Abstract
Towards the end of his life, Edmund Husserl became strangely interested by something like a new type of “Science of Life” or a “Biology”, which could be, he said, a “universal science”. Beside this, there was of course the new great topic of the World of Life, or, to say it like it is well-known, the “Life-World” (Lebenswelt). Even if Husserl was, for good reasons, very careful and prudent about “sciences” in general, and especially about the “Galilean mathematization of nature”, which was making some “schizophrenia”, some separation from life, and was pushing the “European humanity” to a treason of the deep inside of its life, it seems that these ultimate phenomenological ideas are really promising for us today, for our culture and future. But just before the founder of Phenomenology, Friedrich Nietzsche was always thinking and talking about a(n) (eternal) return to life, and, more precisely, about the physiological roots of so many things, and especially in our world, the world of human rationality. More recently, Francisco J. Varela, who was influenced by Maurice Merleau-Ponty, tried to inaugurate, after Hans Jonas and Jan Patocka, a new kind of “philosophical biology”, which can be a radical research about “life in mind” and “mind in life”. If the “embodied mind”, and more generally, the “embodiment” became in our time something like a “mainstream”, it is precisely because, as Nietzsche said, “Mind” and “Life” can never be separated from each other. What is even more important in that theory is that it could be the first step for a radical rethink of all that the philosophical tradition had called “Sensible” and “Intelligible”, with their relations or interactions. It would also mean that “Matter” and “Form” can never be separated from each other. If we try like this to “listen” to the “life” of things, or to “see” them in this new way, this silent way, we will be, in some sense, more “living” and more “thinking”. Some recent research in Biology, in “Biosemiotics”, is talking nowadays about “Signs of Life and Life of Signs”. This new “Biology of signification”, with an evolutionary approach of a “natural history of intentionality”, which could also be a radical theory of meaning, will be perhaps, some day, our greatest science and philosophy.
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L’œuvre de Husserl est marquée tout entière par des nouveautés successives, des questions qui surgissent, qui reprennent comme un héritage, et le porte encore plus loin, vers de nouveaux horizons. Aussi, le père de la phénoménologie, voulait-il même à la fin “tout reprendre à zéro”.Footnote 1 Mais la question philosophique de la “vie”, ou d’une “science de la vie”, occupe quant à elle une place à part, et restera présente jusqu’à la fin, comme soubassement d’un problème, que Husserl appellera finalement “la crise de la science” ou même “la crise de l’humanité européenne”.Footnote 2 Il apparaît clairement petit à petit que la “vie” de cette “humanité européenne” est la question la plus chère, le véritable souci du fondateur de la phénoménologie. C’est cette humanité-là qui souffre dans le monde moderne d’un rapport bizarre ou équivoque, presque schizophrénique, à sa propre vie, et même, pourrait-on dire, à la vie en général. Le tournant copernico-galiléen porte ses fruits, et imprime sa marque, celle d’une mathématisation de la nature, qui la rend exploitable industriellement à des fins utilitaires, et la rend de ce fait extrêmement vulnérable.Footnote 3 C’est pourtant, l’auteur de cette révolution, l’homme lui-même, qui se retrouve pris au piège de sa propre force, et comme victime de son propre narcissisme: il perd subrepticement sa place de maître et devient de plus en plus esclave de son propre projet. Ce qui sera repris par d’autres philosophes, tout au long du XXème siècle, trouve ici en Husserl un avocat ou un procureur d’une rare éloquence et d’une grande pertinence. Mais plus fondamentalement encore, l’apparition à la fin du thème du Lebenswelt parvient à reprendre toute la dynamique des recherches phénoménologiques, et à radicaliser cela même qu’il nomme le “retour aux choses mêmes”. Où est donc passé le sens du “projet” philosophique millénaire de “l’humanité européenne”?Footnote 4 On a quelque peu perdu sa trace, on a rompu insidieusement avec lui, sans même le savoir: on a perdu justement nos liens aux “choses mêmes”, au “monde de la vie”.
Les sciences de la vie et la phénoménologie semblent vouloir depuis quelques temps entretenir des relations privilégiées. Depuis l’œuvre du fondateur, et jusqu’à nous, une certaine alliance s’approfondit jour après jour, et connaît aujourd’hui une véritable effervescence.Footnote 5 Il faut bien avouer tout d’abord que, dans la phase ultime de son œuvre, Husserl avait étrangement laissé entendre qu’un dialogue, entre la phénoménologie et une nouvelle forme de “science de la vie” ou même de “biologie”, était non seulement souhaitable mais nécessaire; car cette science à venir, disait-il, pourrait même devenir un jour la “philosophie absolument universelle”.Footnote 6 Cette intérêt inattendu pour ce qui apparaît de prime abord comme une “science de la nature” parmi d’autres, qui participe donc à l’hégémonie du “naturalisme”, dénoncé par Husserl, n’est pourtant pas sans rappeler l’intérêt grandissant de Kant à la fin pour le “phénomène de la vie”, dans son ultime tentative critique, dans ce qui allait donner la Critique de la faculté de juger. Footnote 7 C’est justement ce qui allait susciter au moins à partir de Schelling et des “philosophies de la nature”,Footnote 8 et jusqu’à nos jours, la plus grande fascination. Ce qui est moins connu, en revanche, c’est que l’un de ces admirateurs fut un jour aussi un certain Friedrich Nietzsche. Très jeune, en effet, il projetait même de rédiger une “dissertation doctorale” sur le thème de “La téléologie”, et plus précisément encore sur “La téléologie depuis Kant”. Cette tentative laissera des traces significatives, sans aboutir à un véritable ouvrage.Footnote 9 Mais le point commun qui rassemble autour de lui le mieux tous les protagonistes, de Kant jusqu’à nous, en passant par Nietzsche et Husserl, c’est la dénonciation d’un certain “mécanicisme”, importé de la physique classique, et appliqué maladroitement à la “vie” ou au “vivant”. Nous ne pouvons d’ailleurs que constater, au moins chez ces trois philosophes, que la question de la “téléologie” occupe pour le moins une place privilégiée.Footnote 10 C’est ce qui allait créer la plus belle tension dans ces œuvres, et fera surgir rien de moins que la question du sens, qui oscille ainsi entre deux extrêmes, qui se trouve tendue comme un arc, en attente d’une flèche, d’une finalité, et peut-être même… d’un but.Footnote 11 Quels seraient alors les ressorts cachés de cette histoire, alors qu’on parle désormais de “Biologie de la signification”, ou de “Biosemiotics”,Footnote 12 après avoir tant insisté sur le corps vécu, l’organisme ou la chair (Leib, Body), et la corporéité vivante ou l’incarnation (Leiblichkeit, Embodiment) de l’esprit et du sens?Footnote 13 Il y a là sans doute une idée ou un chemin à suivre, qui mériterait toute notre attention. Essayons d’apporter une synthèse, et allons jusqu’au bout des conséquences.
Parmi les interprètes contemporains de Husserl, il y en a heureusement, qui sont là pour nous rappeler aussi le caractère novateur de son œuvre. Outre Merleau-Ponty,Footnote 14 qui s’en est si brillamment inspiré, et qui ne manquait pas de le rappeler, certains commentateurs éminents tiennent beaucoup, à juste titre, depuis longtemps, à nous rappeler qu’il y a chez Husserl toutes les prémisses d’un renouveau de la phénoménologie elle-même, laquelle, peut-être, si l’on en reste au défenseur de la “pureté” de la logique, contre le psychologisme et le biologisme, n’aurait peut-être pas une telle présence encore aujourd’hui.Footnote 15 Dan Zahavi, par exemple, auteur d’une œuvre foisonnante, aux confins de la phénoménologie, de la philosophie de l’esprit (Philosophy of Mind) et même des neurosciences cognitives,Footnote 16 fut parmi ceux qui ont bien montré, il a déjà bien longtemps, que la phénoménologie de Husserl, loin d’être simplement une philosophie traditionnelle (cartésienne et kantienne) de la subjectivité, est déjà en elle-même un tournant: pour lui, il est clair que le fondateur avait déjà grandement pensé la relation fondamentale entre le corps et la (ou l’inter)subjectivité, qu’il inaugure par son œuvre la pensée de l’ “Embodiment” du sujet transcendantal.Footnote 17 Cette façon de voir les choses a bien sûr été soulignée aussi, à plusieurs reprises, ailleurs.Footnote 18 Il semble en tout cas nécessaire aujourd’hui de dépasser la vision traditionnelle de la (première) phénoménologie husserlienne, celle des premières Recherches logiques, qui paraît finalement trop rigide ou trop statique, qui fait comme une fixation sur le thème de la conscience, et sur la “pureté” de la logique, alors que le même Husserl est aussi à l’origine d’une phénoménologie dynamique, ou pour être plus précis, d’une phénoménologie génétique, qui approfondit radicalement sa recherche des origines de l’esprit et du sens.Footnote 19 Cette phénoménologie nouvelle de la genèse profonde des actes intentionnels entraîne en effet avec elle un bouleversement, qui laisse apparaître de manière flagrante l’importance décisive du corps (Leib) dans le “monde de la vie” (Lebenswelt), la place prépondérante de l’affectivité dans la genèse, la dynamique, dans l’ “originarité” même de la conscience et du sens, pour aboutir finalement à cette étrange “intentionnalité pulsionnelle”,Footnote 20 qui inverse l’ordre les choses, en un sens quasiment nietzschéen, et renouvelle de fond en comble ou donne une nouvelle vie à la recherche phénoménologique.Footnote 21 Dans la mesure où il se retrouve ainsi à la recherche de ce qui est à l’arrière fond de la “conscience” ou de l’ “esprit”, de ce qui n’est encore que “vie”, Husserl semble alors étrangement se rapprocher progressivement du dernier Kant, celui de la troisième Critique, de l’Anthropologie et de l’Opus postumun, Footnote 22 de Schopenhauer, le philosophe de la Volonté universelle,Footnote 23 mais surtout de Nietzsche, et de sa “volonté de puissance” intentionnelle, Footnote 24 sans parler de la psychanalyse, et de ses discours sur les “pulsions”.Footnote 25 En allant d’une philosophie (ou d’une science) de l’esprit (Geisteswissenschaft), qui revendique d’abord son autonomie vis-à-vis des sciences de la nature (Naturwissenschaften), jusqu’à une philosophie (ou une science) de (ou du monde de) la vie, qui revendique sa proximité avec les sciences de la vie (Lebenswissenschaften), le fondateur de la phénoménologie nous laisse tantôt perplexes, tantôt enchantés par le caractère visionnaire de l’aboutissement ultime de son œuvre: mais c’est précisément ce que retiendra principalement la postérité au cour du XXème siècle, et c’est en tout cas ce qui hante manifestement la pensée actuelle.Footnote 26
Le rapport à Kant tout d’abord. On ne peut passer sous silence une certaine ressemblance: elle est patente ou latente, mais elle est là quelque part, aux alentours, dans les parages de cette quête, qui commence par interroger l’esprit, pour aboutir finalement à une interrogation du “phénomène de la vie” en général, laquelle se révèle, dans l’ordre d’arrivée, comme dans l’ordre de “préséance”, antérieure à l’esprit. Nous trouvons d’ailleurs l’ “intentionnalité pulsionnelle” dans le fameux manuscrit sur la Téléologie universelle. De quoi s’agit-il? Il ne s’agit rien de moins que de cette question: “ne pouvons nous pas ou ne nous faut-il pas supposer une intentionnalité pulsionnelle universelle ?”Footnote 27 Et Husserl nous dit: “Cela nous conduirait à concevoir une téléologie universelle comme une intentionnalité (pulsionnelle) universelle”.Footnote 28 Et qu’est-ce que cela englobe?
