La Revue canadienne de l'enseignement des sciences, des mathématiques et des technologies (RCESMT), aussi connue comme le Canadian Journal of Science, Mathematics and Technology Education (CJSMTE), fête ses vingt ans. Je suis heureuse d’avoir été invitée à cet anniversaire puisque la Revue joue depuis ses débuts un rôle important dans ma carrière. Pour l’occasion, j’offre quelques réflexions que m’inspire cet événement, des réflexions sur ce que m’a apporté la Revue au fil du temps et sur ce que j’essaie de lui apporter en retour depuis quelques années en tant que rédactrice pour les manuscrits en didactique des mathématiques soumis en français.

Précisons d’entrée de jeu que j’utiliserai ici les expressions « didactique des mathématiques » et « mathematics education » comme des synonymes. Cette pratique, même si elle ne fait pas l’unanimité, est assez commune au Canada. D’ailleurs, comme le souligne Mura (1998), la communauté du CMESG/GCEDM, à laquelle je m’identifie, a fait ce choix dans le nom même de son organisation : le Canadian Mathematics Education Study Group, en français le Groupe Canadien d’étude en didactique des mathématiques. Comme je l’ai déjà écrit ailleurs (Lajoie, 2018), je ne me suis jamais commise à proposer une définition de la didactique des mathématiques dans mes écrits. Aussi, j’annonce tout de suite que je ne le ferai pas ici ! Le lecteur intéressé par le sujet pourra lire Caillot (2002), dans la Revue.

La RCESMT et moi

La RCESMT est née en janvier 2001 alors que j’étais nouvelle professeure (depuis deux ans et demi) à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), quelques mois à peine après que j’aie soutenu ma thèse de doctorat en didactique (des mathématiques) à l’Université Laval. J’ai pris connaissance de l’existence de la Revue avant même que le premier numéro ne sorte puisque ma directrice de thèse, Roberta Mura (Laval), et ma collègue Nadine Bednarz (UQAM) avaient été invitées à écrire chacune un article pour le premier volume (Bednarz, 2001; Mura, 2001). Je me souviens très bien des premiers numéros de la Revue. Il était clair dès le départ que la Revue encouragerait la publication en français, qu’elle ferait de la place à des chercheurs de l’extérieur du Canada et qu’elle ferait preuve d’ouverture quant aux types de réflexions et de recherches sur l'enseignement et l'apprentissage des mathématiques qui allaient y être publiés. Il suffit d’ouvrir les premiers numéros de la Revue, par exemple ceux des deux premiers volumes, pour s’en convaincre : un article illustrant, à l’aide de l’exemple d’un cours de didactique à l’UQAM, la manière dont la recherche peut nourrir la formation à l’enseignement des mathématiques et vice-versa (Bednarz, 2001) et un autre illustrant plutôt, à l’aide d’exemples tirés de la recherche, des difficultés qui peuvent surgir lorsque la distinction entre les notions mathématiques et leurs modèles issus du monde physique n'est pas bien comprise (Mura, 2001); un exposé sur la perspective constructiviste en éducation (von Glasersfeld, 2001); une réflexion sur la nature de la démonstration et son enseignement (Mariotti, 2001); la présentation d’un cadre méthodologique pour l’analyse des pratiques enseignantes en mathématiques – la « double-approche » (Robert et Rogalsky, 2002); la présentation et la mise à l’épreuve d'une grille d’analyse de problèmes de géométrie (Tanguay, 2002); un regard critique sur les programmes d’études québécois mis en place au début des années 2000 (Jonnaert, 2001); un compte-rendu d’une réunion internationale (Hodgson, 2002).

La Revue serait résolument distincte. Après deux années d’existence, on y trouvait déjà des articles de recherche – certains prenant une forme plus classique et d’autres une autre forme moins classique – mais on y trouvait aussi d’autres types d’articles. Aussi, les intentions des auteurs couvraient un large spectre : informer la communauté, la nourrir sur le plan conceptuel, faire évoluer sa réflexion, l’inviter à poser un regard critique (sur les programmes, sur des manuels scolaires, sur certaines pratiques d’enseignement, …), présenter de nouveaux cadres ou théories de référence, faire avancer les idées et la recherche sur l’apprentissage, l’enseignement et la formation des enseignants.

