AS, intercalées de deux semaines. Deux semaines après les AS, les élèves ont rempli un questionnaire posttest. Ce décalage entre les AS et le posttest visait à mesurer ce qu’il reste de l’intervention et non l’effet d’excitation du moment.

Intervention pour la présente étude: le programme Les Débrouillards

Nous avons évalué les AS du programme Les Débrouillards, tel qu’elles se vivent dans les classes. Dans une AS Débrouillards, l’animateur(-trice) se présente en classe avec tout le matériel nécessaire. Préalablement à l’activité, l’enseignant(e) a reçu le document des outils pédagogiques (une activité préparatoire et une de réinvestissement). Les AS Débrouillards conçues pour les classes sont développées en adéquation avec le curriculum scolaire et durent environ une heure. Les élèves reçoivent une fiche retour sur l’AS à rapporter à leurs parents. Les animateur(-trice)s qui réalisent les AS proviennent de champs variés: éducation, sciences, génie, communication, etc., et suivent généralement une formation de trois jours en AS. Pour les besoins de la présente étude, nous avons retenu les AS les plus standardisées du programme Débrouillards, offertes dans les quatre régions. Les AS portaient sur les thématiques suivantes: chimie, physique optique et densité des fluides, exactement dans cet ordre (choisi au hasard). Tous les groupes exposés ont donc participé à l’AS « chimie», puis les groupes 2 et 3 à l’AS « physique optique» et finalement le groupe 3 à l’AS « densité des fluides». L’équipe de recherche a de plus mentionné aux gestionnaires du programme Débrouillards de sélectionner ses animateur(trice)s comme à l’habitude. Les AS se déroulent en quatre étapes: 1) « Amorcer et attiser»: l’animateur(-trice) fait des liens avec le quotidien ou l’actualité pour aborder l’activité et susciter le questionnement des élèves; 2) « Expérimenter»: l’animateur(-trice) incite les élèves à l’action, après leur avoir proposé une modélisation et donné les consignes. Les élèves réalisent les manipulations nécessaires à l’expérimentation; 3) « Faire réfléchir»: pendant l’expérimentation, l’animateur(-trice) questionne les élèves, revient sur leur expérimentation, explique des concepts scientifiques, introduit du nouveau vocabulaire et propose une réflexion pour aller plus loin; 4) « Conclure»: l’animateur(-trice) fait synthétiser l’information par les élèves et reformule au besoin, puis propose une suite à l’expérimentation.

Instruments de mesure

Données sociodémographiques

Ces questions, répondues par le parent, comprenaient: l’âge et le sexe de l’élève, mais aussi la scolarité des parents, le revenu familial et la structure familiale. Ces dernières données ont servi ensuite à composer un score d’adversité sociofamiliale pour l’élève.

Adversité sociofamiliale

Le score d’adversité sociofamiliale de l’élève indique un niveau de risque qui varie entre 0 (aucun risque) et 1 (haut risque). Il a été calculé en faisant la moyenne des scores de « scolarité des parents» (0 = diplôme d’études postsecondaires; 1 = pas de diplôme postsecondaire), de « revenu familial» (0 = revenu de 50 000 $ et plus; 1 = revenu de 49 999 $ ou moins, selon l'indice du seuil de faible revenu des familles du Québec [2011]) et de « structure familiale dans laquelle l’enfant évolue» (0 = habite avec ses deux parents; 1 = autre structure familiale). Plusieurs études ont utilisé une méthode similaire pour rendre compte du contexte sociofamilial de l’élève (p. ex.: Ratelle et al., 2021).