Y incluse, l’infinité des monades pourvues d’anima (animalisch), animales (tierisch), préanimales, d’un autre côté montant jusqu’à l’homme, d’un autre encore des monades enfantines, préenfantines – dans la continuité du développement “ontogénétique” <et> phylogénétique.
[…] la forme de la contexture générative, toutes les monades des degrés de monades, les animaux supérieurs et inférieurs, les plantes et leurs degrés inférieurs, et pour tous leurs développements ontogénétiques. Chaque monade essentiellement dans tel développement, toutes les monades essentiellement dans leurs développements génératifs.Footnote 29
On ne peut s’empêcher tout d’abord de penser à deux choses. D’abord, cette “téléologie universelle”, qui est celle d’une “intentionnalité pulsionnelle”, se trouve également chez les animaux et les plantes, et même dans les “degrés inférieurs” de celles-ci. On est alors en droit de se demander s’il ne s’agit pas ici finalement du vivant en général. N’y aurait-t-il pas alors une ressemblance avec Kant, avec l’ “ultime” Kant, qui, pour le moins, s’est penché sur la question de la téléologie dans la vie des vivants? Si Husserl a bien hérité quelque chose de l’auteur de la Critique de la faculté de juger, c’est la rigueur des distinctions, celles qui séparent la philosophie de la science, celles qui autorisent ou n’autorisent pas telle ou telle “extrapolation” philosophique. Mais il est aussi de notre devoir d’attirer l’attention sur un enjeu qui nous semble d’une importance capitale. Car si l’on va jusqu’au bout de la logique des choses, c’est le “transcendantalisme” lui-même, aussi différent soit-il chez l’un et l’autre des deux philosophes, qui se trouve dès lors “contaminé”. On peut continuer à faire comme si, comme s’il n’y avait rien, mais il peut y avoir ici indéniablement comme une “refonte” ou une “reforme” radicale du transcendantal, si l’on tient compte véritablement de l’affectivité chez Kant,Footnote 30 de l’affectivité et de l’intentionnalité pulsionnelle chez Husserl, pour comprendre la conscience ou l’esprit, ou pour repenser ce nous que appelons “subjectivité”. L’a priori dans les deux cas se retrouve alors, en effet, bien plus du côté du “corps” que du…côté de “l’esprit”,Footnote 31 qui, lui, se trouve à nouveau “fondée” sur quelque chose qui ne relève plus de lui, et se retrouve finalement comme à la surface, et non plus à l’origine des choses. Le fond caché de l’esprit est comme une “vie anonyme”, comme le dit admirablement Merleau-Ponty, qui n’a pas encore d’ “identité”, ou d(e) “(morale) (d’) état civil”, comme le dirait Michel Foucault. Elle est encore étrangère à nos “catégories” morales et intellectuelles, et elle nous déconcerte parfois, parce qu’elle est plus profonde que nous, peut-être parce que nous l’avions perdu de vue, peut-être aussi par peur de la “déraison” ou de la “folie”. Ce fond obscur, mais qui semble bien être pourtant à l’origine des “lumières” de la raison, et qui devient de nos jours l’objet d’un intérêt grandissant, est peut-être ce qu’il y a de plus prometteur, à la fois chez Kant, et chez le fondateur de la phénoménologie. N’est ce pas d’ailleurs au fond ce que Nietzsche a appelé le “dionysiaque”?Footnote 32
L’importance de la “physiologie”, et même pire, de la “biologie”,Footnote 33 dans la philosophie de Nietzsche, est une question épineuse, qui embarrasse encore aujourd’hui les commentateurs, même les plus éminents.Footnote 34 Il y a comme une petite peur qui se profile à l’horizon, dès lors qu’il s’agit de prendre au sérieux ces “fragments posthumes”, qui parlent en effet beaucoup de ce sujet, et qui, de surcroît, avaient d’abord eu le malheur d’être publiées, malencontreusement, sous le titre de La volonté de puissance. Footnote 35 Quand on découvre en plus, impliqués ou imbriqués, dans cette insupportable “physiologie”, les concepts ou les thèmes de la “décadence”, de la “dégénérescence” ou de la “dépression”,Footnote 36 sans parler du “nihilisme”, il n’y a plus alors qu’à s’en aller! Et ce pour une raison simple: ce qui fait peur à maints égards, à beaucoup de lecteurs, c’est souvent le sentiment que la philosophie elle-même risque ainsi, en dernière analyse, d’être réduite à la physiologie, même si c’est en passant par la psychologie.Footnote 37 Ne se disait-il pas tout le temps psychologue? N’est-ce pas la psychologie, et finalement la physiologie elle-même qui est considérée à la fin comme “la reine des sciences”?Footnote 38 Seulement les faits sont là: Nietzsche n’a pas fait œuvre de physiologiste, il nous laisse un monument littéraire, philologique et philosophique qui intéresse encore aujourd’hui tant de philosophes, dans les plus prestigieuses instances académiques. C’est donc bien dans l’adversité, qui pimente parfois les choses de la vie, que son œuvre résiste encore, et pour cause. Le réductionnisme, qu’on pourrait appeler pour commencer “matérialiste”, Nietzsche a largement eu l’occasion de le connaître, de son temps, de l’examiner avec beaucoup d’attention: ce n’est donc pas comme cela, que l’on pourrait “intimider” sa pensée ou son œuvre! On peut rappeler peut-être pour commencer qu’à un moment crucial de l’œuvre publiée de son vivant, il aborde curieusement la question dans La généalogie de la morale:
Si [un homme] ne vient pas (à bout) d’une expérience vécue, cette indigestion n’est pas moins physiologique que l’autre – en fait elle n’est souvent qu’une suite de l’autre. Cette conception n’empêche aucunement, soit dit entre nous, de rester l’adversaire le plus intransigeant du matérialisme.Footnote 39
Nous voyons bien que le risque est toujours là, et que Nietzsche le perçoit au point de le signaler et de l’écarter explicitement. Cependant, cette problématique ne cesse en réalité de s’enrichir, là où l’on croit qu’elle est une impasse: Nietzsche nous dit au fond ce que nous dira une bonne partie du XXème: c’est bien la vie, en tant que telle, au sens “physiologique”, c’est-à dire au sens le plus large et général, qui est toujours prépondérante, notamment par rapport à ce qui est superficiel, autrement dit, “spirituel” ou “psychologique”. Ainsi le corps est-il le soubassement de l’ “esprit”, il est sa face cachée, un peu ésotérique. Car le “physiologique” dont parle Nietzsche est déjà, par définition, “psychologique”, mais il est surtout, vivement, au sens phénoménologique, “prénoétique”, “préréflexif”, “antéprédicatif”, et son apparente “superficialité” cache jalousement sa profondeur, qui porte en sein, silencieusement, tous les “événements” qui ont laissé une trace, tout le passé, et même peut-être, en un sens, le futur qui risque d’avoir lieu un jour. Autrement dit, ce n’est pas du “naturalisme”, critiqué par Husserl, dont-il s’agit ici chez Nietzsche.Footnote 40 Il s’agit bien au contraire de la “vie”, de cet “entre-deux”, qui bouscule le transcendantal et l’empirique, dont parlait si justement, après Husserl, avec lui ou contre lui, Maurice Merleau-Ponty.Footnote 41 Là, se trouve tout ce qui nous occupe encore aujourd’hui: l’âme, l’esprit, la conscience, le sujet et autres “choses” de ce genre, ne sont qu’autant d’ombres ou de fantômes, que pourchasse la pensée actuelle, mais pour découvrir enfin que c’est le corps qui constitue la véritable énigme, comme l’a bien vu Nietzsche, il y a plus d’un siècle.Footnote 42 La “corporéité”, cette “corporéité” de tant de choses de l’existence et de la nature, à commencer par celle de “l’âme”, et qui rassemble ou réunit les hommes, et même les animaux et les végétaux, est devenu de nos jours le sujet et l’objet d’une quête, comme celle du sens, sans retour.