J’ai publié mon premier article (Lajoie et Bednarz, 2012) dans la Revue en 2012 avec Nadine Bednarz, une habituée de la RCESMT, avec à son actif plusieurs articles dans la Revue, dont un dans le tout premier numéro. Plusieurs raisons nous avaient amenées à choisir la Revue : nous avions décidé d’écrire en français ; nous voulions que notre article soit arbitré par des pairs ; nous savions qu’il n’allait pas prendre une forme classique même s’il allait s’agir d’un article de recherche ; nous tenions à rejoindre nos collègues québécois puisqu’il allait être question de programmes d’études et d’autres documents pédagogiques québécois en mathématiques ; nous ne voulions toutefois pas nous limiter au lectorat québécois puisque le thème à l’étude (la résolution de problèmes en mathématiques) et la démarche retenue pour notre recherche (un voyage à travers cent ans de programmes d’études et autres documents pédagogiques) nous semblaient d’intérêt pour une communauté plus large. Je me souviens que les corrections qui nous avaient été demandées à la suite de la première soumission de notre manuscrit étaient pour le moins substantielles ; je me souviens aussi toutefois que les commentaires des évaluateurs et ceux de la rédactrice, Nathalie Sinclair, étaient à la fois abondants, détaillés, et constructifs et qu’ils témoignaient d’un examen rigoureux de notre manuscrit. D’autres articles ont suivi (Lajoie et Saboya, 2013; Lajoie et Bednarz, 2016; Lajoie et al., 2019), de même qu’un numéro spécial (vol. 19, no 2) sur les dispositifs de formation à l’enseignement des mathématiques que j’ai co-dirigé avec mon collègue français Frédérick Tempier (Lajoie et Tempier, 2019).

Parallèlement à mes publications dans la Revue, j’ai évalué pour elle quelques manuscrits. Le travail d’arbitrage à la Revue n’était pas différent du travail d’arbitrage dans les autres revues auxquelles je contribuais comme évaluatrice mais je me souviens que les communications avec Nathalie Sinclair étaient plus personnalisées que celles auxquelles j’étais habituée avec d’autres rédacteurs.

À ma grande surprise, en avril 2014, j’ai été invitée à prendre le relai comme rédactrice pour les articles en didactique des mathématiques soumis en français, une invitation qui m’a rapidement tentée et que j’ai (relativement) rapidement acceptée. Aux dires du rédacteur en chef de l’époque, John Wallace, ma candidature avait été « highy recommended » et j’allais sans aucun doute apporter une « wonderful contribution » à la Revue. C’était à voir ! Le premier numéro où j’apparais comme rédactrice est le 16 (1). Il est à noter que j’y apparais aussi comme auteure (Lajoie et Bednarz, 2016) mais que, bien évidemment, ce n’est pas moi qui ai eu la responsabilité de cet article !

La RCESMT et ses objectifs

Une voix nouvelle, distincte, indépendante

Dans l’éditorial du premier numéro de la Revue, les fondateurs de celle-ci, Derek Hodson, Gila Hanna et Jacques Désautels (Hodson et al., 2001), révèlent leurs aspirations : encourager et célébrer la diversité ; faire entendre une voix nouvelle, distincte et indépendante dans le monde de l’enseignement des sciences, des mathématiques et des technologies ; faire de la RCESMT une des principales publications canadiennes vouées au développement des connaissances dans le domaine. Aussi, dès le départ, les auteurs étaient invités à soumettre à la Revue différents types d’articles :

We declared at the outset that the journal would be an international forum for the publication of original articles written in a variety of styles, including research investigations using experimental, qualitative, ethnographic, historical, philosophical, or case study approaches; critical reviews of the literature; policy perspectives; and position papers, curriculum arguments, and discussion of issues in teacher education. (Hodson, 2015, p. 340).