Capital scientifique

Le questionnaire prétest de l’enfant comportait trois échelles de mesure avec lesquelles nous avons composé un score indiquant le capital scientifique initial de l’élève. L’échelle « Pratique d’activités à caractère scientifique» (Gagnon et al., 2009; Larose et al., 2005) comprenait six questions (p. ex.: « Regarder une émission à la télévision sur un thème de sciences», α = 0,75). L’élève indiquait la fréquence à laquelle elle ou il avait fait ces activités au cours des deux derniers mois (réponses de 1 [jamais ou presque jamais] à 4 [très souvent]). L’échelle « Engagement des parents pour l’apprentissage des sciences et de la technologie» (α = 0,74) a été adaptée de Gagnon et al. (2009). L’élève indiquait à quel point il était vrai que ses parents avaient adopté certains comportements avec elle ou lui au cours des deux derniers mois, comme de discuter de sciences (réponses de 1 [jamais vrai] à 5 [toujours vrai]). L’échelle « Activités scientifiques pratiquées avec les parents» (α = 0,74) de Gagnon et al. (2009) comporte huit items. L’élève indiquait combien de visites scientifiques elle ou il avait faites avec ses parents (p. ex.: « centre des sciences, musée scientifique ou technologique»; réponses de 1 [jamais] à 3 [trois fois ou plus]). Le score de capital scientifique initial de l’élève (α = 0,81) consiste en la moyenne des trois scores, transposés sur un dénominateur commun (60).

Processus motivationnel: autoefficacité et valeurs

Pour évaluer la motivation des élèves envers les sciences, les variables dépendantes (VD) de notre étude sont les processus motivationnels suivants: « autoefficacité envers les tâches scientifiques» et « valeurs accordées aux sciences» et ont été mesurés au prétest et au posttest.

L’échelle mesurant l’autoefficacité envers les tâches scientifiques de l’élève comporte dix items et est adaptée de Lab Skills Self-Efficacy Scale (Britner, 2002). L’élève indiquait jusqu’à quel point elle ou il se sentait sûr de pouvoir réaliser les actions mentionnées (p. ex.: « Faire des prédictions [hypothèses] appropriées sur ce qui va se passer dans une expérimentation»; prétest α = 0,88; posttest α = 0,88), à l’aide d’une échelle de 0 (absolument aucune chance) à 100 (tout à fait certain[e]), tel que proposé par Pajares et al. (2001). Nous avons traduit et adapté le Lab Skills Self-Efficacy Scale afin que les tâches soient reliées à ce qui est demandé aux élèves dans les cours de « sciences et technologie» du primaire québécois.

L’échelle mesurant les « Valeurs accordées aux sciences» (prétest α = 0,88 et posttest α = 0,92) comporte neuf items et est la traduction libre de Value of science de Britner (2002; p. ex.: « Être bon[ne] en sciences est important pour moi», « Je trouve les sciences intéressantes»). Cette échelle est adaptée du Student Attitude Questionnaire d’Eccles et al. (1983). L’élève indiquait jusqu’à quel point les énoncés étaient vrais pour elle ou lui, en répondant de 1 (tout à fait faux) à 6 (tout à fait vrai).

Plan d’analyses

Un score de changement a été créé pour chacune des deux VD, en soustrayant le score au prétest du score au posttest. Ainsi, un score de 0 indique qu’il n’y a pas eu de changement entre les deux temps de mesure, alors qu’un score supérieur à 0 indique un changement positif et qu’un score sous 0 indique un changement négatif. Cette méthode proposée par Allison (1990) nous semblait le mieux répondre à notre question de recherche et nous permettait une interprétation plus facile des résultats.

Des régressions hiérarchiques ont ensuite été réalisées sur chacune des deux VD. L’étape 1 comportait les variables contrôles suivantes: âge, sexe, adversité sociofamiliale et capital scientifique. À l’étape 2, nous avons entré les variables de groupes, ce qui permet de savoir si être dans un groupe d’exposition plutôt que dans le groupe contrôle a eu un effet sur le score de changement. Pour ce faire, nous avons créé des variables assignées (dummy variable), afin de comparer chacun des groupes d’exposition au groupe contrôle. En 3e étape, nous avons testé les effets d’interaction avec les modérateurs. Nous avons d’abord testé tous les effets d’interaction avec les modérateurs, puis nous avons refait les analyses en ne conservant que ceux qui étaient statistiquement significatifs. Les effets d’interaction statistiquement significatifs ont ensuite été décomposés afin de pouvoir les interpréter (Aguinis et Gottfredson, 2010). Les graphiques ainsi créés présentent le résultat des équations en considérant des scores à un et deux écarts-types (ÉT) au-dessus et au-dessous de la moyenne (M).

