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La sagesse de Pierre Charron et le scepticisme académique

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Academic Scepticism in the Development of Early Modern Philosophy

Abstract

Pierre Charron vécut de 1541 à 1603 et publia De la sagesse en 1601. Ce traité peut être compris comme un traité d’éducation, voire un traité d’initiation. Pour Charron, il s’agit d’initier le disciple à une certaine manière de penser et d’agir fréquente dans l’Antiquité, mais qui serait peu à peu tombée dans l’oubli. La perspective pédagogique du traité et la critique qui y est faite des artifices de la culture étant essentielles à son interprétation, nous nous proposons d’expliquer en quoi consisterait la sagesse à laquelle le disciple ou « escholier » doit être initié. Selon nous, elle consiste principalement à désapprendre à penser et à agir selon certaines certitudes, fausses mais consolidées, afin que les liens naturels avec le monde puissent être rétablis sans obstacle, avec plaisir, rendant l’homme à la pureté dont l’ont séparé les passions, l’opinion, la science et la superstition, principaux artifices culturels.

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Notes

  1. 1.

    À Bordeaux, chez Simon Millanges. Au même endroit ont également été publiés Les trois véritez contre les Athées, Idolatres, Iuifs, Mahumetans, Heretiques, & Schismatiques (1593) et les Discours Chrestiens (1601).

  2. 2.

    Cf. Michel Adam, Etudes sur Pierre Charron, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 1991, p. 14.

  3. 3.

    Les paroles de Naudé sont rappelées par Charles Sorel dans sa Bibliothèque françoise: “Qu’il l’estimoit tant qu’il le préféroit à Socrate; Que Socrate n’avoit parlé a ses disciples que confusément, & selon les ocurrences, au lieu que Charron avoit réduit la Sagesse en Art, ce qui estoit une oeuvre Divine” (Cité par Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, art. «Charron», rem. O, 5e édition, Amsterdam/Leyde/La Haye/Utrecht, P. Brunel et. al., tome II, p. 147a). Pour un bon résumé des éloges qu’a suscités De la sagesse parmi les érudits français, voir Renée Kogel, Pierre Charron, Genève, Droz, 1972, pp. 158–161. Quant à son influence en Angleterre, on trouvera des données surprenantes dans Françoise Pellan, « Laurence Sterne indebtedness to Charron », The Modern Language Review, Vol. 67, N° 4 (Oct., 1972), pp. 752–755 et dans Françoise Charles-Daubert, « Charron et l’Angleterre », Recherches sur le XVIIe. Siècle, 1982, pp. 53–56.

  4. 4.

    «J’adjouste icy deux ou trois mots de bonne foy, l’un que j’ay questé par cy par là, et tiré la plus part des materiaux de cet ouvrage des meilleurs autheurs qui ont traitté cette matiere Morale et Politique, vraye science de l’homme, tant ancienne specialement Seneque et Plutarque grands docteurs en icelle, que modernes. C’est le recueil d’une partie de mes estudes: la forme et l’ordre sont à moy» (Pierre Charron, De la sagesse, Paris, Fayard, 1986, pp. 33–34).

  5. 5.

    Ibid., p. 414.

  6. 6.

    « Mais je mettray icy les points et chefs principaux de prudence, qui seront advis generaux et communs pour instruire en gros nótre disciple, à se bien et sagement conduire et porter au trafic et commerce du monde, et au maniment de tous affaires » (Ibid., p. 509). Voir aussi p. 417 (« nostre Escholier ») et p. 461 (« celuy que j’instruis icy »). Concernant cet aspect et d’autres, le traité De la sagesse pourrait être mis en rapport avec l’Éthique à Nicomaque.

  7. 7.

    Une des plaintes les plus célèbres formulées en raison de l’ordre «excessif» de l’œuvre de Charron se trouve chez Pascal, pour qui les divisions de La sagesse «attristent et ennuient» (Cf. Pascal, Pensées, [Lafuma] 780 [Brunschvicg] 62).