La problématique de l’Embodiment occupe aujourd’hui, et de plus en plus, sur la scène intellectuelle contemporaine, une place singulière, considérable: elle semble réconcilier et même rassembler autour d’elle la philosophie dite “continentale” et la philosophie “analytique”. Cette question organise même une rencontre prometteuse entre la phénoménologie et la philosophie de l’esprit (Philosophy of Mind).Footnote 43 Contrairement aux idées reçues, on considère parfois à l’heure actuelle que cette réflexion remonte en réalité à Kant, et l’on voit dans le thème de la sensibilité, et surtout celui de l’affectivité, présent dans la troisième Critique, comme une preuve, ou une indication essentielle, qui nous montre que le criticisme kantien avait ouvert la voie pour une recherche de ce genre, en évoquant notamment quelque chose comme un “Ideal” ou un “Transcendental Embodiment”, dans le cadre, plus général encore, de “Kant’s Theory of Sensibility”.Footnote 44 Même si l’on considère depuis longtemps que cette idée se trouvait déjà chez Husserl, Sartre ou Merleau-Ponty et d’autres phénoménologues,Footnote 45 le paradigme de l’ “Embodiment”, sous sa forme actuel,Footnote 46 apparaît en réalité dans les années quatre vingt, du siècle dernier. Lorsque Mark L. Johnson publie, en 1987, The Body in Mind. The Bodily Basis of Meaning, Imagination and Reason, Footnote 47 cette idée n’est pas vraiment à la mode, ni dans son pays, ni dans le monde anglo-saxon en général.Footnote 48 Par ailleurs, les scientifiques et les philosophes, qui s’occupent de l’esprit ou/et du cerveau, ne sont pas encore attirés par cette réflexion ou cette méthode: comme le dira plus tard le célèbre neurobiologiste Antonio R. Damasio, dans Descartes’ Error: Emotion, Reason and the Human Brain, l’idée dominante à l’époque, c’est que l’esprit et la raison n’ont pas grand-chose à voir avec les affects ou les émotions.Footnote 49 On peut donc dire que pendant longtemps, quand un scientifique comme Damasio, ou un philosophe comme Johnson, qui furent tous deux assurément des pionniers, parlait de ce genre de choses, il prêchait un peu dans le désert, et il n’y avait pas encore d’adhésion ou d’intérêt véritable pour l’Embodiment, pour la corporéité de l’esprit et du sens.Footnote 50 Il aura fallu attendre un concours de circonstances et d’heureux hasards, pour que les neurosciences cognitives soient petit à petit contaminées, et déclenchent, en faisant explicitement référence à la phénoménologie, un véritable mouvement qui se réclame de cette idée. Après Johnson, et avant Damasio, c’est surtout, la publication en 1991, de The Embodied Mind. Cognitive sciences and Human Experience, Footnote 51 par Francisco J. Varela, Evan Thompson et Eleonor Rosch, aux presses du MIT, qui constitue un tournant décisif, et conduira à une vague de publications, qui ne cessent de se multiplier au fil du temps, jusqu’à nos jours.Footnote 52 On assistera ainsi à un tournant de la pensée contemporaine, qui s’inscrit en faux contre le “linguistic turn” du début du XXème siècle, pour se nommer finalement “corporeal turn”.Footnote 53
Parmi les initiateurs ou les précurseurs de cette “nouvelle vague”, philosophique et scientifique, Marc L. Johnson occupe une place particulière, qui lui a donné, finalement, tout le recul nécessaire, pour penser globalement ce renouveau intellectuel. En effet, après avoir été l’un des pionniers, au moment de la publication de The Body in the Mind. The Bodily Basis of Meaning, Imagination and Reason, en 1987, il nous offre vingt ans plus tard, l’une des plus belles synthèses qui soient, avec The Meaning of the Body: An Aesthetic of Human Understanding. Footnote 54 On peut voir déjà dans le titre cet intérêt passionné, qui ne se démentira pas, pour la question du sens, ou, plus exactement, pour ce rapport énigmatique et révélateur entre le corps et le sens, puisque nous allons, au fond, du “bodily basis of meaning” jusqu’au “meaning of the body”, expressions qui dessinent ainsi la grande voûte de ses interrogations scientifiques et philosophiques. Johnson fait partie, par ailleurs, des fondateurs de ce qu’on appelle la Cognitive Linguistic Footnote 55 (“linguistique cognitive”), qui rompt précisément avec la linguistique traditionnelle, et tout ce qui a fait la fortune de la “philosophie analytique” et de la “philosophie du langage”. C’est avec le linguiste Georges Lakoff, qu’il publie d’abord, en 1980, The Metaphors we live By, Footnote 56 dans lequel on peut voir déjà, indirectement, la présence du corps, mais surtout l’importance décisive de la “métaphore”, dans notre usage du langage et notre maniement ordinaire du sens, dans la vie quotidienne la plus simple. Pour dire quelque chose en effet, en plus de (et y compris) nos paroles sur les objets, sur une chaise ou une table, nous faisons toujours allusion à des expériences vécues antérieures, pour nous exprimer, pour dire nos pensées ou nos sentiments. On opère donc toujours, à chaque fois, un appel à, ou un rappel de, pour renvoyer notre interlocuteur, à ce qu’il peut comprendre à partir d’une expérience commune, partagée. Mais cette expérience justement n’est pas une vérité “objective”, une “vérité par adéquation” ou “par correspondance”, ou une “représentation mentale” au sens traditionnelle, elle est toujours liée à des impressions et à des émotions, qui sont conservées, concentrées et véhiculées par et à travers des métaphores. Ce genre de formulations métaphoriques est absolument indispensable pour nous, pour vivre et communiquer entre nous, pour se faire comprendre. Il ne s’agit donc pas simplement de figures ou d’ornements rhétoriques, mais d’outils indispensables pour la vie quotidienne, qui occupent une place décisive et prépondérante. Ces “métaphores” sont inséparables “de leurs fondements expérientiels”, et on peut dire que “c’est seulement au moyen de ce fondement que la métaphore peut servir d’instrument de compréhension”.Footnote 57 Mais cette “compréhension” ou ce “fondement expérientiel” n’est rien d’autre précisément qu’une expérience vécue, “émotionnelle”, et donc, en dernière analyse, corporelle. On voit bien alors comment le corps apparaît d’abord là où l’on ne s’y attendait pas encore, et prépare la venue de la question capitale du rapport entre le corps et le sens, qui allait se déployer sur plusieurs décennies, et entraîner, après Husserl, après Merleau-Ponty, un bouleversement presque obligé, de la pensée et de la recherche scientifique, à notre époque. Même si cela se prépare toujours silencieusement, comme la dérive des continents, à partir d’un certain seuil, le changement devient inévitable et souvent colossal.
Dans The Body in Mind, et surtout, plus récemment, dans The Meaning of the Body, les problèmes linguistiques cèdent quelque peu la place à une problématique plus radicale encore, qui tendra à montrer les origines ou les racines corporelles, sensori-motrices, de l’esprit, du langage et des concepts, même les plus abstraits, qu’ils soient ceux de la logique ou même des mathématiques.Footnote 58 La “linguistique cognitive” s’est ainsi approfondie et fondée sur la “nouvelle vague” des neurosciences cognitives, en rompant aussi bien avec la “philosophie analytique”, issue en dernière analyse du projet de formalisation de Gottlob Frege,Footnote 59 qu’avec un certain cartésianisme de la pensée et du langage, et ses prolongements contemporains, comme la linguistique de Noam Chomsky,Footnote 60 et sa grammaire formelle, générative. Sans vouloir revenir aussi sur l’histoire de la cybernétique, qui n’est pas étrangère à ces problématiques, il importe de souligner cependant que les théoriciens de l’intelligence artificielle (AI) sont eux-mêmes revenus de leurs propres illusions, en découvrant l’importance radicale du corps, dans la vie et la constitution de l’esprit.Footnote 61 Marc L. Johnson a donc été un peu le témoin de l’avancée de ses idées, sans qu’il soit nécessairement lu par les protagonistes, et il en faisait partie, au hasard des lectures et des rencontres. Mais dans The Meaning of the Body, on découvre comme une synthèse, un état des lieux qui nous fait comprendre l’ampleur de l’enjeu et des progrès accomplis. Ce qu’il disait au départ avec Lakoff, il le redira presque trente ans plus tard: ce qui est vraiment “significatif”, ce qui a un sens pour les hommes, ne se trouve nulle part dans tous ces traités “philosophiques”, “analytiques” et “linguistiques”Footnote 62; alors que le cœur de ses recherches à lui se situe justement dans ces “deep, visceral origins of meaning”,Footnote 63 à travers ce continent perdu, ce “vast, submerged continent of non conscious thought and feeling that lie at the heart of our ability to make sense of our life”.Footnote 64 Pour cela, il se fonde précisément sur les “recent developments in the new sciences of embodied mind”.Footnote 65
Le cœur de l’argumentation de Johnson se trouve à la croisée des chemins entre ses théories philosophiques, qu’ils élaborent depuis longtemps, et des données scientifiques qui s’accumulent jour après jour, et qui viennent confirmer ses intuitions. Le point central et l’aboutissement de ses travaux restent au fond une interrogation fondamentale, et une théorie du sens, qui peut être désignée ainsi: “the embodied theory of meaning”,Footnote 66 par opposition à ce qu’il nomme “the objectivist theory of meaning”,Footnote 67 et qui a été, pratiquement jusqu’à Nietzsche,Footnote 68 la conception dominante dans la philosophie occidentale. Pour comprendre sa démarche, la première chose qu’il faut dire est précisément que l’esprit, dans son fonctionnement, est enraciné dans l’activité du corps, plus exactement dans l’activité sensori-motrice et émotionnelle d’un corps, qui à son tour se trouve dans un environnement, Footnote 69 ce dernier étant à la fois le milieu naturel et humain, avec ses dimensions écologique et intersubjective. Les avancées scientifiques multiples dans ce domaine, celui des sciences de la vie et de l’esprit,Footnote 70 corrigent un égarement tenace et ancien, qui traitait le corps avec condescendance ou mépris, en prétendant ou souhaitant que la pensée soit une activité purement abstraite, déconnectée ou libérée du corps. Cette méconnaissance des choses se fonde sur des “misconceptions”, qui peuvent être résumés ainsi:
(1) the mind is disembodied, (2) thinking transcends feeling, (3) feelings are not part of meaning and knowledge, (4) aesthetics concerns matters of mere subjective taste, (5) the arts are a luxury (rather than being conditions of full human florishing)Footnote 71
Cette façon de voir les choses est précisément ce que récuse l’auteur de The Meaning of the Body. Il est clair que ce que vise Johnson en priorité est cette théorie de l’esprit largement admise, surtout dans la “philosophie analytique de l’esprit et du langage”.Footnote 72 Ce qui est étrange, en effet, avec cette tradition, comme avec la philosophie traditionnelle, c’est que l’esprit redevient quelque chose de désincarné, sans corps ni chair, sans émotions: on parle de logique, de langage, de pensée articulée ou standardisée, pour parvenir finalement à un traitement “informatique” des choses, qui n’a rien avoir avec l’homme en chair et en os. Les affects, les sentiments, l’art ou la beauté n’ont plus rien à voir, dans cette optique, avec le travail “sérieux”, “austère” de la “philosophie”, celle qui s’occupe du langage ordinaire, du langage formel, de l’analyse logique ou de l’analyse linguistique.Footnote 73 C’est cette même tradition, qui, ironie du sort, voulait et prétendait pouvoir surmonter le dualisme cartésien de l’âme et du corps, qui nous mène à un esprit “squelettique”, désincarné, sans “âme” ni “états d’âme”, calculateur comme un ordinateur, et qui n’a que faire de tous les tourments, de tous les bonheurs ou malheurs que connaît l’esprit humain. C’est sur les ruines ou les vestiges de ces erreurs et de ces égarements, célébrés au lieu d’être corrigés, par une majeure partie de la philosophie anglo-saxonne, et de la philosophie traditionnelle, que l’auteur poursuit inlassablement son chemin pour fonder une nouvelle approche du monde, de la vie et de l’homme dans son ensemble, et faire en sorte que la philosophie revienne sur terre, et reste près de la vie, dans sa réalité sensible, affective ou “pathique”.