La diversité qui avait retenu mon attention dès la parution des premiers numéros était donc recherchée. Nous verrons plus loin qu’avec le temps, la Revue est demeurée distincte, à bien des égards, et qu’elle n’a pas perdu en diversité même si celle-ci se présente de manière(s) différente(s).

Une voix canadienne

Si je n’ai pas été surprise en (re)lisant récemment l’éditorial du premier numéro, je dois admettre que son titre, lui, a eu l’effet inverse : « Enfin, une voix canadienne » ! D’une certaine façon, puisque le Revue est elle-même canadienne, il devrait être naturel de parler d’une voix canadienne … Or, je me suis surprise soudainement à me demander s’il y avait lieu de qualifier la voix de la Revue de « canadienne » puisque depuis ses tout débuts, la Revue fait preuve d’ouverture face à tous les chercheurs désireux de diffuser en français leurs idées et leurs recherches en didactique des mathématiques, qu’ils soient canadiens ou non. Par exemple, trois des huit articles cités précédemment proviennent d’institutions à l’extérieur du Canada, une tendance que l’observe encore aujourd’hui, comme nous le verrons plus loin. Ainsi, la voix qu’a su se donner la RCESMT, en français, en ce qui a trait à l’enseignement des mathématiques, n’est pas que canadienne. Elle est aussi internationale, témoignant d’une ouverture indéniable sur le monde.

À ma défense, il semblerait que d’autres avant moi se soient interrogés à propos du choix de l’expression « voix canadienne ». Derek Hodson, par exemple, rapporte, une année après la parution du premier éditorial de la Revue, que l’expression « voix canadienne » avait suscité des commentaires ironiques à l’endroit des rédacteurs fondateurs puisque dans le premier numéro se trouvaient trois articles provenant d’universités britanniques (Hodson, 2002) ! John Wallace, rédacteur en chef de la Revue entre 2007 et 2018, reconnait quant à lui, dans son éditorial d’octobre 2015, qu’il en est venu lui-même à se questionner sur le fait d’étiqueter la Revue de canadienne, remettant même en question, dans une certaine mesure, la pertinence de publier dans les deux langues officielles.

Quand j’ai accepté le poste de rédacteur en chef de la Revue canadienne de l’enseignement des sciences, des mathématiques et des technologies (RCESMT) en 2008, une des questions que je me posais était à savoir si nous devions continuer d’étiqueter la revue comme étant canadienne ou si nous devions plutôt rejoindre les nombreuses revues dans ce domaine et devenir « internationaux ». Certains arguments semblaient pencher en faveur de cette deuxième option, qui avait le potentiel d’élargir la portée et le lectorat de la revue, d’accroître le nombre d’abonnements dans d’autres régions du monde et de nous soustraire à l’obligation de publier en deux langues.

Qu’entendaient donc les fondateurs de la Revue, en 2001, par « voix canadienne » ? Dans leur premier éditorial, ils s’expliquent.

Les réalisations canadiennes dans le domaine des sciences, des mathématiques et des technologies peuvent constituer des sources de fierté légitimes, bien qu'il reste beaucoup à faire. Nous, universitaires canadiens, avons en effet largement contribué à la recherche et aux grands débats internationaux sur les programmes d'enseignement/apprentissage de ces matières, mais presque toujours dans des revues publiées aux États-Unis, au Royaume-Uni ou ailleurs. Nous possédons enfin notre propre tribune. Nous formons une communauté diverse, une communauté qui accorde une grande valeur à cette diversité et à son potentiel émancipateur pour tout un chacun. Nous visons à produire une revue à la voix distincte et indépendante, qui encourage et célèbre la diversité, une voix soucieuse de promouvoir l'excellence et l'équité dans l'enseignement des sciences, des mathématiques et des technologies. (Hodson et al. 2001)

L’intention des fondateurs était donc d’offrir une tribune à une certaine communauté canadienne qui était elle-même diverse et qui accordait une grande valeur à cette diversité. Je me rends bien compte que c’est précisément comme ça que j’ai toujours interprété le qualificatif de canadienne dans le titre même de la Revue.