Résultats

Analyses préliminaires

Les données manquantes sur les variables à l’étude varient entre 0% et 10% (M = 1,75%) et étaient complètement aléatoires [MCAR; χ2(306) = 326,25, p = 0,20] (Little, 1988). Nous n’avons donc pas effectué d’imputation de données dans nos analyses, mais avons utilisé un estimateur robuste à cet effet. Les scores de symétrie et de voussure ont été observés afin de s’assurer de la distribution normale des données. Des cas extrêmes multivariés ont été détectés (Tabachnick et Fidell, 2007) à l’aide de la distance de Mahalanobis, soit seulement trois cas (moins de 1% des participants). Ces participants présentent des scores plus faibles sur les VD au prétest que le reste de l’échantillon. Vu leur petit nombre, nous les avons conservés afin de pouvoir généraliser nos données à la population. Aussi, puisque les élèves sont dans des classes (M = 19,49 élèves), il est légitime de mettre en doute l’indépendance des données, ce que le calcul de l’effet du plan d’échantillonnage (design effect = entre 2,07 et 4,63) a confirmé (McCoach et Adelson, 2010; Muthén, 2002). Nous en avons donc tenu compte dans nos analyses principales en ajoutant une analyse par effet de niche (cluster analysis) dans nos analyses de régression avec Mplus.

Nous avons effectué des analyses de variance (ANOVA; IBM SPSS) sur les VD pour déterminer l’homogénéité des groupes au prétest. Garçons et filles ne se distinguaient pas quant à leurs scores de VD au prétest, tant pour les valeurs [F(1,524) = 0,39, p > 0,05, η2 < 0,01], que pour l’autoefficacité [F(1,523) = 0,25, p > 0,05, η2 < 0,001]. Les groupes (0, 1, 2 et 3) ne se différenciaient pas au prétest sur les VD, tant pour l’autoefficacité [F(3,522) = 0,98, p > 0,05, η2 = 0,006] que pour les valeurs [F(3,523) = 0,74, p > 0,05, η2 = 0,004].

Le Tableau 1 présente les moyennes par groupe pour les deux VD (autoefficacité et valeurs), à chacun des temps de mesure (pré et posttest). Pour les deux variables, les moyennes sont plutôt élevées dans tous les groupes, pour tous les temps de mesure, et varient peu entre le prétest et le posttest.

Tableau 1 Moyennes des variables dépendantes aux temps 1 et 2 selon les groupes

Le Tableau 2 présente les corrélations entre les variables à l’étude. L’âge est négativement et faiblement corrélé avec les valeurs. L’adversité sociofamiliale est corrélée négativement et faiblement avec l’autoefficacité. Le capital scientifique est corrélé positivement et modérément avec les deux scores motivationnels au prétest. Le capital scientifique est aussi corrélé faiblement et négativement avec le score de changement d’autoefficacité.

Tableau 2 Corrélations entre les variables à l’étude

Analyses principales

Autoefficacité

Comme le montre l’étape 2 du Tableau 3, l’exposition aux AS n’a pas eu d’effet principal sur l’autoefficacité envers les tâches scientifiques. En revanche, l’exposition aux AS a montré des effets d’interaction (ou effets simples) en fonction des modérateurs « âge» (pour les groupes 2 et 3) et « capital scientifique» (pour le groupe 3). En effet, le changement de variance expliquée (ΔR2) est statistiquement significatif à l’ajout des modérateurs. Les Figs. 1 et 2 illustrent les effets modérateurs statistiquement significatifs.