Parmi les scientifiques, Francisco J. Varela a été, de son côté, l’un des fondateurs, et l’une des figures majeures du paradigme de l’Embodiment, à notre époque. Il fut aussi brillamment le grand artisan d’un dialogue fructueux entre les neurosciences cognitives et la phénoménologie, et plus largement, entre les sciences de la vie et la philosophie.Footnote 74 S’intéressant d’abord, avec son maître et ami Humberto Maturana,Footnote 75 à la spécificité essentielle du vivant, de sa plus simple expression cellulaire jusqu’à sa forme anthropologique, il se retrouve ainsi, après Hans Jonas,Footnote 76 au cœur d’une “phénoménologie de la vie”, qui tendra à comprendre finalement, et de façon radicale, les racines “vitales” et “corporelles”, immémoriales de l’esprit. Sa “phénoménologie” à lui suivra cependant un chemin inversé: contrairement à Husserl, et à une certaine tradition “intellectualiste”, comme le disait son inspirateur, Merleau-Ponty, son cheminement à lui sera surtout d’aller de la “vie” à l’ “esprit”, et non l’inverse, d’appréhender l’ “esprit” dans sa forme la plus élémentaire, la “vie”, jusqu’à son expression la plus complexe, l’ “esprit”. Cette originalité n’est pas sans rapport bien sûr avec le retour merleau-pontien au corps et à la perception, et sa réhabilitation ontologique du sentir et du sensible. Varela se réclame très explicitement de Merleau-Ponty,Footnote 77 et cherche à reprendre son projet philosophique à la lumière des sciences actuelles. Dans les deux cas, il y a indéniablement un retour à une “phénoménologie de la vie”. Tout cela se fera bien au détriment de la tradition “objectiviste”, “intellectualiste” et “représentationnelle”, qui de Descartes à la “philosophie de l’esprit” et aux sciences cognitives “computationnelles”,Footnote 78 procédait à l’envers, et se retrouvait finalement dans une impasse, sur une voie sans avenir.Footnote 79
Dans Autopoiesis and Cognition: The Realization of the Living, Footnote 80 écrit en collaboration avec Maturana, Varela tente de montrer dès le départ la nature de l’enjeu: il s’agit en effet de faire ressortir le caractère “cognitif” (ou “herméneutique” et “psychique”) de la vie, dès sa plus forme la plus primitive, et sa capacité – qui pourrait même être considérée comme sa caractéristique principale ou sa définition, à entretenir une “relation”, qui ressemble à un “dialogue” avec son environnent. C’est cette “compréhension” ou cette “interprétation” des choses et du monde qui doit tout d’abord attirer notre attention. Cette relation “égoïste” et “intéressée”, par définition, qui fait qu’une cellule vivante profite de son environnement pour rester en vie, manifeste ainsi une capacité à “échanger”, à “négocier” avec son milieu naturel, ou, autrement dit, parvient à “comprendre” ce qui l’entoure, et à “exprimer” finalement, activement, un certain “point de vue”, correspondant à ses intérêts. Ces mots peuvent sembler n’être qu’une projection anthropomorphique inadéquate, inappropriée au vivant en général, en tant en que tel. La tâche que se donnent pourtant les deux grands biologistes, dans cet ouvrage, est de nous montrer qu’il n’en est rien, qu’une cellule se “comporte” réellement ainsi, selon une “habileté” ou une “intelligence” qui lui est propre. Précisons toute de suite, néanmoins, que le premier mot du titre de l’ouvrage, “autopoiesis” renvoyait d’emblée à la capacité du vivant à s’auto-(re)produire, en gardant, pour ainsi dire, sa “forme”, tout en renouvelant sa “matière”, grâce à son environnement, qui est censé lui être favorable, au moins sur ce point: lui permettre de se ressourcer, et préserver ainsi sa “vie” sous cette “forme”. Mais se préserver veut dire préserver quelque chose, qui n’est autre que “soi”, et ce point est particulièrement intéressant. En effet, non seulement il y a, comme par définition, préservation, dans l’ “auto-production” (autos: soi, poiein: produire), mais il y a conservation d’une certaine “loi” ou d’une certaine “norme”, qui constitue en quelque sorte “l’identité” de chaque vivant,Footnote 81 et exprime son “auto-nomie” (autos: soi, nomos: loi), sa vie sous sa loi propre. C’est là que se trouve les origines du “soi corporel”, et chez les hommes, du “Soi” tout court, qui est encore et toujours, précisément à cause de ses origines, quelque chose de corporel. Il rassemble ainsi sous son joug les différents petits “soi” des cellules de son corps, qui ne sont plus vraiment de ce fait, de vrais “soi”, mais, comme il dit, des “selfless selves”, des “soi” dépossédés de leur soi, puisqu’ils sont au service de quelque chose d’autre qui les dépasse ou les transcendeFootnote 82: ils ne sont plus ni auto-poiétiques, ni auto-nomes, mais bien plutôt “allo-poiétiques” et hétéronomes. Alors que le vivant “maître de soi” se trouve fondé en quelque sorte sur sa propre loi ou sur sa propre constitution “morale” et “politique” ! Bien sûr nous sommes encore bien loin d’un cogito, d’un ego, ou d’un sujet transcendantal. Mais il y a toute même, ici, comme on peut l’imaginer, l’amorce de quelque chose, qui aura, au cours de l’évolution, des conséquences vertigineuses, pour le moins intéressantes, et non encore élucidées, suffisamment. Il faut bien dire qu’à l’échelle de l’homme, tout cela prendra une tournure on ne peut plus aiguë, et autrement plus tragique. Quoi qu’il en soi, malgré les blessures, les accidents de parcours, qui sont toujours là, on voit ainsi que l’ “autopoeisis” et la “cognition” sont comme les deux piliers de l’ “existence” du vivant, et expriment en réalité le même besoin et la même nécessité: se maintenir en vie, dans le “respect” de “soi”, en (se) “comprenant” et en “dialoguant”, dans le cadre d’un “échange” ou d’une “communication” avec son environnement.
Avec la publication de The Embodied Mind, Varela se lance alors dans une quête de quelque chose comme une “origine sans origine”, ou un “fondement sans fondement”. Le sujet principal du livre, cet “esprit incorporé”, est d’abord à l’origine d’un renouveau véritable dans les neurosciences cognitives.Footnote 83 A partir d’une intuition profonde qui se réclame de Merleau-Ponty, Varela et ses amis parviennent à secouer les colonnes du temple cognitiviste, en montrant les limites flagrantes d’une conception abstraite, formelle et désincarnée de l’esprit. Loin du “computation alisme” et du “connexionnisme”, qui s’enferment dans une conception de ce type, dont le modèle est l’ordinateur ou le réseau de neurones, et par-delà leurs oppositions,Footnote 84 les démonstrations de The Embodied Mind tendent à montrer l’intrication inexorable d’un corps et d’un esprit, pour leur existence mutuelle, en tant que telle. Après avoir montrer la “cognition dans la vie”, ou la “vie cognitive” du vivant le plus simple, Varela parviendra ainsi à faire éclater les cadres du Mind-Body problem à l’échelle “supérieure”, ou si l’on veux, comme le dirait Jean-Pierre Changeux, à l’échelle de “l’homme neuronal”. Il n’y pas d’un côté un “esprit-cerveau” qui viendrait se greffer dans quelque chose comme un “corps”. La “corporéité de l’esprit” ou son “incorporation” s’avère tellement incontournable, que la séparation entre deux entités distinctes perd tout son sens, parce qu’elle s’avère tout bonnement impossible, d’un point de vue scientifique. Il s’agit au contraire de revenir à l’expérience vécue d’un corps-esprit, qui n’a que faire de ses distinctions, puisqu’il vit de tout de façon ce qu’il vit, sans distinction. Ce qui veut dire que le caractère vécu et incarné de l’esprit doit devenir un fil conducteur, qui vient compléter de façon décisive l’investigation scientifique habituelle, “extérieure” (à la troisième personne), “expérimentale” ou “objective”. C’est dire à la fois que le corps, avec ses capacités sensori-motrices et affectives, est le berceau de l’esprit, et que “l’expérience à la première personne”Footnote 85 est fondamentale et fondatrice d’une science, qui doit venir combler le déficit, dont souffre une démarche scientifique souvent bornée, par l’expérience “morte” de l’empirisme. Ce n’est pas d’un monde qui serait “pré donné”, indépendamment du sujet, qu’il faut se soucier, mais de “la structure sensori-motrice du sujet (la manière dont le système nerveux relie les surfaces sensorielles et motrices)”.Footnote 86 Car cette façon de “faire émerger un monde”, qu’est justement une “perception” et une “cognition”, “se fait au moyen d’un réseau, et de multiples sous réseaux sensori-moteurs interconnectés”.Footnote 87 C’est dire aussi que la naissance du sens a lieu ici, et non pas dans les “hautes” sphères “sublimées” de l’esprit, puisque ce dernier s’enracine dans son existence même, dans sa possibilité ou son impossibilité, là ou se trouvent les premières perceptions ou cognitions, au niveau primordial de nos sensations et de nos perceptions, de nos capacités sensori-motrices. Il est donc bien évident que les liens originaires entre le “sens” d’un coté, et nos sens, indissociables de notre motricité, de l’autre, trouvent ici leur expression la plus éloquente. Ce qui nous explique pourquoi sans cette base, le sommet, l’esprit, avec sa conscience et son intentionnalité, ne peuvent ni fonctionner, ni avoir un sens, ni même exister.
Comme nous le rapporte son ami Evan Thompson, Varela commence à parler, à la fin des années 1980, au moment de la rédaction de The Embodied Mind, d’ “enactive approach”, mais pour exprimer en réalité ce qu’il appelait auparavant “the hermeneutic approach”. Il voulait souligner par cela “the affiliation of his ideas to the philosophical school of hermeneutics”.Footnote 88 Il est très instructif de voir ainsi que ce qui sera développé par la suite, dans maints articles et ouvrages, trouve son origine dans ce souci “herméneutique” ou, pourrait-on dire aussi, “(bio)sémiotique”, comme nous allons le voir par la suite. L’ “énaction”, devenue elle-même paradigmatique dans les neurosciences cognitives,Footnote 89 vient accompagner ces théories, en soulignant le fait primordial qu’il y a “interprétation” dans l’activité du vivant, comme dans celle de l’esprit, et non pas “représentation”, comme le croyait la philosophie traditionnelle et les sciences cognitives “computationnelles”. L’ “énaction” exprime ce lien essentiel entre l’action et l’interprétation, qui n’est d’ailleurs pas sans rapport avec le fait que la sensorialité et la motricité, à l’échelle cellulaire, animale et humaine, sont indissociables, et constituent ensemble la sensori-motricité fondamentale, sur laquelle se fonde la totalité indissociable du vivant, ou son “corps-esprit”. Dans cet article, “Sensorimotor Subjectivity and the Enactive Approach to Experience”, Evan Thompson nous offre comme une explication rétrospective, qui nous assure justement que, dans cette perspective, l’esprit “does not process information in the computationalist sense, but creates meaning”; selon l’approche “énactive”, “the human mind is embodied in our entire organism and embedded in the world, and hence is not reducible to the structures inside the head”. Il y a en réalité trois modes d’activités corporelles qui se trouvent impliquées, ou qui sont à la base de notre “vie mentale”: “our mental lives involve three permanent and intertwined modes of bodily activity – self-regulation, sensorimotor coupling, and intersubjective interaction”.Footnote 90 Si l’ “auto-régulation” est là pour nous maintenir en vie, pour la régulation de la faim et de la soif, du sommeil et de la veille, le “sensorimotor coupling with the world” est cet échange permanent qui se fait avec le monde, ce travail continu d’exploration active, qui s’exprime dans l’émotion, la perception et l’action. L’intersubjectivité, quant à elle, constitue le monde de notre cognition et de nos interactions avec les “autres”, avec tout ce qu’il comporte d’expérience affective avec soi et avec l’autre. Mais ce qu’il faut souligner en même temps, c’est que le “sense-making” ou le “meaning-making” trouve précisément ces origines, dans cette auto- production-régulation, dans ce “dialogue” avec soi, avec les autres et avec le monde, dans cette dialectique fondamentale et originaire, bien avant l’émergence du langage articulé et de la pensée conceptuelle.