À ce sujet, John Wallace introduit dans son éditorial de 2015 une expression que je trouve particulièrement parlante. Expliquant qu’il en est venu à la conclusion que l’identité, voire « les identités », canadienne(s) de la Revue était probablement au final ce qui lui permettait de se démarquer des autres, il ajoute que la Revue a « un pied fermement ancré dans le terreau canadien, alors que l’autre est résolument tourné vers le reste du monde ».

Huit ans plus tard, plus vieux et (j’ose l’espérer) plus sage, je suis aujourd’hui convaincu que, dans le contexte de mondialisation actuel, la force de la revue repose sur son identité (ses identités) bien canadienne. Cette identité nous a permis de nous démarquer des autres revues dans notre domaine, un pied fermement ancré dans le terreau canadien, alors que l’autre est résolument tourné vers le reste du monde. A cet égard, la revue est à la fois canadienne et internationale. Au cours des quinze dernières années, nous nous sommes employés à examiner des enjeux d’importance locale et nationale, afin de représenter le Canada sur la scène mondiale tout en faisant état des avancées internationales dans le domaine. (Wallace, 2015, pp. 336-337)

Une voix francophone … aux accents multiples

Dans son éditorial de janvier 2002, Hodson (2002) se réjouit du fait que les articles publiés dans la Revue proviennent de plus en plus d’institutions canadiennes. Il constate toutefois que trop peu de ces articles sont écrits en français.

(…) le contenu canadien a augmenté de façon significative au cours de la première année, de sorte que 75 % des articles du quatrième numéro ont été écrits par des Canadiens. Le nombre des manuscrits en langue française a cependant été décevant.

Avançant comme explication le fait que la communauté francophone de recherche au Canada soit réduite, le rédacteur se tourne alors vers les didacticiens francophones d’ailleurs.

Certes, la communauté des chercheurs francophones au Canada est réduite et, bien qu'elle soit très active, nous ne pouvons attendre d'elle qu'elle suffise à assurer le contenu francophone de la revue. Pour cette raison, je sollicite les didacticiens dans le domaine des sciences, des mathématiques et des technologies de tous les pays francophones à envisager d'y faire paraitre leurs travaux. (Hodson, 2002, p. 5)

Les éditoriaux subséquents confirmeront cette volonté de donner une tribune aux chercheurs francophones du Canada tout en faisant une place aussi aux autres chercheurs francophones, confirmant du même souffle une volonté de faire entendre, à la Revue, une voix francophone, qu’elle soit canadienne ou non.

Et la rédactrice dans tout ça ?

Des attentes réalistes ?

En fouillant dans mes anciens courriels, je suis tombée sur un courriel que m’avait été envoyé Nathalie Sinclair en guise d’invitation informelle à prendre le poste de rédactrice, avec en copie conforme Rina Zazkis, la rédactrice pour les manuscrits en didactique des mathématiques soumis en anglais.

As you may know, I have been playing the role of French Math co-editor in partnership with Rina Zazkis, who is the Math Editor for CJSMTE/RCESMT. This involves taking care of the editorial process for all of the French language submissions we get related to mathematics. Unfortunately, I will have to give up this role because of responsibilities that I have accepted with a new journal. In our discussions, Rina and I thought that you would be an excellent French Math editor and we hope very much you will consider doing this, and helping to build the visibility of the journal within the French community in Québec and across Canada. We'd both be happy to talk with you further about the work involved.

Il y avait donc dans l’air de l’époque une idée d’augmenter, voire de « construire », la visibilité de la Revue chez les francophones du Québec et de partout au pays. Et l’équipe derrière la RCESMT semblait voir en moi une personne qui pouvait jouer un certain rôle à cet égard. Flattée par la confiance qui m’était ainsi témoignée, je craignais tout de même ne pas être tout à fait à la hauteur des attentes, ne voyant pas tout à fait clairement comment y parvenir.