  8. 8.

    De la sagesse, p. 629.

  9. 9.

    Ibid., p. 7.

  10. 10.

    Il pourrait s’avérer étrange de considérer la passion comme un « artifice culturel » dans la mesure où, à première vue, elle semble l’expression immédiate de la nature. Pour Charron, cependant, les passions sont filles de l’opinion, comme cela apparait clairement dans le passage suivant: « Voila les principaux vents d’où naissent les tempetes de nostre ame: et la caverne d’où ils sortent, n’est que la opinion (qui est ordinairement fauce, vague, incertaine, contraire à la nature, verité, raison, certitude) que l’on a, que les choses qui se presentent à nous, sont bonnes ou mauvaises: car les ayant apprehendées telles, nous les recherchons ou fuyons avec vehemence, ce sont nos passions ». (Ibid., p. 159).

  11. 11.

    Ibid., pp. 7–8.

  12. 12.

    Ibid., p. 34.

  13. 13.

    Ainsi dit le sonnet qui accompagne le frontispice: « La Sagesse est à nud, droicte et sans artifice,/D’Olive et de Laurier son chef est verdoyant,/Son mirouër est tenu des doigts du foudroyant,/Et s’esleve au dessus du Cube de Justice./Sous ses pieds au carcan, les meres de tout vice/Pietinant de despit, grommelant, abboyant,/Contr’elle en vain l’effort de leur rage employant,/Tant de Sagesse est fort et ferme l’edifice./La passion s’anime impetueusement;/Le peuple favorise et porte obstinément/La folle opinion, sourde, aveugle et perverse;/Tremblante et sans sçavoir la superstition/S’estrangle d’elle mesme; et la presomption/De la pedanterie est mise à la renverse » (Ibid., p. 8).

  14. 14.

    Sur ce point, voir Emmanuel Buron, « Pragmatique de l’imagination. L’opinion dans le traité De la sagesse de Pierre Charron », Camenae, N° 8, décembre 2010, p. 2.

  15. 15.

    Petit traicté de sagesse, p. 824. Sur les différences des philosophes et des théologiens concernant le traitement de la « sagesse divine », voir Ibid., pp. 824–825.

  16. 16.

    « De cette Sagesse divine n’entendons aussi parler icy: elle est en certain sens et mesure, traittee en ma premiere verité, et en mes discours de la Divinité. » (Ibid., p. 825).

  17. 17.

    Ibid.

  18. 18.

    « [J]e ne formois icy ou instruisois un homme pour le cloistre, mais pour le monde, la vie commune et civile, ny ne faisois icy le Theologien ni le Cathedran, ou dogmatisant, ne m’assubjettissant scrupuleusement à leurs formes, regles, stile, ains usois de la liberté Academique et Philosophique. » (Ibid., p. 35).

  19. 19.

    Petit traicté de sagesse, p. 824.

  20. 20.

    De la sagesse, p. 35.

  21. 21.

    Ibid., p. 36.

  22. 22.

    Ibid., p. 37. Sur la doctrine des tempéraments de Charron et l’influence d’Huarte de San Juan sur celle-ci, voir Gianni Paganini, « “Sages”, “spirituels”, “esprits forts”. Filosofia dell’ “esprit” e tipologia umana nell’opera di Pierre Charron », dans Vittorio Dini et Domenico Taranto (eds), La saggezza moderna. Temi e problemi dell’opera di Pierre Charron, Naples, Edizioni Scientifiche Italiane, 1987, spécialement p. 124.

  23. 23.

    Ibid., p. 38.

  24. 24.

    Cf. Ibid., pp. 291–293. «Or à ces tels esprits foibles de nature, enflez et empeschez de l’acquis comme ennemis formels de Sagesse (laquelle requiert un esprit de nature fort, vigoureux et genereux, et puis doux, modeste, souple, qui suit volontiers la raison) je fais la guerre par exprez en mon livre, et c’est souvent sous ce mot de Pedant, n’en trouvant point d’autre plus propre, et qui est usurpé en ce sens par plusieurs bons autheurs» (Petit traicté de sagesse, p. 850).