Comme nous l’avons vu, le thème de l’Embodiment cache au fond et révèle paradoxalement une problématique radicale quelque peu inattendue: la question du sens. C’est donc en tout et pour tout ce “bodily basis of meaning”, entrevu de façon originale par Marc L. Johnson, dans les années quatre vingt du siècle dernier, qui exprime le mieux en réalité les tenants et les aboutissants de ce qui sera nommé finalement: “the embodied theory of meaning”. Mais c’est justement au travers de cette “corporéité du sens” ou de ce “sens du corps”, que nous pouvons aller encore plus loin, et découvrir un monde encore plus vaste, celui de la vie, et de la sémiotique qui s’intéresse au vivant. Grâce à un concours de circonstances et à la détermination de biologistes exigeants et résolus, qu’une “biologie sémiotique”, ou “Biosémiotique” [bios: vie, semion: signe], voit le jour progressivement, et parvient ainsi à “sémiotiser” la biologie, pour aller ensuite jusqu’à “biologiser” la sémiotique. En effet, après une histoire longue et riche intellectuellement,Footnote 91 et grâce à une réunion quelque peu improvisée de plusieurs grands biologistes, qui avaient travaillé sur la question, chacun à sa façon, une nouvelle discipline a comme “atteint sa majorité” à Prague, en 2004,Footnote 92 en dépit de la diversité des approches, et malgré le doute et l’embarras qu’elle suscitait alors. Car, dès lors qu’il s’agit de parler de “signification” ou de “sens” dans les sciences, la démarche paraît suspecte, et est considérée comme une atteinte à l’intégrité du savoir scientifique. Malgré tout, chacun viendra à Prague avec toute sa science et son lot de pensées et d’idées philosophiques. Ainsi sera-t-il question tantôt de Martin Heidegger ou de Hans Georg Gadamer, tantôt de Charles Sanders Peirce, tantôt d’herméneutique, tantôt de sémiotique,Footnote 93 mais il y aura toujours au centre la réunification de cette approche de la biologie, qui débordait depuis quelques décennies sur ses propres découvertes, et inspirait tout le monde, sans faillir.
Mais qu’est-ce donc que cette “Biosémiotique” (Biosemiotics)? Si le naturaliste estonien Jacob von Uexküll est considéré comme un père fondateur, qui ne le savait pas encore, le mot “Biosemiotics” apparaît pour la première fois sous la plume de F.S. Rothschild, en 1962; et il fut employé dans la littérature sémiotique russe, par Yuri Stepanov, à partir de 1971. Mais il ne sera vraiment introduit, dans les travaux de recherches internationaux, que par le linguiste et sémioticien américain Thomas A. Sebeok, en 1986.Footnote 94 On peut définir cette science principalement de trois façons: (1) “L’étude des signes, de la communication et de l’information dans les organismes vivants”.Footnote 95 (2) “La biologie qui considère et interprète les systèmes vivants comme des systèmes de signes”.Footnote 96 (3) “L’étude scientifique de la biosemiosis”,Footnote 97 c’est-à-dire l’étude du processus signifiant, de l’activité du signe biologique. Il s’agit en outre d’une “réunification moderne de la biologie”, qui doit “se fonder sur la nature fondamentalement sémiotique de la vie”.Footnote 98 On peut dire d’ailleurs qu’aux yeux de cette science le sens ou la signification est le caractère fondamental des systèmes vivants, et peut même être considéré comme une définition de la vie. De ce fait, la Biosémiotique peut être vue comme étant “à la racine et de la biologie et de la sémiotique (as a root of both Biology and Semiotics) plutôt qu’une branche de la sémiotique”Footnote 99; ce qui est pour le moins important, pour comprendre la portée épistémique et philosophique du tournant amorcé par la biosémiotique, après celui de l’Embodiment.
Mais c’est peut-être Jesper Hoffmeyer, qui prédise à l’heure actuelle la société savante de Biosemiotics, Footnote 100 qui incarne probablement le mieux la synthèse la plus large et la plus philosophique, au sein de cette constellation. L’une des questions majeures qui le préoccupe est d’ailleurs la question de l’intentionnalité. Footnote 101 On voit bien, d’emblée, que l’enjeu est éminemment philosophique; et dans un souci pédagogique, pour retrouver les arrières fonds de cette problématique, on le voit revenir, dans une admirable synthèse, non seulement à Husserl et à Brentano, mais aussi à Saint-Thomas d’Aquin et à la philosophie médiévale!Footnote 102 Par ailleurs, l’une des figures principales auxquels il fait référence est le philosophe américain, père fondateur du pragmatisme, Charles Sanders Peirce. Mais il sera question surtout, à vrai dire, comme on pouvait s’y attendre, puisqu’il s’agit de biosémiotique, de la sémiotique de Peirce. En effet, Hoffmeyer et une bonne part du courant biosémiotique actuel choisiront, non pas le dualisme de Ferdinand de Saussure, celui du “signifiant” et du “signifié”, mais la version peircienne “triadique” de l’interprétation. Footnote 103 Dans un article très récent intitulé “The Natural History of Intentionality. A Biosemiotic Approach”, il parvient à rassembler une bonne part de son œuvre et à synthétiser les différentes problématiques, que recueille la biosémiotique et auxquelles elle est confrontée. Tout d’abord, il faut dire que l’interprétation, le fait d’interpréter ou “l’acte interprétatif” (interpretative act), dans le “réalisme sémiotique” (semiotic realism) de Peirce,Footnote 104 est la pierre angulaire sur laquelle se construit en majeure partie la théorie sémiotique appliquée du vivant. Mais il ne s’agit pas seulement à ses yeux, comme nous l’avions déjà dit, d’une recherche ou d’une théorie “appliquée”, mais d’une problématique fondamentale qui engage toute la sémiotique, qui se trouve elle-même de ce fait refondée sur la base de l’acte d’interprétation propre au vivant. Autrement dit, si le fait d’interpréter a une réalité dans notre vie “consciente”, c’est parce que la “vie”, au seuil de son existence, est déjà, fondamentalement, un processus interprétatif, bien avant le langage et la pensée. Une interprétation plus profonde que celle de l’esprit traverse de part en part le vivant et la vie, bien avant que nous en soyons “conscients”, dans le cadre des sciences du langage ou des sciences de l’esprit. Et son intentionnalité est bien plus originaire que tous nos actes intentionnels, nos pensées ou nos volontés, elle est comme une “cause originelle” qui se déploie et travaille en nous, comme dans un projet herméneutique d’écriture et de lecture, qui parvient jusqu’à devenir conscient de lui-même.
Le concept peircien de signe constitue en réalité une relation “triadique” entre un “representamen” (ou “véhicule de signe”), un “objet” et un “interprétant”. Le plus important est de dire justement que “celui qui interprète”, l’ “interprétant”, est d’abord une activité, qui peut être “consciente”, “instinctive” ou, plus simplement et fondamentalement, “sensori-motrice”.Footnote 105 Il ne s’agit donc pas nécessairement d’un “esprit” ou d’un “sujet conscient”, mais bien plus radicalement d’un processus vital d’interprétation, c’est-à-dire de sensation, de perception, d’émotion, de “compréhension”, plus ou moins grande, plus ou moins petite, à partir d’un certain “point de vue”, celui d’une fourmi, d’un dinosaure, d’une amibe, d’Einstein ou de Proust! L’exemple que prend Hoffmeyer est d’ailleurs assez éloquent, et presque comique: fumer (véhicule de signe), feu (objet) et peur (interprétant). On peut voir ainsi comment le fait de fumer peut inspirer, par exemple, une certaine peur, en évoquant, d’une façon ou d’une autre, le risque d’incendie: “smoke may act as sign (vehicle) that evokes a sense of fear by making us aware of the risk of burning”. Le signe selon Peirce, c’est cette relation “triadique” qui connecte un “véhicule de signe” (sign vehicle) (1) et un objet (2) à travers un “interprétant” dans un système réceptif (3): “sign [is] a triadic relation connecting a sign vehicle with an object through the formation of an interpretant in a receptive system”.Footnote 106 Mais, de ce point de vue-là, une autre question nous guète et nous attend au tournant, celle qui a trait à l’ “objet”; s’agit-il de l’objet au sens traditionnel, par opposition au sujet? Il importe donc de souligner qu’il s’agit aussi d’une “activité”, ou d’un “phénomène”, et non d’une chose qui se prétendrait “objective”: elle est seulement ce que perçoit, au sens le plus élémentaire, chaque “forme de vie”. Il s’agit en l’occurrence du feu, tel qu’un homme le perçoit, et non pas du feu comme le voit une mouche, ou tel qu’il peut être vu à travers un microscope électronique! Ce qui nous amène à dire qu’il s’agit à chaque fois d’un monde différent, pour une perception différente. Pour cela, la notion d’Umwelt, fondamentale chez Jacob von Uexküll, mais qui se trouve aussi admirablement chez Husserl,Footnote 107 permet à la biosémiotique de se fonder sur une distinction essentielle, qui montre à chaque fois, qu’il n’y a pas de monde “objectif”, et de vérité “objective”, de vérité “par correspondance” ou de “représentation mental” au sens traditionnel. Il s’agit toujours d’un “monde propre” au percevant, autrement dit de perspective, qui ne correspond à rien d’autre qu’au point de vue de celui qui sent, perçoit, mais aussi et surtout interprète ces “objets”, qu’il a lui-même constitués, et compris à sa façon. Ce “perspectivisme” n’est pas sans rappeler Nietzsche et tout ce qui se tourne autour de la notion de “volonté de puissance”, et l’on voit qu’il y a là comme un “malin génie de l’herméneutique”Footnote 108 ou de la sémiotique, qui donne comme une portée ou un fondement “ontologique”, ou plus exactement, comme chez Nietzsche, “anti-ontologique”, au discours de la biosémiotique.
La thématique de l’intentionnalité que nous avions évoquée plus haut prépare ainsi son avènement impérieux. Hoffmeyer, qui revient à Husserl et à Brentano, pour rappeler le lien fondamental et exclusif, pour la future “phénoménologie”, entre le mental et l’intentionnel,Footnote 109 veut parvenir plutôt à une “intentionnalité évolutive” (evolutionary intentionality), qui permet d’expliquer tout ce qui s’est passé au cours de l’évolution naturelle, sans avoir besoin pour cela de discontinuités ou de ruptures “surnaturelles”. Il s’agira donc pour lui non seulement de parler d’intentionnalité “corporelle” ou “animale”, mais d’aller encore plus loin:
Rather than pursuing the question of animal intentionality (…) I shall address the question of intentionality as an even more general category of life, an evolutionary “aboutness” or evolutionary intentionality, i.e. the anticipatory power implicitly present in all [living] systems.Footnote 110
Cette “puissance” dont il parle dans ce texte, “implicitement présente dans tous les systèmes vivants”, pousse Hoffmeyer à rappeler avec bonheur que Merleau-Ponty considérait la “conscience” comme étant originairement un “je peux” et non pas un “je pense que”.Footnote 111 Mais cette puissance a elle aussi une intentionnalité, qui est antérieure à celle de la conscience et qui en même temps la constitue, ou constitue sa base, et elle n’est pas sans rappeler, comme nous l’avions dit ailleurs, une certaine “volonté de puissance”, avec son intentionnalité à elle, au niveau le plus élémentaire.Footnote 112 Ce qui veut dire, pour Nietzsche comme pour la biosémiotique, que l’intentionnalité de l’esprit humain n’est pas un “fantôme” venu de rien, mais a évolué, a émergé de quelque chose d’autre, et “devait être en germe”Footnote 113 dans quelque chose de plus général:
Human intentionality has emerged as a peculiar corporeally individualised instantiation of a more general thirdness which is embedded as an irreductible element in the process of organismic evolution: evolutionary intentionality.Footnote 114
Sans vouloir revenir aussi sur les “systèmes dissipatifs” de Ilya Prigogine, auxquels fait allusion l’auteur, et qui peuvent approfondir la question de l’ordre et du chaos, même à l’échelle physico-chimique,Footnote 115 il est clair que Hoffmeyer veut parvenir à un approfondissement radical de cette problématique, en prenant en charge tout ce qui explique l’émergence naturelle, et non ex nihilo, d’un phénomène, celui de “l’intentionnalité humaine”, dans un monde vu comme “matériel”, et essentiellement non intentionnel.