Quelques actions

En prenant un peu de recul, je me rends compte que depuis le début de mon mandat, j’ai posé différents petits gestes susceptibles de donner plus de visibilité à la Revue auprès de mes collègues francophones d’ici et de l’étranger. Ainsi, par exemple, j’implique régulièrement de nouvelles personnes dans l’évaluation des manuscrits que je reçois, surtout des collègues d’ici mais aussi des collègues de l’étranger (dans un rapport approximatif de deux pour un, soit le même que j’essaie de respecter lorsque j’invite des évaluateurs à arbitrer un manuscrit) et je parle de manière plus ou moins informelle de la Revue dans des rencontres scientifiques au Canada, comme par exemple le colloque du Groupe de Didactique des Mathématiques du Québec (GDM) et la rencontre annuelle du GCEDM/CMESG (Groupe Canadien d’Étude en Didactique de Mathématiques/Canadian Mathematics Education Study Group), de même que dans des événements internationaux se déroulant en français, comme tout récemment (à l’été 2019) dans ma conférence plénière au colloque de la Commission Permanente des IREM (instituts de recherche sur l’enseignement des mathématiques) sur l'Enseignement Élémentaire (COPIRELEM) à Lausanne et aux rencontres du Réseau Éducation et Francophonie (RÉF) à Toulouse.

Quelques chiffres

Évidemment, il est naturel de se demander si, quatre volumes plus tard, nous sommes dans la bonne direction. Même si je suis toujours un peu prudente quand vient le temps de faire parler les « chiffres », je suis allée feuilleter les quatre derniers volumes complets (16 à 19) et j’ai fait quelques calculs. J’épargne le lecteur de tous les détails. Retenons simplement que mes calculs révèlent que la voix francophone se fait entendre globalement un peu plus qu’avant, avec en moyenne dans chaque volume 3,5 articles en français dont au moins un auteur est canadien (comparativement à 1 par numéro pour les 15 premiers volumes) et 1 article en français dont aucun auteur n’est canadien (ce qui correspond grosso modo à ce qu’on observe dans les 15 premiers numéros). Retenons aussi que la portion d’articles en français dont au moins un auteur est canadien est elle-aussi en hausse ; près de 8 articles sur 10 proposés en français ont au moins un auteur de nationalité canadienne, en comparaison avec 5 sur 10 pour les numéros précédents. Nous ne devrions pas observer de recul dans les volumes 20 et 21 puisqu’au moment d’écrire ces lignes, en plus de l’article de Tanguay, Bergé et Barallobres (Tanguay et al., 2020) déjà publié dans le volume 20 (numéro 1), 8 articles en français sont en voie d’être publiés, dont 6 ont au moins un auteur oeuvrant au Canada.

Parce qu’il faut bien tirer des leçons

Évidemment, on pourrait se dire que le numéro spécial 19(2), entièrement en français, vient brouiller les cartes, qu’il vient biaiser notre regard sur les derniers volumes, d’autant que je l’ai co-dirigé en tant que rédactrice invitée ! Ma première réaction serait : « bien évidemment » … En même temps, je ne peux m’empêcher de voir en ce numéro spécial un autre « petit » geste susceptible lui aussi, comme d’ailleurs le numéro spécial sur les conférences plénières d’EMF 2006 (Bednarz et Mary, 2007) », donner un peu de visibilité à la Revue, que ce soit chez les personnes qui ont été invitées à y contribuer, chez les (nombreux) évaluateurs qui ont été sollicités pour arbitrer un manuscrit, ou encore chez les lecteurs qui ont appris à travers leurs réseaux la parution d’un numéro spécial rassemblant plusieurs articles en français sur un même thème. Cela m’amène à penser qu’encourager la publication d’autres numéros spéciaux en français par des rédacteurs invités pourrait contribuer, dans l’avenir, à renforcer la visibilité de la Revue au sein de la communauté francophone, en particulier celle du Canada.

De retour à l’essentiel : une voix distincte qui célèbre la diversité et l’excellence

Initialement, comme l’annonçait notre rédacteur en chef, Doug McDougall, dans son éditorial de février dernier, tous les rédacteurs de la Revue pour les articles dont les mathématiques sont la discipline de référence, actuels et anciens, devaient, pour souligner les vingt ans de la Revue, choisir les articles de la RCESMT les plus influents dans leur domaine et rédiger un commentaire à propos de ceux-ci. Les articles sélectionnés et les commentaires associés devaient apparaitre dans le présent numéro. La perspective de devoir choisir UN article dans la Revue m’effrayait un peu puisque plus d’un article publié dans la Revue ont été, sont toujours ou sont susceptibles de devenir parmi les plus influents… Ainsi, lorsque le plan a changé, je dois admettre que me suis sentie soulagée !