Tableau 3 Résultat de la régression hiérarchique: autoefficacité
Fig. 1
figure 1

Effet âge X groupe sur l'autoefficacité

L’effet modérateur de l’âge est statistiquement significatif pour les groupes exposés à deux et trois AS et nous avons donc décortiqué ces effets (voir Fig. 1). L’exposition à trois AS a entrainé des changements légèrement positifs dans l’autoefficacité des élèves les plus âgé(e)s (Mage + 1 ÉT = 11,72 ans; Mage + 2 ÉT = 12,43 ans), alors que les mêmes élèves du groupe contrôle ont connu une baisse. Par ailleurs, c’est un effet contraire que nous constatons pour les élèves plus jeunes (Mage -1 ÉT = 10,30 ans; Mage -2 ÉT = 9,59 ans) exposés à trois AS. Ces élèves ont vu leur autoefficacité diminuer alors qu’elle s’est légèrement améliorée pour les élèves du groupe contrôle. En somme, l’exposition aux AS a eu des effets positifs sur le changement dans l’autoefficacité des élèves plus âgé(e)s et négatifs sur celui des plus jeunes, comparativement aux élèves du même âge dans le groupe contrôle.

L’effet modérateur du capital scientifique est statistiquement significatif pour les groupes exposés à trois AS et nous avons décortiqué ces effets (voir Fig. 2). Les élèves exposé(e)s à trois AS et ayant un capital scientifique élevé ont vu leur autoefficacité décliner, alors que ce n’est pas le cas de leurs pairs du groupe contrôle. C’est le lien inverse qui peut être observé pour les élèves à faible capital scientifique, qui ont vu leur autoefficacité progresser entre le prétest et le posttest, alors que dans le groupe contrôle aucun changement significatif n’est observé. La valeur de la pente nous apparait ici plus importante que son seuil de signification, puisqu’elle permet de comparer l’effet pour les élèves de capital élevé à celui des élèves de capital faible.

Fig. 2
figure 2

Effet capital scientifique X groupe sur l'autoefficacité

Valeurs

Comme le montre l’étape 2 du Tableau 4, l’exposition aux AS n’a pas eu d’effet principal sur les valeurs des élèves. En revanche, l’exposition aux AS a montré des effets d’interaction en fonction des variables « sexe» (groupes 2 et 3) et « capital scientifique» (tous les groupes). Ici aussi, le changement de variance expliquée (ΔR2) est statistiquement significatif à l’ajout des modérateurs. Les Figs. 3 et 4 illustrent les effets d’interaction statistiquement significatifs avec les modérateurs.

Tableau 4 Résultat de la régression hiérarchique: valeurs
Fig. 3
figure 3

Effet sexe X groupe sur les valeurs

Pour l’interaction entre le sexe de l’élève et le groupe, des effets sont observés dans les groupes 2 et 3 (voir Tableau 4). La Fig. 3 présente ces effets, par ailleurs différents dans chacun des groupes. Dans le groupe 2, les filles ont rapporté des changements négatifs de leurs valeurs par rapport à leurs pairs du groupe contrôle. Les garçons ne se sont pour leur part pas différenciés de leurs pairs du groupe contrôle dans ce groupe. L’effet négatif n’est donc présent que chez les filles. Dans le groupe 3, les filles ne se différencient pas de leurs pairs du groupe contrôle, alors que les garçons ont rapporté des changements positifs de leurs valeurs. L’effet positif n’est donc présent que chez les garçons.

Enfin, des effets sont présents dans les trois groupes d’exposition pour l’interaction entre le capital scientifique et le groupe (voir Tableau 4). La Fig. 4 illustre ces différents effets. Un changement négatif entre le prétest et le posttest est observé chez les élèves à capital scientifique élevé (Mcapital + 1 ou + 2 ÉT): une progression est notée entre les groupes 1 et 2, mais le changement négatif est absent dans le groupe 3. Chez les élèves de capital scientifique faible (Mcapital -1 ou -2 ÉT), un changement positif entre le prétest et le posttest est observé, en progression entre les groupes 1 et 3, mais absent dans le groupe 2. Un changement positif est donc observé pour les élèves ayant moins de capital scientifique (sauf dans le groupe 2), alors qu’un changement négatif est observé pour les élèves de capital scientifique élevé (sauf dans le groupe 3).