Mais il apparaît surtout que la Biosémiotique porte finalement la problématique de l’Embodiment à sa plus grande radicalité ou généralité, et devient à la fois une “histoire naturelle de l’intentionnalité”, une “histoire naturelle de la corporéité”Footnote 116 (a natural history of embodiment), et une “histoire naturelle du signe”Footnote 117 (a natural history of sign), reliées essentiellement à la question du sens. Cette “historicité” du sens, et sa dépendance, à chaque fois, de chaque organisme vivant, a mené la Biosémiotique à l’élaboration d’une véritable “théorie de la signification”, qui rejoint l’intuition de son plus grand précurseur Jacob von Uexküll.Footnote 118 De quoi s’agit-il? Si la “corporéité de l’esprit” (embodiment of mind) nous a conduit finalement, comme nous l’avions dit, à reconnaître aussi la “corporéité de la signification”Footnote 119 (embodiment of meaning), et de là à découvrir le “sens du corps” (meaning of body), la Biosémiotique nous invite à venir à la rencontre de la “naissance du sens”Footnote 120 (birth of meaning), au raz de son existence, en élaborant une théorie plus générale encore, non seulement en partant du corps et de ces fondements sensori-moteurs, émotionnels et signifiants, mais plus radicalement, à partir de la vie elle-même, et de sa signification, dès sa plus simple expression naturelle. Ce qui est signifiant, sémiotique, c’est donc pour elle tout ce qui vit, et non ce qui raisonne ou calcule, comme l’ont cru les adeptes du “cognitivisme” ou du “computationnisme”. Ils se trompaient à vrai dire doublement: il ne s’agit même pas exclusivement de l’esprit humain, ni même de son corps, mais de toute vie dans ce monde, qui se donne ou projette une signification, dans un monde, qui, en lui-même, objectivement, est insignifiant.Footnote 121 C’est cette relativité du monde et du sens, généralisée à toutes les échelles des êtres vivants, qui est peut-être l’idée plus la plus importante. Si la Biosémiotique rejette par avance tout vitalisme, comme tient à le rappeler Hoffmeyer lui-même,Footnote 122 elle parvient ainsi à définir le dénominateur commun de toutes les espèces, de tous les êtres vivants: le sens. Elle montre comment la raison ou le langage de la vie (the Logos of the Bios) est bel et bien là, avant nous, et il est, pour ainsi dire, déjà “parlant”, bien avant l’apparition des formes linguistiques “supérieures”, des formes scientifiques, culturelles ou religieuses, ou, comme le dit Ernest Cassirer, des “formes symboliques”.Footnote 123 Dans cet étrange “retour à soi”, auquel nous invite la Biosémiotique, une science vient nous rappeler nos origines oubliées et pourtant fondatrices, mais qui ont été si longtemps négligées, au profit d’un esprit, “déraciné”, “exilé”, ayant “rompu” ses liens avec ses sources naturelles, celles qui, pourtant, nourrissaient sa vie depuis toujours. L’interprétation originaire, le processus vital interprétatif, est donc non seulement déjà “intentionnelle”, à sa manière, elle est à l’origine de l’intentionnalité de la conscience, à l’origine de la signification et du sens. Dans sa version la plus englobante, la Biosémiotique se voit ainsi comme une “sémiotique générale”, et la traditionnelle sémiotique, qui étudie les systèmes humains des signes, est vue alors comme une partie spéciale: l’anthropo-sémiotique.
Ce qui apparaît clairement des thématiques de l’Embodiment et de la Biosemiotics est tout d’abord que c’est le corps, fondamentalement, qui porte et apporte, ou n’apporte pas, avec lui le sens: il a comme une primauté sur l’esprit, d’autant plus que tout ce que nous nommons “esprit”, “raison”, “langage”, “concepts”, et même “logique” et “mathématiques”, est éminemment embodied (“incorporé”), dans son être comme dans son devenir. Le corps va ainsi jusqu’à “modeler l’esprit” (shapes the mind),Footnote 124 et peut lui apporter bonheur ou malheur, avant même qu’il ne s’en rende compte, qu’il ne sache pourquoi et comment. La Biosémiotique, quant à elle, nous apprend finalement le respect ou, au moins, la prise en considération de la vie, en tant que telle: elle accentue ou radicalise l’approche de l’Embodiment, en donnant, non seulement au corps, mais aussi à la vie la plus simple, la capacité d’être sensible, créatrice et signifiante. Cette nouvelle science reprend l’héritage qui provient de la sémiotique, avec sa théorie du signe et de l’interprétation, mais pour enraciner ces activités humaines, dans le travail de la vie la plus simple. La vie elle-même est dès lors considérée non seulement comme la source originaire de l’interprétation et de la signification, mais aussi comme ce qui est définie par sa capacité à engendrer un “monde” doué d’un “sens”, qui lui est propre, et qui sera son horizon, son champ de vie et d’action.
Mais cette source essentielle, qu’elle soit notre corps ou la vie en général, est fragile, sensible, et plutôt silencieuse: elle a besoin d’être au moins entendue, pour qu’elle puisse avoir réellement, dans notre existence, une présence véritable. Elle est aujourd’hui souvent broyée ou étouffée, d’autant plus qu’elle est bien moins “bavarde” ou “bruyante” que les discours du langage articulé, de la pensée discursive, ratiocinante; elle peut être aussi facilement dirigée dans la mauvaise direction, ce qui lui fait perdre à chaque fois toute sa saveur, et surtout, tout son sens! Et c’est, hélas, l’esprit, la conscience, la raison et le langage des hommes qui peuvent la conduire à sa perte, dans ce qu’elle a de plus précieux à dire. Ce qui risque de se produire, et se produit déjà, c’est une dégradation progressive, sournoise et inéluctable de la vie, de l’appareil sensori-moteur, vivant et signifiant, c’est-à-dire celui qui donne vie et sens, avant toute autre considération. Il est antérieur à tout, il est la condition de tout. Ce qui nous guète ou nous menace, il faut bien le dire, c’est donc l’apparition d’un homme vidé de son sens, de son humanité, de sa sensibilité, de toute sa substance, déraciné, désincarné, devenant comme un “esprit sans spiritualité”, un peu comme un ordinateur, mauvais et maladroit. Un corps perdant sa “corporéité”, une vie perdant sa “vitalité”. Disons le encore: notre sensibilité, indissociable de notre motricité, est en danger, est le fondement même du corps et de tout ce que nous appelons “esprit”; et c’est elle surtout qui donne une signification au monde et aux choses, ou nous prive parfois de ce monde ou de ses choses. Prenons garde, de ne jamais oublier que si nous sommes insensible au sens, il sera, à coup sûr, insensible à nous. De nos jours, et de plus en plus, un certain “ascétisme mondialisé”,Footnote 125 du “travail” commercial et industriel, une logique de la rentabilité avec sa curieuse “spiritualité” de la “productivité”, “active” dans tous les domaines, s’imposent partout. Mais ils devront bien un jour céder la place à une nouvelle ère, non seulement plus clémente ou respectueuse de la vie du corps, mais se fondant même sur le respect de sa sensibilité, en choisissant comme fil conducteur, ce sens primordial et essentiel de la “corporéité”. Si nous voulons que nos vies aient une valeur quelconque, il est grand temps d’en tenir compte. A défaut, ce n’est qu’un simulacre de vie qui nous attend, et qui caractérisera sans doute toute existence humaine. Peut-on espérez, au moins, pour l’instant, que ce que Nietzsche nous dit depuis plus d’un siècle soit enfin saisi? “Par manque de repos, disait-il, notre civilisation court à une nouvelle barbarie”.Footnote 126
En somme, quelle que soit notre approche, on ne peut échapper au fait que l’homme plonge ses racines dans la vie d’un corps, dans la vie tout court, dans…son expression la plus simple, bien avant l’émergence de tout ce monde de la “conscience” ou de l’ “esprit”. Il y a comme une continuité essentielle entre la “vie” et l’ “esprit”, entre “l’esprit de la vie” et la “vie de l’esprit”; ils sont donc pour toujours indissociables, amoureux, inséparables. Mais l’homme d’aujourd’hui, et bien avant l’invention des ordinateurs ou la création des robots, réussit l’exploit incommensurable du grand écart entre l’esprit et le corps, et ce pour des raisons d’efficacité technique et économique. Un “esprit sans vie”, “squelettique”, une “vie sans esprit”, absurde, insignifiante. Et nous voilà, à présent, dans une grande lassitude, une grande fatigue, un épuisement du corps et une crise de l’esprit, un appauvrissement de l’existence de l’homme, et de toute la vie sur Terre. Mais c’est dire aussi que l’homme est sans aucun doute, potentiellement, quelque chose d’autre, de tout autre, autre chose, en tout cas, que ce qu’il est aujourd’hui: il n’est plus que l’ombre de lui-même, un fantôme qui cherche sa route et même un “supplément d’âme”, alors qu’il a perdu, en cours de route, et son corps et son âme. Et cette promesse mériterait vraiment qu’on s’y attarde, d’autant plus qu’à cause de notre état, nous n’en sommes qu’à peine conscient, et tout ce qu’on peut en dire, aujourd’hui, n’est que l’expression d’une idée vague ou fantomatique. Et ce n’est pas moins que le projet d’une civilisation radicalement autre, mais encore possible et peut-être à venir.
Notes
- 1.
Il s’agit d’une lettre tardive de Husserl dans laquelle il écrit: “Je ne savais pas que mourir fût aussi difficile. Toute ma vie, je me suis efforcé d’écarter toute frivolité. Et juste maintenant que je suis arrivé au terme de mon chemin, conscient de ma tâche et prêt à l’assumer, maintenant qu’avec les conférences de Vienne et de Prague […] j’ai jeté les bases d’un petit commencement – eh bien, je dois m’interrompre et laisser ma tâche inachevée. Juste maintenant, à la fin, maintenant que je suis un homme fini, je sais que je devrais tout reprendre à zéro”. Manuscrit X, 1, 4 (cité d’après Claude Romano, “La tâche inachevée: la conceptualisation husserlienne de la Lebenswelt et ses limites”, in Jean-Claude Gens (dir.) La Krisis de Husserl. Approches contemporaines. Revue Le cercle herméneutique. N°10, 2008).