Au-delà d’offrir une tribune aux chercheurs canadiens, les rédacteurs de la RCESMT ont toujours eu à cœur de faire entendre une voix distincte encourageant la diversité et l’excellence. J’ai précisé plus haut de quelle manière la lectrice en moi a perçu ce caractère distinct de la Revue dès la parution de ses premiers numéros. Je me propose d’examiner maintenant de quelle manière la rédactrice en moi perçoit aujourd’hui ce caractère distinct de la Revue, qu’elle souhaite voir perdurer. Pour ce faire, je me limiterai aux volumes 16 à 19 et au premier numéro du volume 20, pour lesquels j’ai agi à titre de rédactrice, puisqu’il s’agit là de ceux que je connais le mieux. Aussi, il est à noter qu’à partir de maintenant, pour alléger le texte, quand je référerai aux articles de la Revue, il sera sous-entendu que je réfère strictement à ceux publiés en français dans le domaine de la didactique des mathématiques.

Comme je l’ai mentionné précédemment, la diversité est encouragée depuis les débuts de la Revue en ce qui a trait aux catégories d’articles pouvant y être publiés. Ainsi, il est toujours possible d’y publier différents types d’articles comme par exemple des articles de recherche, des recensions d’écrits, des points de vue (voir la page d’accueil du site de la Revue) … Force est d’admettre toutefois que depuis quelques années, les articles qui paraissent dans la Revue tombent dans la première catégorie. Cela ne signifie pas pour autant que la Revue ait perdu en matière de diversité. En effet, celle-ci se trouve ailleurs…

Je me suis amusée à parcourir les bibliographies des articles de la Revue depuis le numéro 1 du volume 16, à la recherche de diversité. Celle-ci m’est apparue sous quatre formes différentes : la langue de publication des écrits s’y retrouvant, leur provenance géographique, leur domaine scientifique de référence et le(s) courant(s) théorique(s) dont ils sont issus.

La plupart des auteurs des articles de la Revue s’abreuvent tant à des travaux publiés en français qu’à des travaux publiés en anglais. Ce constat est particulièrement de mise pour plusieurs des articles publiés au Canada. Par ailleurs, plusieurs articles incluent même dans leurs bibliographies des travaux publiés dans d’autres langues, comme par exemple l’espagnol et l’italien. Au-delà de leur langue de publication, les articles cités dans les pages de la Revue proviennent d’institutions (par ex. d’universités et de laboratoires ou centres de recherche) de différentes régions du monde. Bien entendu, on y trouve en abondance des références à des travaux réalisés au Québec et dans les autres provinces canadiennes mais on y trouve aussi de très nombreuses références à des travaux réalisés dans d’autres pays dont (en ordre alphabétique) l’Allemagne, l’Australie, la Belgique, le Burkina Faso, la Corée, le Danemark, l’Espagne, les États-Unis, la France, la Grèce, Israël, l’Italie, le Japon, le Maroc, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suisse et la Tunisie. Ainsi, la Revue confirme sans équivoque qu’elle a toujours un pied « fermement ancré dans le terreau canadien » et l’autre « résolument tourné vers le reste du monde » !