  25. 25.

    De la sagesse, p. 291. A notre sens, cette critique de l’« eschole d’Aristote » suffirait à mettre en cause la filiation thomiste (bien qu’hétérodoxe) de Charron que propose Christian Belin dans L’oeuvre de Pierre Charron 1541–1603. Littérature et théologie de Montaigne à Port Royal, Paris, Champion, 1995; voir notamment, pp. 60, 67, 112–113, 183, 193, 197–198 y 290.

  26. 26.

    Ici, Charron explicite clairement qu’il exclut des « loix municipales » celles provenant de la vérité divine révélée et de la religion (De la sagesse, p. 292). Sur l’expression « loix municipales », voir Montaigne, Les Essais, Édition Villey-Saulnier, préface de Marcel Conche, Paris, PUF, 2004, pp. 523–524.

  27. 27.

    « Chacun appelle Barbarie ce qui n’est de son goust et usage, et semble que nous n’avons autre touche de verité et raison que l’exemple et l’Idée des opinions et usances du pays ou nous sommes. » (De la sagesse, p. 406. Cf. pp. 392–93). Il s’agit d’un autre passage emprunté à Montaigne; voir Les Essais, ed. cit., p. 205.

  28. 28.

    De la sagesse, p. 392.

  29. 29.

    Concernant les croyances religieuses, Charron écrit dans la première édition: « Secondement, nous trouvons qu’en ces nouvelles terres [les Indes Orientales et Occidentales], presque toutes les choses que nous estimons icy tant, et les tenons nous avoir esté premierement revelées et envoyées du ciel, estoit en creance et observance commume plusieurs mille ans auparavant qu’en eussions ouy les premieres nouvelles (…) comme la creance d’un seul premier homme pere de tous, du deluge universel, d’un Dieu qui vesquit autrefois en homme vierge et saint, du jour du jugement, du purgatoire, resurrection des morts, observation des jeusnes. » (Ibid., pp. 397–398).

    Le début du passage, qui visait clairement à relativiser le christianisme, a été nuancé dans la deuxième édition par une question, devenant ainsi: «qu’en ces nouvelles terres presque toutes les choses que nous estimons ici tant, et les tenons nous avoir esté premierement revelées et envoyées du ciel, estoient en creance et observance commune (d’où qu’elles soient venues je ne touche point là, qui en oze determiner)?» (Ibid., p. 409).

  30. 30.

    Ibid., p. 407.

  31. 31.

    Ibid., p. 406.

  32. 32.

    Ibid., p. 385.

  33. 33.

    Ibid., p. 411.

  34. 34.

    Nous faisons référence aux liens de Charron avec la Ligue catholique, liens qu’il reconnait et dont il se rétracte dans le Discours chrestien qu’il n’est permis au subjet pour quelque cause et raison que se soit, de se liguer, bander, et rebeller contre son Roy. Extrait d’une Lettre escrite à un Docteur de la Sorbonne en Avril 1589, par P. Charron Parisien, Chantre et Chanoine Theologal en l’Eglise de Condom (Cf. De la sagesse, ed. cit., pp. 872–879)

  35. 35.

    Ibid., p. 414.

  36. 36.

    Ibid., p. 415. Cf. Montaigne, Les Essais, ed. cit., p. 1011.

  37. 37.

    Ibid., pp. 386.

  38. 38.

    Ibid., p. 388.

  39. 39.

    Ibid., p. 389.

  40. 40.

    «Il n’y a raison qui n’en aye une contraire, dit la plus saine et plus seure Philosophie.» (Ibid., p. 137).

  41. 41.

    Ibid., p. 388 (1e édition).

  42. 42.