- 2.
Nous parlons ici bien sûr des célèbres pages de la fameuse Krisis: La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale (traduction française par Gérard Granel, Paris, Gallimard, “Bibliothèque de Philosophie”, 1976) ainsi que la célèbre conférence de Vienne et de Prague: La crise de l’humanité européenne et la philosophie (dans le même volume). Voir note 4.
- 3.
La problématique “écologique” a été en effet plus d’une fois reprise par les héritiers de Husserl, et on a parlé d’ “éco-phénoménologie”. Songeons au moins à l’œuvre de Hans Jonas (comme par exemple: Une éthique de la nature, Paris, Desclée de Brouwer, 2000). Voir surtout, plus récemment: Adam Christopher Konopka, An Introduction to Husserl’s Phenomenology of Umwelt. Reconsidering the Natur/Geist Distinction. Toward an Environmental Philosophy. Ann Arbor, ProQuest, UMI Dissertation Publishing, 2011. Mais c’est Merleau-Ponty qui semble être la plus grande source d’inspiration dans ce domaine: Suzanne L. Cataldi, William S. Hamrick (ed.), Merleau-Ponty and Environmental Philosophy. Dwelling on the Landscapes of Thought, New York, New York State University Press, 2007.
- 4.
Cf. La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, op. cit. Il s’agissait pour Husserl à la fois de développer “l’idée historico-philosophique” ou “le sens téléologique de l’humanité européenne” (Conférence, p. 347), et d’expliquer ou de montrer “la crise des sciences comme expression de la crise radicale de la vie de l’humanité européenne” (I, p. 7). S’il est question de la philosophie grecque et du platonisme, vu leur importance historique, il s’agit d’interroger principalement “la modernité philosophique”: le questionnement porte sur “la façon générale d’estimer les sciences. Il ne vise pas leur scientificité, il vise ce que les sciences, ce que la science en général avait signifié ou peut signifier pour l’existence humaine” (I, 2, p. 10). Et, à ce sujet, Husserl tient surtout à nous dire une chose: “Dans la détresse de notre vie – c’est ce que nous entendons partout – cette science n’a rien à nous dire. Les questions qu’elle exclut par principe sont précisément les questions les plus brûlantes à notre époque malheureuse, pour une humanité abandonnée aux bouleversements du destin: ce sont les questions qui portent sur le sens ou l’absence de sens de toute cette existence humaine” (I, 2, p. 10). La “nouvelle tâche universelle” de la philosophie serait alors de montrer l’impensé radical de toutes ces sciences, en tant qu’il est le “monde-de-la-vie comme fondement de sens oublié de la science” (II, 9, p. 59) au point que “le problème du monde de la vie” devient le “problème philosophique universel” (III, 34, f.).
- 5.
Cf. par exemple Sciences du vivant et phénoménologie de la vie. Noesis, No. 14, 2008. Nous aborderons ensuite plusieurs contributions remarquables dans ce domaine.
- 6.
La crise des sciences européennes, op. cit. Appendice XXIII. Voir également l’article de Jean-Claude Gens, “La question en retour sur la vie et l’idée husserlienne de la biologie comme science universelle” in Lectures de la Krisis. Approches contemporaines. Revue Le Cercle herméneutique, No. 10, 1999.
- 7.
Nous faisons allusion évidemment à “la critique de la faculté de juger téléologique”, qui, rappelons le, considère la vie du vivant comme un cas à part, impossible à expliquer véritablement par la physique mécaniste newtonienne. Le vivant est considéré comme étant “téléologique”, poursuivant un but, et ce non pas d’un point de vue scientifique, en tant que nature, à partir d’un “jugement déterminant”, mais seulement de notre point de vue à nous, subjectivement, comme “jugement réfléchissant”. C’est ce qui cause encore aujourd’hui le plus grand embarras. Voir par exemple l’article remarquable de Francisco J. Varela et Andreas Weber: “Life after Kant: Natural Purposes and the Autopoietic Foundations of Biological Individuality”, in Phenomenology and the Cognitive Sciences, 1, 2002, pp. 97–125. La question reste posée encore aujourd’hui.
- 8.
Le romantisme et l’idéalisme allemand n’ont cessé de s’y intéresser, et Schelling, par exemple, avait écrit admirablement ce qui résume bien la situation: “La Critique de la faculté de juger est l’œuvre la plus profonde de Kant, celle qui aurait sans doute donné une autre orientation à toute sa philosophie si, au lieu de finir par elle, c’est par elle qu’il avait pu commencer” (Contributions à l’histoire de la philosophie moderne, SWX, 177).
- 9.
Ce texte de jeunesse (1868), “Teleologie seit Kant”, n’a pu paraître dans l’édition de référence, Nietzsche Werke, Kritische Gesamtausgabe, établie par Giorgio Colli et Mazzino Montinari, au Tome I 4, qu’à la fin du XXème siècle, en 1999! Il a été d’abord traduit en anglais par les soins de la North American Nietzsche Society dans le volume 8 de sa collection Nietzscheana, et se trouve également dans le livre du même traducteur de la NANS, Paul Swift: Becoming Nietzsche. Early Reflections on Democritus, Schopenhauer and Kant, New York, Oxford, Lexington Books, 2005, pp. 95–105. Il n’a toujours pas été traduit, à notre connaissance, en français. Jean-luc Nancy y a consacré un article [“La thèse de Nietzsche sur la Téléologie”, in Nietzsche aujourd’hui, Volume I, Paris, UGE, 1973], rare en son genre en français, mais qui, lui, a été traduit en anglais! [“Nietzsche’s Thesis on Teleology”, in Looking after Nietzsche. Albany, New York, New York State University Press, 1990, pp. 49–66]. On pourra lire aussi, avec intérêt, l’article de Paul Swift, “Nietzsche on Teleology and the Concept of Organic”, in International Studies in Philosophy, vol. XXXI, No. 3, 1999; ainsi que le texte écrit par Christa Davis Acampora, “Between Mechanism and Teleology: Will to Power and Nietzsche’s Gay “Science”, in Gregory Moore, Thomas H. Brobjer (ed.) Nietzsche and Science, Ashgate, 2004. Et d’Alberto Toscano: “The Method of Nature, the Crisis of Critique. The Problem of Individuation in Nietzsche’s 1867/1869 Notebooks”, in Pli, 11, 2001, pp. 36–61.
- 10.
En effet, si l’on tient compte aussi du manuscrit 34 de Husserl, “Universale Teleologie”, (manuscrit E III 5, Husserliana Tome XV, pp. 593–597, traduction française par Jocelyn Benoist, “Téléologie universelle”, in Philosophie no. 10, Paris, Editions de Minuit, 1989, pp. 3–6) l’intérêt pour cette “téléologie” se trouve ainsi partagé par Kant, Nietzsche et Husserl. Mais n’est-ce pas ici finalement la question du sens, qui est sous-jacente, qui se cache ou se voile sous différents habillages, jusqu’à nos jours?.
- 11.
Nous nous permettons en réalité de reprendre à notre compte ce que dit Nietzsche à la fin de l’avant-propos de Par-delà Bien et Mal: “nous sentons encore en nous tout le péril de l’intelligence et toute la tension de son arc! Et peut-être aussi la flèche, la mission, qui sait? le but peut-être… Sils Maria, Haute-Engadine. Juin 1885.” (traduction française de Henri Albert, Paris, Mercure de France, 1898, 1963).
- 12.
Même s’il y a très peu de textes, à notre connaissance, en français dans cette discipline, nous adoptons le terme “Biosémiotique” pour la désigner en français.
- 13.
Vaste sujet qui traverse toute la philosophie à notre époque, et représente, au moins depuis Nietzsche, un thème essentielle, non seulement chez Husserl, mais aussi chez Gabriel Marcel, Maurice Merleau-Ponty, Jean Paul Sartre… (cf. Richard Zaner, The Problem of Embodiment. Some Contributions to the Phenomenology of the Body, The Hague, Martinus Nijhoff, “Phaenomenoligica” 17, 1964, 1971; et plus spécifiquement, à propos de Sartre, The Bodily Nature of Consciousness: Sartre and Contemporary Philososphy of Mind, Ithaca, Cornell University Press, 1997) et plus récemment, chez des philosophes aussi différents que Michel Henry, Michel Foucault, Gilles Deleuze, ou Henry Maldiney. La problématique des Stimmungen chez Heidegger n’y est pas totalement étrangère, malgré l’oubli heideggérien de l’importance du corps, et de la dimension “pathique” de la vie. Tout cela rejoindra finalement et influencera, comme nous allons le voir par la suite, la problématique contemporaine de l’Embodiment, entre phénoménologie et sciences cognitives.
- 14.
Merleau-Ponty n’a cessé en effet avec une grande honnêteté de rappeler tout ce qu’il devait à ce qui se trouvait déjà, dans les manuscrits de Husserl qu’il a pu consulter à Louvain, avant leur publications, en disant, par exemple, “le terme est usuel dans les inédits” (Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945 pp. XIV) ou en reprenant souvent les mêmes expressions husserliennes en allemand, notamment dans les ultimes “notes de travail”, de l’œuvre posthume Le visible et l’invisible (Paris, Gallimard, 1964).
- 15.
On ne peut en effet négliger le fait que la plupart des travaux de recherches sur Husserl aujourd’hui, après ceux de Merleau-Ponty, s’intéressent principalement à la “corporéité”, à la “constitution corporel” ou “charnel” de l’ego lui-même, à la Lebenswelt (monde la vie), à l’importance décisive de l’affectivité, à la “synthèse passive”, ou à l’ “intentionnalité pulsionnelle”, beaucoup plus qu’au “cartésianisme” husserlien du commencement, celui de la “logique pure”, ou de l’ “ego pur”, et tout le domaine du “transcendantal”. [Cf. en particulier: Nam-in Lee, Edmund Husserls Phenomenologie der Instinkte, Dordrecht, Kluwer Academic Publisher, 1993; Anne Montavon, De la passivité dans la phénoménologie de Husserl. Paris, PUF, 1999; A. Steinbock, Home and Beyond: Generative Phenomenology after Husserl, Evanston, IL, Northwestern University Press, 1995; Didie Franck, Corps et chair: sur la phénoménologie de Husserl, Paris, Editions de Minuit, 1981]. Merleau-Ponty a été peut-être le premier à avoir cherché à dépasser l’opposition entre le “transcendantal” et l’ “empirique”, en parlant notamment d’un “entre-deux”; ce qui va, comme nous allons le voir, attirer l’attention de plusieurs chercheurs, dont le biologiste philosophe Francisco J. Varela, et une bonne part des scientifiques et des philosophes, qui allaient travailler sur des thèmes comme le corps, le “phénomène de la vie”, l’Embodiment et la Biosemiotics.
- 16.