Fig. 4
figure 4

Effet capital scientifique X groupe sur les valeurs

Discussion

Effets de la participation à différentes intensités d’AS

Notre premier objectif de recherche était d’évaluer les effets de la participation aux AS Les Débrouillards en classe sur les processus motivationnels des élèves, en fonction de différentes intensités: aucune, une, deux ou trois AS. Comme le cumul d’expériences de maitrise contribue à renforcer l’autoefficacité des élèves (Bandura, 2007) et que les attentes de succès sont corrélées aux valeurs (Eccles et Wigfield, 2020), nous nous attendions à ce que la participation accrue au programme augmente l’autoefficacité des élèves et leurs valeurs envers les sciences. Les résultats présentés plus haut nous obligent à infirmer cette hypothèse. Différents facteurs pourraient expliquer l’absence d’effets principaux du programme d’AS Les Débrouillards sur nos deux variables de motivation.

Premièrement, il se peut que la durée des interventions n’ait pas été suffisamment longue pour générer des changements probants sur la motivation. Le cumul d’expériences n’était peut-être pas suffisant avec trois AS. Comme d’autres l’ont souligné (Potvin et Hasni, 2014b), il est souvent difficile de capter des effets probants des programmes d’AS dans le contexte de courtes interventions (ici, entre une et trois heures). Il faut aussi rappeler que la mesure posttest a été prise deux semaines après la fin des AS, afin de mesurer ce qui restait de l’intervention et de contrôler pour l’effet d’excitation de l’AS dans la classe. Or, les études qui ont rapporté des effets positifs après deux ou trois semaines avaient évalué des interventions d’une journée complète (Boeve-de Pauw et al., 2020; Ozogul et al., 2019), soit le double de la présente intervention.

Deuxièmement, les animateur(-trice)s nous ont rapporté que l’AS 2 sur la physique optique était problématique. Elle n’aurait pas suscité l’enthousiasme habituel. Cette AS a particulièrement pu réduire les effets dans le groupe 2, mais avoir des effets toujours présents dans le groupe 3 (qui vivait une autre AS après cette AS problématique).

Notre second objectif était d’explorer le rôle des variables modératrices (âge, genre, adversité sociofamiliale et capital scientifique) sur les effets motivationnels du programme et les résultats indiquent que le programme a eu des effets significatifs sur certains sous-groupes d’élèves, parfois positifs, parfois négatifs. En outre, il se peut simplement que l’absence d’effets principaux soit un « effet de moyenne»: les effets opposés s’annulent lorsqu’on considère l’ensemble des élèves et tente d’en tirer une moyenne.

Finalement, nous pensions que plus les élèves seraient exposés, plus les effets seraient notables sur leurs processus motivationnels. La prise en compte des caractéristiques des élèves nous permet de confirmer partiellement cette hypothèse, puisque des effets sont en effet présents pour certains sous-groupes d’élèves. Pour l’autoefficacité, on a pu noter des effets à partir de deux AS, selon l’âge des élèves, et à partir de trois AS, selon le niveau de capital scientifique. Pour les valeurs, on a noté des effets à partir de deux AS, selon le sexe, et d’une seule AS, selon le niveau de capital scientifique. Nous détaillons donc ci-après ces différents effets.

Effets selon les différentes caractéristiques des élèves

Les effets détectés sont de petite taille. Mais, comme l’exposition aux AS fut de courte durée et que la mesure posttest fut prise deux semaines après l’intervention, de petits effets demeurent intéressants à interpréter.