    Une des premières références à cette devise, sans attribution spécifique, se trouve dans Gui Patin (Lettres de Gui Patin, édition de J.-H. Reveillé-Parise, Paris, chez J.-B. Bailliére, 1846, vol. II, p. 277). René Pintard (Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe. siècle, Paris, Boivin, 1943, vol. I, p. 109) l’attribue à Cremonini.

  43. 43.

    Petit traicté, p. 835. Cf. De la sagesse, pp. 392–393.

  44. 44.

    « Ils diront aussi que c’est une grande peine de ne se pouvoir resoudre, demeurer tousjours en doute et perplexe, voyre qu’il est difficile de se tenir longuement en cet état. Ils ont raison de le dire, car ils le sentent ainsi en eux mesmes, cela est aux fols et aux foibles: aux fols presomptueux, partisans, passionez prevenus et aheurtés à certaines opinions, qui condamnent fierement toutes les autres, encores qu’ils soyent convaincus, ne se rendent jamais, se despitent et mettent en cholere, ne recognoissent bonne foy: s’ils sont contraints de changer d’advis, les voyla retournes, autant resolus et opiniatres en leur nouveau advis qu’ils estoient auparavant au premier, ne sçavent rien tenir sans passion, et jamais ne disputent pour apprendre et trouver la verité, mais pour soutenir ce qu’ils ont desja espousé et juré. » (De la sagesse, p. 403).

  45. 45.

    Ibid., p. 404.

  46. 46.

    Il convient de citer le passage entier : « Entre nous et ceux qui croient posséder la science, la seule différence est qu’ils ne doutent pas de la vérité des opinions qu’ils soutiennent, tandis que nous regardons comme probables bien des croyances auxquelles nous sommes disposés à nous rallier mais dont nous ne pouvons pas affirmer la vérité. Cela fait que nous jouissons d’une plus grande liberté, sommes plus indépendants : notre pouvoir de juger ne connait pas d’entrave, nous n’avons à obéir à aucune prescription, à aucun ordre, dirai-je presque, nulle obligation ne s’impose à nous de défendre une cause quelconque » (Cicéron, De la divination. Du destin. Académiques, éd. Charles Appuhn, Paris, Garnier, 1937, p. 359).

  47. 47.

    « The integrity of man’s capacity of rational examination is maintained in epoché. It is therefore in epoché that reason – therefore the human being – attains its fully fledged perfection and excellence » (José Raimundo Maia Neto, « Charron’s Academic Sceptical Wisdom », in G. Paganini and J. R. Maia Neto (eds.), Renaissance scepticisms, Dordrecht, Springer, 2009, p. 221).

  48. 48.

    Cf. De la sagesse, p. 405: « jamais Accademicien ou Pyrrhonien ne sera heretique, ce sont choses opposites ».

  49. 49.

    La comparaison avec Montaigne est particulièrement pertinente ici dans la mesure où plusieurs expressions du passage cité par Charron (surtout si nous prenons en compte la première édition où est incluse la même référence à Cicéron; cf. De la sagesse, p. 391) sont empruntées à l’Apologie de Raimond Sebond. Ainsi, Montaigne dit par exemple: « Si noz facultez intellectuelles et sensibles sont sans fondement et sans pied, si elles ne font que flotter et vanter, pour neant laissons nous emporter nostre jugement à aucune partie de leur operation, quelque apparence qu’elle semble nous presenter; et la plus seure assiete de nostre entendement, et la plus heureuse, ce seroit celle là où il se maintiendroit rassis, droit, inflexible, sans bransle et sans agitation » (Les Essais, II, XII, ed. cit., p. 562). Or, comme nous le verrons par la suite, le contexte de ces paroles de Montaigne est une argumentation justement contre la soi-disant prétention académique d’admettre le « vraysemblable » comme critère de vérité et en faveur de « l’advis des Pyrrhoniens ».

  50. 50.