Cette multiplicité au niveau de la langue et de la provenance géographique des sources de référence vient de pair avec une multiplicité d’influences conceptuelles et théoriques. Ainsi, par exemple, les cadres et théories sur lesquels s’appuient les didacticiens des mathématiques sont nombreux : la théorie des situations didactiques (ex. Coppé et Moulin, 2017; Houle et Giroux, 2019), la théorie anthropologique du didactique (ex. Anwandter Cuellar, 2017; Assude et al., 2016; Balhan et al., 2019), la théorie des registres de représentations (ex. Thibault et Sinclair, 2019), l’approche expérimentale (Emprin et Sabra, 2019), les espaces de travail (Tanguay et al., 2020), le cadre des savoirs pour enseigner (ex. Vermette, 2017; Butlen et Masselot, 2019), la double-approche didactique et ergonomique (ex. Emprin et Sabra, 2019; Adihou et al., 2019). Il est à noter que certains s’appuient sur des cadres et théories qui n’ont pas été développés pour étudier spécifiquement les phénomènes liés à l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques. C’est le cas par exemple de Coppé et Moulin (2017) qui s’appuient, en partie du moins, sur des travaux en mesure et évaluation, de Corriveau et Bednarz (2016) dont les analyses puisent leurs fondements en ethnométhodologie et d’Adihou et al. (2019) qui articulent la théorie de l’agir professionnel à celle de la double approche. Il est à noter également que certains auteurs ne s’appuient pas nécessairement sur des cadres et théories, du moins pas explicitement, ne retenant plutôt pour leurs travaux que certains concepts et outils théoriques. En ce sens, la Revue, à l’image de la communauté de recherche en didactique des mathématiques au CanadaFootnote 1, est résolument éclectique en ce qui a trait aux théories. Par ailleurs, les « grands » domaines de référence desquels sont issus les articles cités dans la Revue sont eux-aussi diversifiés. Si ces derniers sont en majorité issus des domaines de la didactique des mathématiques et des mathématiques, un nombre non négligeable d’entre eux sont issus d’autres domaines de référence comme par exemple les sciences de l’éducation (la mesure et l’évaluation, les technologies éducatives, la formation des maîtres, la didactique professionnelle, …), les sciences cognitives, la psychologie, la psychologie du travail, la sociologie, l’ergonomie, l’histoire, la philosophie, l’anthropologie, la phénoménologie et la biologie.

Un examen plus approfondi des articles eux-mêmes m’a permis de constater que les articles publiés dans la Revue depuis 2016 sont non seulement diversifiés sur le plan des sources d’influence conceptuelles et théoriques de leurs auteurs mais qu’ils le sont aussi sur d’autres plans, comme par exemple le style ou la forme, la nature des objets au cœur des analyses et le lectorat visé.

Tel que mentionné précédemment, les articles de la Revue sont tous depuis quelques années des articles de recherche. Cependant, ils ne se présentent pas tous sous la même forme. On trouve en effet dans la Revue des articles dont la forme est relativement classique mais on en trouve aussi qui prennent des formes autres, comme par exemple celle de l’élaboration d’un cadre de référence (ex. Butlen et Masselot, 2019), celle d’un récit de formation (ex. Proulx, 2019; Balhan et al., 2019) ou encore celle d’un récit de conception (d’une séquence d’enseignement pour Houle et Giroux (2019) et d’un dispositif de formation pour Emprin et Sabra (Emprin et Sabra, 2019), à titre d’exemples). Aussi, les objets au cœur des analyses présentées dans ces articles sont de natures diverses : des concepts mathématiques à enseigner (ex. Vermette, 2017; Houle et Giroux, 2019); des problèmes (ex. Coppé et Moulin, 2017; Tanguay et al., 2020), des séquences d’enseignement (Houle et Giroux, 2019), des logiciels (Emprin et Sabra, 2019), des manuels scolaires et autres documents pédagogiques (Anwandter Cuellar, 2017); des dispositifs d’aide (Assude et al., 2016) ou de formation (ex. presque tous les articles du 2e numéro du volume 19); des procédures, raisonnements ou conduites d’élèves (ex. Coppé et Moulin, 2017; Proulx, 2017; Koudogbo et al., 2017), de futurs enseignants (ex. Tanguay et al., 2020) ou d’enseignants (ex. Vermette, 2017; Thibault et Sinclair, 2019); des pratiques enseignantes (ex. Martin et Theis, 2016; Corriveau et Bednarz, 2016; Assude et al., 2016; Anwandter Cuellar, 2017); des résultats de recherche (ex. Butlen et Masselot, 2019).