Effet modérateur de l’âge

Nous avions formulé l’hypothèse que les élèves les plus âgé(e)s pourraient bénéficier davantage du programme, puisque l’intervention se faisait juste avant le déclin observé dans la motivation en sciences (Cavas, 2011). En effet, les élèves plus âgé(e)s (12–13 ans) n’ont pas réagi de la même façon au programme que les élèves plus jeunes (9–10 ans). Dans le groupe contrôle, plus les élèves étaient âgé(e)s, plus leur autoefficacité diminuait entre le prétest et le posttest, alors que les élèves du même âge ayant participé à trois AS ont plutôt affiché des croyances stables, voire légèrement plus positives. Ce patron de changement fut aussi noté chez les élèves exposés à deux AS, mais dans une moindre mesure. Ce résultat confirme notre hypothèse et suggère que le cumul d’expériences positives en sciences peut prévenir le déclin naturel de la motivation en sciences des jeunes adolescents (Potvin et Hasni, 2014b) et il est cohérent avec l’étude de Ozogul et al. (2019) qui rapportait aussi des gains plus positifs pour les élèves plus âgé(e)s. En revanche, plus les élèves étaient jeunes, plus le changement entre pré et posttest a été négatif. Chez ces élèves, un niveau stable d’autoefficacité a été observé dans le groupe contrôle, alors qu’une diminution de l’autoefficacité a été observée dans les groupes exposés au programme. Comment expliquer ce résultat ? Nous tentons ici une hypothèse. On sait que les enfants plus jeunes, en raison de leur manque d’expérience et de leurs difficultés à bien saisir les actions requises pour réaliser une tâche, peuvent surestimer leurs capacités (Bandura, 2007; Schunk et Pajares, 2002). De leur côté, les plus âgé(e)s auraient une autoévaluation de leurs capacités plus précise, ayant eu la chance d’être confronté(e)s plus souvent aux tâches scientifiques et à recevoir de la rétroaction sur leur performance (Schunk et Pajares, 2002). L’exposition au programme aurait conduit les plus jeunes à réajuster leurs croyances d’autoefficacité de façon plus réaliste et les plus âgé(e)s à se sentir de plus en plus confiant(e)s au fil des AS. Cette hypothèse qui repose sur un facteur de maturité, non contrôlé dans notre étude, mériterait d’être examinée plus systématiquement à partir d’études longitudinales.

Effet modérateur du sexe

Notre hypothèse sur les effets du sexe était plutôt exploratoire, vu les résultats divers répertoriés dans les études. Les garçons qui ont participé à trois AS ont accordé plus de valeurs aux sciences après l’intervention, alors que les valeurs des filles sont restées inchangées. Ce résultat est cohérent avec celui rapporté dans d’autres recherches (voir la recension systématique de Potvin et Hasni, 2014b) rapportant que les garçons sont souvent plus favorisés dans leur motivation en sciences. Mais, comme les élèves des deux sexes ne se différenciaient pas au départ, ce résultat est différent de l’étude de Weinberg et al. (2011), dans laquelle les élèves n’avaient pas réagi différemment à l’intervention. Ce résultat pourrait peut-être s’expliquer en partie par les changements observés dans le groupe 2, différents du groupe 3. Garçons et filles s’y sont également différenciés dans leur score de changement des valeurs. Cependant, les garçons présentaient un score semblable au groupe contrôle, alors que les filles ont vécu une baisse de leur score que ne présentaient pas celles du groupe contrôle. Sasson et Cohen (2013) avaient également rapporté un effet négatif pour les filles à la suite d’une intervention sur le thème des sciences physiques, qui était celui de la deuxième AS (et dernière pour ce groupe). Rappelons que les sciences physiques ne comptent en effet pas parmi les thèmes favoris des filles (Koballa et Glynn, 2010). Cependant, les élèves du groupe 3 ont aussi vécu la deuxième AS. Comme aucun effet négatif n’est noté pour les filles dans ce groupe, l’effet négatif possible de cette AS se résorberait avec une AS sur un sujet différent ensuite (dans ce cas-ci, sur la densité des fluides). Il est aussi possible que l’AS 2 (problématique) ait nuit à un changement positif chez les garçons dans le groupe 2 et produit un changement négatif chez les filles. En outre, cet effet est observé sur les valeurs, soit l’importance et l’intérêt accordés aux sciences, mais n’est pas observé sur l’autoefficacité. L’AS problématique pourrait donc avoir temporairement nui à l’intérêt que les élèves portent aux sciences, mais pas à leur confiance en leurs capacités.