    Nous apportons cette précision du fait que Charron semble parfois apparenter son idéal de sage à divers courants philosophiques de l’Antiquité. C’est notamment le cas dans ce passage de la première édition du traité: « C’est à peu pres et en quelque sens l’Ataraxie des Pyrroniens qu’ils appellent le souverain bien, la neutralité et indifference des Academiciens, de laquelle est germain ou procede, de rien ne s’estonner, ne rien admirer, le Souverain bien de Pythagoras, la vraye magnanimité d’Aristote. » (De la sagesse, p. 391. Cf. Ibid., p. 410).

  51. 51.

    Petit traicté, p. 858.

  52. 52.

    Cf. De la sagesse, pp. 77, 89, 94, 211, 387, 396; Petit traicté, pp. 838 et 858.

  53. 53.

    Cf. supra, n. 51. Dans le texte des Essais, on peut lire « [l]’advis des Pyrrhoniens est plus hardy et, quant et quant, plus vraysemblable ». L’édition Villey-Saulnier note pour sa part que, comme il fallait s’y attendre, dans les éditions corrigées par Montaigne lui-même l’expression est « quant et quant beaucoup plus véritable, et plus ferme. » (Les Essais, II, XII, ed. cit., p. 561, n. 10).

  54. 54.

    « Car cette inclination Académique et cette propension à une proposition plustost qu’à une autre, qu’est-ce autre chose que la recognoissance de quelque plus apparente verité en cette cy qu’en celle-là? Si nostre entendement est capable de la forme, des lineamens, du port et du visage de la verité, il la verroit entiere aussi bien que demie, naissante et imperfecte. Cette apparence de verisimilitude qui les faict pendre plustost à gauche qu’à droite, augmentez-la; cette once de verisimilitude que incline la balance, multipliez la de cent, de mille onces, il en adviendra en fin que la balance prendra party tout à faict, et arrestera un chois et une verité entiere. Mais comment se laissent ils plier à la vray-semblance, s’ils ne cognoissent le vray? Comment cognoissent ils la semblance de ce dequoy ils ne connoissent pas l’essence? Ou nous pouvons juger tout à faict, ou tout à faict nous ne le pouvons pas. » (Les Essais, II, XII, ed. cit., pp. 561–562). On trouve déjà cette critique chez Saint-Augustin, Contra academicos, II.12.27.

  55. 55.

    Citons le passage fort connu de HP I, 1–4: « Quand on mène une recherche sur un sujet déterminé, il s’ensuit apparemment soit qu’on fait une découverte, soit qu’on dénie avoir fait une découverte et qu’on reconnaît que la chose est insaisissable, soit qu’on continue la recherche. C’est sans doute pourquoi en ce qui concerne les objets de recherche philosophique eux aussi, certains ont déclaré qu’ils avaient découvert le vrai, d’autres ont nié qu’il puisse être saisi, d’autres cherchent encore. Ainsi pensent l’avoir trouvé ceux qu’on appelle dogmatiques, au sens propre, par exemple les partisans d’Aristote et d’Épicure, les stoïciens, et quelques autres; ont soutenu qu’il concerne les choses insaisissables les partisans de Clitomaque et de Carnéade, et les autres académiciens; continuent de chercher les sceptiques. A partir de cela on estime raisonnablement que les philosophies dominantes sont trois: dogmatique, académique, sceptique. » (Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, introduction, traduction et commentaires par Pierre Pellegrin, Paris, du Seuil, 1997, pp. 52–53). Sextus réitèrera plus loin cette différence (HP, I, 226): « Les membres de la nouvelle Académie, même s’ils disent que toutes les choses sont insaisissables, diffèrent sans doute des sceptiques d’abord justement en disant que toutes les choses sont insaisissables (en effet ils assurent cela, alors que le sceptique s’attend à ce qu’il soit possible que telle chose soit saisissable). »

  56. 56.