Enfin, et c’est là une caractéristique de la Revue que j’apprécie tout particulièrement, la Revue sert, comme à ses débuts, une large communauté de chercheurs et de praticiens. En effet, le chercheur en didactique des mathématiques, qu’il soit aguerri ou non, le formateur d’enseignants, qu’il soit chercheur ou non, le concepteur (de programmes officiels, de manuels scolaires et autres matériel pédagogiques) et l’enseignant (en exercice ou en formation) peuvent tous y trouver leur compte. Les articles de Houle et Giroux (2019), Koudogbo et al. (2017), Martin et Theis (2016), Proulx (2017) et Vermette (2017) sont autant d’exemples d’articles susceptibles d’intéresser un vaste lectorat.

La RCESMT et ses artisans

J’ai appris à être rédactrice un peu comme j’ai appris à être formatrice : en grande partie sur le tas ! Heureusement, mes expériences d’auteure et d’évaluatrice dans différentes revues m’ont fourni et me fournissent toujours de bons exemples de pratiques à adopter en tant que rédactrice … et de moins bons. D’ailleurs, j’apprends toujours, tant dans mes échanges avec les rédacteurs et le personnel de la Revue que dans ceux avec les évaluateurs et les auteurs. J’apprends aussi, à un autre niveau, dans mes expériences, parfois frustrantes, avec le système automatisé de traitement des manuscrits ! Tranquillement, j’évolue comme rédactrice, du moins je l’espère !

Je ne compte plus le nombre de questions que j’ai posées et le nombre d’avis et de conseils que j’ai demandés depuis mon entrée en poste, que ce soit aux rédacteurs en chef qui se sont succédés — John Wallace et Doug McDougall —, aux assistantes à l’édition qui se sont succédées — Anna Maria Navas, Nadia Qureshi et Sofia Ferreyro-Mazieres — ou à mes collègues rédacteurs. Jamais je n’ai senti d’impatience de leur part. J’ai toujours senti plutôt un grand respect et une grande ouverture pour mes questionnements, mes demandes, mes idées, mes façons de faire. Je leur en suis infiniment reconnaissante. J’ai une pensée spéciale pour Nadia Qureshi, dont l’entrée en poste a coïncidé à peu près avec le changement chez Springer et la préparation du numéro spécial sur les dispositifs de formation à l’enseignement des mathématiques dont j’avais la responsabilité avec Frédérick Tempier. Ce fut pour elle un véritable baptême de feu !

Évidemment, je ne pourrais être rédactrice à la Revue si celle-ci ne recevait pas de manuscrits en français avec les mathématiques comme discipline de référence. Je remercie tous les auteurs qui ont soumis un manuscrit à la Revue depuis que je suis rédactrice : merci d’avoir choisi la Revue pour partager vos idées et vos recherches, merci de nous avoir fait confiance et merci surtout d’être été si ouverts à la critique ! J’en profite pour les inviter à récidiver dans un avenir pas trop éloigné et pour inviter les autres à choisir la Revue pour leurs prochaines publications !

Enfin, je m’en voudrais de laisser dans l’ombre le travail des évaluateurs, qui, justement, travaillent dans l’ombre ! Leur contribution est si importante pour la rédactrice que je suis … Merci pour votre disponibilité, vous que je sais fort engagés dans votre métier, merci pour votre ouverture d’esprit, votre rigueur, votre patience ! Merci aussi d’être constructifs et d’aider, d’une part, les auteurs à améliorer leurs manuscrits et, d’autre part, la Revue dans sa quête de l’excellence !

Ma conception de la didactique des mathématiques continue de se façonner en grande partie par les écrits que je lis. Si je me suis toujours fait un devoir de lire en anglais, les travaux rédigés dans ma langue maternelle ont toujours eu un rôle important dans l’avancement de mes réflexions et une place de choix dans mes travaux. Très tôt, la RCESMT est devenue un lieu de prédilection pour découvrir les travaux de mes collègues francophones canadiens et étrangers. Un des souhaits que je formule pour l’avenir est qu’elle puisse continuer de jouer ce rôle auprès des nouvelles générations de chercheurs francophones en didactique des mathématiques.