Effet modérateur du capital scientifique

L’effet modérateur du capital scientifique est prépondérant par le fait que nous l’avons observé sur les deux VD: autoefficacité et valeurs. Notre hypothèse était que le programme pouvait être plus bénéfique pour les élèves présentant peu de capital scientifique, tel que suggéré par Shanahan et al. (2011). L’exposition à trois AS a généré des effets positifs sur l’autoefficacité pour les élèves avec peu de capital scientifique, ce qui confirme notre hypothèse. Ces élèves n’auraient pas beaucoup d’expérience de contact avec les sciences et évalueraient en général faiblement leur efficacité à réaliser des tâches d’expérimentation (Archer et al., 2015). Les valeurs qu’elles et ils accordent aux sciences seraient aussi moins élevées que les élèves ayant beaucoup de capital scientifique. Après plusieurs expériences de maitrise (les expérimentations réalisées dans les AS), ces élèves se sentiraient plus efficaces dans la réalisation de telles tâches. Se sentant plus efficaces, ils accorderaient ainsi plus de valeurs aux sciences (Eccles et Wigfield, 2020), ce qui pourrait influencer leurs choix futurs concernant les sciences. Le changement positif sur les valeurs de ces élèves est cependant observable plus faiblement pour les élèves du groupe 2 que dans les groupes 1 et 3. Or, la deuxième AS du programme (et dernière pour ce groupe) était l’AS moins appréciée selon les animateur(-trice)s et aurait influencé l’effet d’interaction.

Un effet négatif a aussi été repéré avec ce modérateur, toujours sur les deux VD. Dans le groupe 3, plus les élèves présentaient de capital scientifique, plus on a observé une baisse de leur autoefficacité après leur participation aux AS. Ce résultat est contrintuitif puisque nous nous serions attendus dans le pire des cas à ne pas avoir d’effet chez ces élèves qui ont déjà un bagage de capital scientifique. Toutefois, notre réflexion s’est portée sur le contraste qui peut exister entre les expériences formant le capital scientifique de ces élèves et les tâches qui leur ont été proposées, soit des tâches très concrètes d’expérimentation. En effet, ces tâches peuvent avoir été complètement différentes de ce à quoi ces élèves s’attendaient. Car, malgré leur score élevé de capital scientifique, leur expérience peut ne pas avoir comporté de tâche « pratique». Rappelons que les tâches d’expérimentation ne sont pas beaucoup proposées aux élèves en enseignement primaire (Roth, 2014) et qu’elles et ils peuvent s’être surestimé(e)s face aux tâches scientifiques, ignorant ce qu’elles exigeaient réellement. Ce réajustement face à des aspects inattendus d’une tâche a déjà été documenté (Bandura, 2007). Les élèves peuvent donc s’être estimé(e)s efficaces envers ces tâches scientifiques qui n’étaient connues qu’en théorie et avoir vécu un ajustement de leur autoefficacité, une fois confronté(e)s à la tâche. Pour la variable de la valeur accordée aux sciences, l’effet négatif est plus présent pour les groupes 1 et 2, alors qu’il est absent dans le groupe 3. On aurait ainsi tendance à conclure qu’une fois la surprise de la tâche passée, leur niveau de valeurs accordées aux sciences revient vers ce qu’il était au départ. Ces élèves conservent des scores de processus motivationnels très élevés et au-dessus de la moyenne, ce qui pointerait encore vers l’hypothèse de la surestimation suivie du réajustement.

Effet modérateur du contexte sociofamilial

Finalement, l’adversité sociofamiliale (notre mesure de contexte sociofamilial) n’est pas apparue comme un modérateur des effets des AS. Le capital scientifique semble être une mesure plus concluante que le contexte sociofamilial pour rendre compte des effets d’interaction d’une intervention en sciences et les deux mesures ne seraient pas équivalentes. En effet, des enfants peuvent avoir un niveau élevé de capital scientifique, tout en ayant un statut socioéconomique faible et l’inverse serait aussi vrai (Gokpinar et Reiss, 2016).

Forces et limites méthodologiques

Le devis méthodologique de cette étude comportait certaines forces. D’abord, il s’agissait d’un devis expérimental par grappe où les classes de régions variées ont été assignées aléatoirement à l’un ou l’autre des groupes d’exposition et comportait un grand nombre de participants (n = 526). Ceci nous permet d’avoir une bonne validité interne de nos résultats et de pouvoir généraliser à la population. Le modèle statistique retenu (régression hiérarchique) nous a aussi permis de mesurer l’effet des modérateurs, tout en conservant les scores continus plutôt que de les avoir dichotomisés, afin de tenir compte des caractéristiques des élèves.