    Citons à nouveau Sextus (HP, I, 229–230): « Même si les académiciens et les sceptiques disent avoir été persuadés de certaines choses, la différence entre ces philosophies n’en est pas moins obvie. Car “être persuadé” est employé différemment: c’est d’une part ne pas résister mais suivre simplement sans forte inclination ni penchant, comme on dit que l’enfant est persuadé par son pédagogue; mais c’est parfois donner son assentiment à quelque chose selon une volonté ferme à la suite d’un choix et en quelque sorte d’une sympathie, comme on dit qu’un prodigue est persuadé par celui que prise un mode de vie dispendieux. C’est pourquoi, puisque les partisans de Carnéade et de Clitomaque disent qu’ils sont persuadés par une forte inclination et que quelque chose peut être plausible [pithanon], alors que nous-mêmes disons céder simplement sans penchant, sur ce point aussi nous différons d’eux. »

  57. 57.

    Cf. Cic. Acad., II, 78. Voir sur ce point, Maria Lorenza Chiesara, Historia del escepticismo griego, traduction de P. Bádenas de la Peña, Madrid, Siruela, pp. 60 et 83.

  58. 58.

    Les articles de Couissin ont plus de quatre-vingts ans; pourtant, leur influence est encore remarquable : Pierre Couissin, « L’origine et l’évolution de l’époche », Revue des Études Grecques, 42, 1929, pp. 373–393, et Pierre Couissin, « Le Stoïcisme de la Nouvelle Académie », Revue d’histoire de la philosophie, 3, 1929, pp. 241–276 (une traduction en anglais de ce dernier se trouve dans M. Burnyeat (ed.), The Scepticial Tradition, Los Angeles, University of California Press, 1983, pp. 31–63).

  59. 59.

    Cf. Roberto Bolzani Filho, “Acadêmicos versus pirrônicos”, Sképsis, ano IV, N° 7, 2011, pp. 10–11.

  60. 60.

    Cf. Ibid., p. 14.

  61. 61.

    Ibid., p. 21.

  62. 62.

    Ibid., p. 47.

  63. 63.

    Cf. A. M. Ioppolo, Opinione e Scienza: Il dibattito tra Stoici e Accademici nel III en el II secolo a. c., Napoli, Bibliopolis, 1986, pp. 13, 19, 20, 50.

  64. 64.

    Ibid., pp. 11, 28, 57, 91, 123, etc. Sur ce débat, voir aussi Henry Maconi, « Nova Non Philosophandi Philosophia: A Review of Anna Maria Ioppolo, Opinione e Scienza », dans J. Annas (ed.), Oxford Studies in Ancient Philosophy, Vol. VI, Oxford, Clarendon Press, 1988, pp. 231–253.

  65. 65.

    Sextus Empiricus l’a explicitement affirmé dans Adversus mathematicos, bien qu’en se référant exclusivement à Arcésilas: « But to refuse assent is nothing else than to suspend judgement; therefore the wise man will in all cases suspend judgement. But inasmuch as it was necessary, in the next place, to investigate also the conduct of life, which cannot, naturally, be directed without a criterion, upon which happiness –that is, the end of life– depends for its assurance, Arcesilaus asserts that he who suspends judgement about everything will regulate his inclinations and aversions and his actions in general by the rule of “the reasonable” and by proceeding in accordance with this criterion he will act rightly; for happiness is attained by means of wisdom, and wisdom consists in right actions, and the right action is that which, when performed, possesses a reasonable justification. He, therefore, who attends to “the reasonable” will act rightly and be happy» (AM, VII, 158; je prends le texte de l’édition de R. G. Bury, Against the Logicians, I, Cambridge/London, Harvard University Press, 1935, pp. 85–87).

  66. 66.

    Plutarque, Adversus Colotem, 1122 B-F; je prends le passage de A. A. Long et D. N. Sedley (eds.), The Helenistic Philosophers, Vol. I, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 450.

  67. 67.

    Ibid., p. 375.

  68. 68.

    Ibid., p. 385.

  69. 69.

    « Ayant appresté et disposé nostre Escholier à la sagesse, par les advis precedents, c’est à dire, l’ayant purifié et affranchy de tous maux, et mis en bel estat d’une liberté pleine et universelle, pour avoir veuë, cognoissance, et maitrise sur toutes choses (qui est le privilege du sage et spirituel, spiritualis omnia dijudicat) il est maintenant temps de luy donner les leçons, et les regles generales de sagesse. » (Ibid., p. 417).

  70. 70.

    Ibid., p. 33.

  71. 71.

    Les deux premières sont considérées comme les fondements; les huit autres seraient les règles proprement dites. Pour le développement que Charron fait de toutes, voir De la sagesse, livre II, chapitres III à XII.

  72. 72.

    Ibid, p. 33.

  73. 73.

    Petit traicté, p. 844.

  74. 74.

    « Elle n’est pas un état de fait, sinon il serait abusif de la prendre pour guide, puisqu’il n’est pas besoin de recommander de prendre pour guide ce qui est simplement donné. La nature est considerée comme la représentation de ce qui est universel, ceci exige d’être semblable partout, à commencer par ce qui est susceptible de penser l’universel, c’est à dire, notre raison. » (M. Adam, Etudes sur Pierre Charron, ed. cit., p. 59).

  75. 75.

    « Nature est un doux guide, mais non plus douce que prudent est juste. » (Montaigne, Les Essais, ed. cit., p. 1113). Cf. Adam, op. cit., p. 80.

  76. 76.

    Ibid.

  77. 77.

    Charron « ne voit pas tant dans la nature le lieu des désirs ou des inclinations, que le moraliste considère comme une prédisposition au pasionnel, que la présence d’une pensée, l’expression du rationnel. » (Ibid., p. 61).

  78. 78.

    Véase Ibid., p. 431.

  79. 79.

    Ibid., p. 428. Les italiques nous appartiennent.

  80. 80.

    «Apprenons des bestes, lesquelles se laissent guider à la simplicité de nature, et menent une vie douce, paisible, innocente avec toute liberté, repos, seureté, exemptes de tant de maux, vices, dereglemens, que l’homme prend pour sa part à faute de croire et suivre nature. Qui a rendu Socrates et tous les autres grands hommes que j’ay nommé au commencement si sages, que la pratique de cette leçon?» (Petit traicté, p. 845). Voir aussi De la sagesse, p. 219.

  81. 81.

    «Tout le monde suit nature, la regle premiere et universelle, que son autheur y a mis et établi, sinon l’homme seul qui trouble la police et l’état du monde, avec son gentil esprit et son liberal arbitre; c’est le seul déreglé et ennemy de nature» (Ibid., pp. 428–429). Sur le présomptueux dédain de l’homme pour les animaux, cf. Ibid., p. 274.

  82. 82.

    Pour la distinction entre «naturel» et «sauvage», voir Ibid., p. 37.

  83. 83.

    «Au contraire», car c’est la science, les passions, la superstition, et, généralement, l’opinion, qui nous rendent sauvages, c’est-à-dire qui nous font considérer les autres hommes comme des ennemis: des êtres à craindre, à tuer, à soumettre ou auxquels obéir.

  84. 84.

    Rappelons Plutarque dans le passage cité plus haut de l’Adversus Colotem: « car la raison nous empêche de céder à l’opinion, mais non à l’impulsion ni à l’imagination. »

  85. 85.

    Par exemple, De la sagesse, p. 425. Nous soulignons.

  86. 86.

    Ibid.

  87. 87.

    « J’ay veu en mon temps cent artisans, cent laboureurs, plus sages et plus heureux que des recteurs de l’université, et lesquels j’aimerois mieux ressembler. » (Montaigne, Les Essais, ed. cit., p. 487).

  88. 88.