Des limites méthodologiques doivent toutefois être relevées. D’abord, l’utilisation d’un devis expérimental avec assignation aléatoire par grappe plutôt qu’expérimental pur, afin de tenir compte du fait que les élèves sont dans des classes, implique que certaines caractéristiques de la classe peuvent avoir eu une influence sur les variables, malgré que pour contrer cette limite nous en ayons tenu compte dans nos analyses. Ensuite, comme la motivation envers les sciences peut différer selon le sujet abordé, il est possible qu’en présentant des AS sur des thèmes différents aux élèves, nous ayons obtenu des résultats différents. Ceci est également vrai pour les animateur(trice)s: il n’est pas impossible que des animateur(trice)s différent(e)s aient donné des résultats différents.

Conclusion et implications

Si nous nous étions arrêtés à mesurer les effets de la participation aux AS Les Débrouillards sur l’ensemble des élèves, nous aurions conclu que ce programme n’a pas d’effets sur la motivation des élèves ou au mieux que le programme n’était pas d’assez longue durée pour en déceler d’effets. L’implication scientifique de nos résultats signifie que les études d’évaluation d’effets de programmes d’AS devraient prendre en compte les caractéristiques des élèves, comme l’ont mentionné Rosenzweig et Wigfield (2016).

En outre, nous pouvons conclure que le programme Les Débrouillards a plutôt eu des effets positifs pour plusieurs catégories d’élèves. Concernant l’autoefficacité envers les tâches scientifiques, le programme a permis de contrer le déclin observé chez les élèves les plus âgé(e)s et d’augmenter l’autoefficacité de ceux qui ont peu de capital scientifique. Pour les élèves qui ont eu les scores les plus élevés – soit les plus jeunes et les élèves qui ont beaucoup de capital scientifique – la baisse observée de leur autoefficacité allait à l’encontre de nos hypothèses, mais pourrait s’expliquer par un réajustement de leur surestimation, une fois confronté(e)s à la tâche.

Quant aux valeurs accordées aux sciences, le programme a eu des effets positifs, soit une augmentation chez les garçons et ceux qui ont peu de capital scientifique. Tous ces résultats étaient plus concluants pour les élèves ayant participé à trois AS, ce qui confirme que le cumul d’expériences en éducation scientifique a son rôle à jouer.

Implications pratiques

Le programme Les Débrouillards, comme d’autres programmes d’éducation scientifique informelle, donne un avantage aux élèves en les exposant aux sciences avec des manipulations, ce qui permet de les rendre plus conscient(e)s de ce qu’exigent les tâches d’expérimentation. Ces tâches font partie des compétences à développer prévues au curriculum scolaire. Ainsi, nous encourageons les écoles primaires à avoir recours à de tels programmes, particulièrement lorsque l’enseignement avec manipulations n’est pas offert dans la classe. Cependant, comme les AS ont des effets particulièrement bénéfiques pour les élèves ayant un faible capital scientifique, les écoles situées dans des milieux où les activités de culture scientifique sont peu disponibles (p. ex. en milieu rural éloigné) gagneraient davantage à avoir accès à ces activités. Les organismes offrant les AS devraient cibler les écoles de ces milieux. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les frais de déplacement élevés sont un frein pour les écoles à la venue de ces activités externes dans la classe (Rennie, 2015). Les bailleurs de fonds gouvernementaux soutenant la mission des programmes de promotion de la culture scientifique devraient donc s’assurer de couvrir ces frais qui nuisent à leur accessibilité. D’autres modalités que la venue de la personne animatrice dans la classe pourraient aussi être envisagées, telle que l’AS par vidéoconférence, comme cela a été expérimenté pendant la pandémie de COVID-19, bien que ces modalités restent à évaluer quant à leur efficacité par rapport à une formule en présence.