    « Mais non seulement nous ne la croyons [à la nature], escoutons, et suyvons comme porte le conseil des Sages, mais encores (…) nous eschivons tous à elle, nous la laissons dormir et chommer, aymans mieux mendier ailleurs nostre apprentissage, recourir à l’estude et à l’art, que de nous contenter de ce qui croit chez nous. (…) Et puis nous avons ce vice que nous n’estimons point ce qui croit chez nous, nous n’estimons que ce qui s’achepte, ce qui coute, et s’apporte de dehors; nous preferons l’art à la nature, nous fermons en plain midy les fenestres, et allumons les chandelles. » (Charron, De la sagesse, p. 426).

  89. 89.

    HP, I, 24.

  90. 90.

    Petit traicté, p. 844.

  91. 91.

    De la sagesse, p. 422.

  92. 92.

    « Quid Natura nisi Deus, et divina ratio toti mundo et partibus eius inserta?» (Ibid.; citation modifiée de Sénèque De beneficiis, IV, 7, 1)

  93. 93.

    Charron emprunte des passages tant à La Philosophie morale des Stoiques qu’à La Sainte Philosophie, du moins, dans les chapitres XXXI, «Contre la colère», XXXIII, «Contre l’envie», XXXIV, «Contre la vengeance», XXXV, «Contre la jalousie», XLI, «Plaisir charnel, Chasteté, Continence», et XLII, «De la gloire et l’ambition».

    Rappelons, d’autre part, que quelqu’un, peut-être Guez de Balzac, qualifia péjorativement Charron, de «secrétaire de Montaigne et de Du Vair» (Sorel, Bibliothéque françoise, cité par Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, art. “Charron”, rem. O, ed. cit., tome II, p. 147a).

  94. 94.

    De la sagesse, p. 790.

  95. 95.

    Sur ce point, voir Louise Fothergill-Payne, « Seneca’s role in popularizing Epicurus in the sixteenth century », dans M. Osler (ed.), Atoms, Pneuma and Tranquillity. Epicurean and Stoic Themes in European Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, pp. 115–133.

  96. 96.

    «Il y en a de spirituelles et corporelles, non qu’à vray dire elles soyent separées: car elles sont toutes de l’homme entier et de tout le sujet composé» (Ibid., p. 785).

  97. 97.

    « La maladie et la douleur (…) sont les plus grands, et peut estre les seuls maux de l’homme. » (Ibid., p. 67. Voir aussi p. 255).

  98. 98.

    « [M]ais pource que la vertu fait plus de bruit et déclat, et agit avec plus de vehemence que la bonté, elle est plus admirée et estimée du populaire, qui est sot juge, mais c’est à tort. Car ces grandes enleveures et extravagantes productions, qui semblent étre tout zele et tout feu, ne sont pas du jeu, et n’appartiennent aucunement à la vraye preud’hommie; ce sont plustost maladies et accez fievreux, bien eslongnez de la sagesse, que nour requerons icy, douce, equable, et uniforme. » (Ibid., pp. 432–433).

  99. 99.

    C’est ce que semble suggérer l’étude déjà ancienne, mais encore très utile de J. B. Sabrié, De l’humanisme au rationalisme. Pierre Charron (1541–1603), Paris, Alcan, 1912.

  100. 100.

    Domenico Taranto, « Il posto dello scetticismo nell’architettonica della “Sagesse” », dans Vittorio Dini et Domenico Taranto (eds), La saggezza moderna. Temi e problemi dell’opera di Pierre Charron, ed. cit., p. 9.

  101. 101.

    Voir M. Adam, op. cit., p. 61.

  102. 102.

    De la sagesse, p. 234.

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Bahr, F. (2017). La sagesse de Pierre Charron et le scepticisme académique. In: Smith, P., Charles, S. (eds) Academic Scepticism in the Development of Early Modern Philosophy. International Archives of the History of Ideas Archives internationales d'histoire des idées, vol 221. Springer, Cham. https://doi.org/10.1007/978-3-319-45424-5_3

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