Voir notamment les travaux de Shaun Gallagher et de Dan Zahavi, par exemple: The Phenomenological Mind: An Introduction to Philosophy of Mind and Cognitive Science, London, Routledge, 2008, ceux de d’Evan Thompson, Life and Mind: Biology, Phenomenology, and the Sciences of Mind, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2007, ou par example (ed.): The Problem of Consciousness: New Essays in Phenomenological Philososphy of Mind, Calgary (Alta.), Canadian Journal of Philosophy, Supplementary Volumes, 2003. Cf. aussi ce recueil textes: David Woodruff Smith, Amie L. Thomasson (ed.) Phenomenology and Philosophy of Mind, Oxford, Clarendon Press, 2005.
- 17.
Cf. Dan Zahavi, “Husserl’s Phenomenology of Body”, op. cit., p. 63.
- 18.
Voir notamment Taylor Carman, “The Body in Husserl and Merleau-Ponty”, in Philososphical Topics, Vol. 27, No. 2, Fall 1999, pp. 205–226. Dans cet article, la différence et la continuité sont bien expliquées, surtout à propos de l’intentionnalité corporelle; James Dodd, Idealism and Corporeity: An Essay on the Problem of the Body in Husserl’s Phenomenology, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 1997; Natalie Depraz, Lucidité du corps. De l’empirisme transcendantal en phénoménologie, Dordrecht, Kluwer Academic Publisher, 2001.
- 19.
Au moins depuis Merleau-Ponty, on sait qu’un autre Husserl vient compléter, voir bouleverser le premier. Dans Expérience et jugement, dans les Ideen II, La synthèse passive ou dans la Krisis, Husserl approfondit les choses au point de découvrir ou dévoiler de nouvelles figures de son “savoir”, qu’il n’avait pas vraiment traitées jusqu’alors. Ce qui allait engendrer le thème de la corporéité et de la chair, ainsi que celui de la genèse affective de la conscience. Et l’on verra ainsi apparaître une phénoménologie “génétique”, qui viendra approfondir la première phénoménologie, “statique”. Cf. par exemple, Bruce Bégout, Natalie Depraz, M. Mavridis et S. Nagaï, “Passivité et phénoménologie génétique” (L. Landgrebe, E. Holenstein, I. Yamaguchi, Nam-in Lee), in Alter. Revue de phénoménologie. No. 3, 1995, pp. 409–502; Alia Al-Saji, “The Site of Affect in Husserl’s Phenomenology. Sensations and the Constitution of the Lived Body”, in Philosophy Today, SPEP Publications 2000, Vol. 44, Chicago, DePaul University, pp. 51–59.
- 20.
Cf. Universale Teleologie, op. cit., traduction française, Téléologie universelle, op. cit.
- 21.
Brady Thomas Heiner, résume bien les choses, dans son introduction générale à un numéro spécial de Continental Philosophy Review, consacré justement à la corporéité, ou plus exactement à ce qui apparaît à l’heure actuelle comme “Recorporealization of cognition” dans la phénoménologie et les sciences cognitives: “How far Phenomenology has come from the methodoligical formalism and solipsism, the epistemological foundationalism and internalism, and the ontological Cartesianism of its initial phase. The RoC (Recorporealization of cognition), as a movement internal to phenomenology itself, destabilized this initial philosophical framework and – as we are only now beginning to fully appreciate – is expanding the horizons of phenomenological inquiry”. [“Guest Editor’s Introduction. The Recorporealization of Cognition in Phenomenology and Cognitive science”, Continental Philosophy Review, 41, Springer, 2008, pp. 115–126, notamment p. 124 (pour la citation)]. Voir également l’article de Mary Jeanne Larrabee, “Husserl’s Static and Genetic Phenomenology”, Man and World, 9, 2, 1976.
- 22.
Il s’agit bien sûr de la Critique de la faculté de juger, notamment la “critique de la faculté de juger téléologique”, de l’Anthropologie du point de vue pragmatique et de l’Opus postumum.
- 23.
Rappelons que c’est le fondement même de toute la philosophie d’Arthur Schopenhauer, qu’il développera principalement dans Le monde comme volonté et comme représentation, ouvrage dans lequel il considère que “l’essence la plus intime du monde” est quelque chose comme une “Volonté”; et il le découvre précisément dans l’expérience du corps, et grâce à elle. Mais cette “Volonté” est essentiellement “aveugle et irrationnelle”; le monde “intelligible”, le monde “en soi”, naguère, jadis “divin”, ou au moins, plutôt bien, devient alors, de ce fait, quelque chose qui n’a plus rien de “bien”, qui est vraiment “mauvais” et qui échappe à la raison: ce qui veut dire qu’il est totalement “absurde”! C’est la grande rupture avec toute la métaphysique traditionnelle, et l’un des commencements de la “mort de Dieu”, mais aussi, à propos de l’homme, l’ouverture d’un chantier qui aboutira à “la découverte de l’inconscient”. Schopenhauer a d’ailleurs été lu et par Freud et par Husserl. Rappelons également que, ironie de l’histoire, Franz Brentano, le père de la notion d’ “intentionnalité”, a été aussi le maître des deux. Ils ont décidément plus d’une chose en commun… (cf. aussi Jean-Claude Beaune (dir.) Phénoménologie et Psychanalyse. Etrange relations, Champ Vallon, 1998, et l’article très riche de Rudolf Bernet, “Inconscient et conscience: sur la nature de la pulsion, du désir, de la représentation et de l’affect”, in Jean Greisch et Ghislaine Florival (dir.), Création et évènement. Autour de Jean Ladrière. Louvain-Paris, Editions Peeters, Editions de l’Institut supérieur de philosophie, 1996, pp. 145–164).
- 24.
Nous nous permettrons ici de renvoyer à nos précédents articles “Nietzsche and the Future of Phenomenology”, in Tymieniecka A.-T. (ed.), Transcendentalism Overturned. Analecta Husserliana CVIII. Dordrecht, Springer, 2011, et “Le nihilisme et l’épuisement: Heidegger ou Nietzsche”, in Phénoménologies des sentiments corporels. Fatigue Lassitude Ennui. Paris, Le Cercle Herméneutique, “Anthropologie”, 2003.
- 25.
Quels sont donc les rapports entre la “pulsion” et l’ “intentionnalité pulsionnelle”? Vaste question qui, un jour, sans doute, aura son temps. Voir cependant l’article remarquable de Bruce Bégout, “Pulsion et intention. Husserl et l’intentionnalité pulsionnelle”, in J. -Ch. Goddard (ed.), La Pulsion. Paris, Vrin, 2006, ainsi que celui, tout aussi remarquable, de Rudolf Bernet, “Inconscient et conscience: sur la nature de la pulsion, du désir, de la représentation et de l’affect”, op. cit.
- 26.
Il faut dire que Husserl a été marqué par l’opposition entre “Sciences de l’Esprit” (Geisteswissenschaften) et “Sciences de la Nature” (Naturwissenschaften), à une époque où Dilthey et les néo-kantiens voulaient absolument démontrer la spécificité et l’autonomie des “Sciences de l’Esprit”. Mais il est clair que, même s’il tentera de surmonter cette dichotomie, il a d’abord fondé la “phénoménologie” par opposition ou comme réponse au “naturalisme” ambiant et dominant. C’était donc bien à l’origine comme une “science de l’esprit”, fière de son savoir et de son indépendance, vis-à-vis des sciences de la nature. D’où le caractère intriguant de cette étrange “science de la vie” ou “biologie”, qui apparaît en effet comme un intermédiaire entre les deux, étant à la fois “nature” et “esprit”. Ce qui n’est pas à vrai dire une contradiction, mais ce qui, en réalité, allait attirer l’attention de la postérité, et se révéler prometteur au plus haut point, notamment par rapport au monde la vie (Lebenswelt). Un article de Peter Reynaert apporte une belle synthèse à ce sujet, avec des idées claires et distinctes: “Husserl’s Phenomenology of the Animated Being, and the Critic of Naturalism”. On peut le consulter sur Internet: http://heraclite.ens.fr/~roy/GDR/Animatedbeing.
- 27.
“Téléologie universelle”, op. cit. p. 4.
- 28.
Ibid. p. 5.
- 29.
Idem.
- 30.
Voir notamment le livre de Jérôme de Gramont, Kant et la question de l’affectivité. Lecture de la troisième critique. Paris, Vrin, 1996, ainsi que: Eliane Escoubas et Laszlo Tengelyi (dir.) Affect et affectivité dans la philosophie moderne et la phénoménologie, Paris, L’Harmattan, 2008.
- 31.
Voir à ce sujet un livre suggestif de Karl Otto Appel: L’a priori du corps dans le problème de la connaissance, traduit par T. Simonelli, Paris, Cerf, 2005.
- 32.
Cf. nos précédents articles “Nietzsche and the Future of Phenomenology”, op. cit., et “Le nihilisme et l’épuisement: Heidegger ou Nietzsche”, op. cit.
- 33.
Cf. Le livre de Barbara Stiegler, Nietzsche et la biologie, Paris, PUF, Collection “Philosophes”, 2001. Ce livre, malgré tout son sérieux et toute sa rigueur, n’a pas toujours été bien accueilli parmi les spécialistes de Nietzsche, et pour cause: la lecture “biologisante” est restée dans les esprits, profondément liée à l’histoire “noire” du livre La volonté de puissance, qui n’est pas vraiment un livre de Nietzsche.
- 34.
Voir l’article de Wolfgang Müller-Lauter “Décadence artistique et décadence physiologique. Les dernières critiques de Nietzsche contre Richard Wagner.” in Revue philosophique de la France et de l’étranger, no. 3, 1998, pp. 275–292. Un certain malaise se dégage du texte à propos du “physiologique”, du “pathologique”, de la “décadence”, de l’ “épuisement” etc., à telle point que l’auteur semble vouloir trouver, comme il le dit lui-même, un “pendant au Nietzsche du physiologisme borné” (p. 288, note 1). Ce qui ne nous semble pas vraiment nécessaire, si l’on part du principe que ce “physiologique” est non seulement aussi “psychologique”, mais il est précisément ce qui allait hanter le XXème siècle, qui s’est senti obligé de penser radicalement l’Embodiment, la “corporéité” de l’esprit, de la raison et de tant de choses, et même de parler, entre autres, d’ “anthropologie physiologique” (F. J. Buytendijk, Viktor E. von Gebsattel ou Victor von Weiszäker). Tout cela n’était vraiment pas “borné”! Maurice Merleau-Ponty n’a cessé, de son côté, admirablement, de tenter de réunifier le “physiologique” et le “psychique”, tout au long de son œuvre, de La structure du comportement jusqu’à Le visible et l’invisible (en particulier dans La phénoménologie de la perception, op. cit. “Première partie: le corps”, pp. 80–232).
- 35.
Cf. le livre de Mazzino Montinari, La volonté de puissance n’existe pas, Paris, Éditions de l’Eclat, 1997.
- 36.
Rien que dans la Généalogie de la morale, nous pouvons observer qu’il n’ y a pas moins de neuf occurrences de “dépression”; c’est dans la troisième dissertation sur les “idéaux ascétiques”: pp. 155, 157, 160, 161, 162 (deux fois), 168, 170, 172.
- 37.
Parmi les plus grands lecteurs, Jean Granier, auteur d’une thèse mémorable et monumentale sur Nietzsche, dénonce par avance ceux qui seraient tentés, en prétendant suivre le philosophe, de réduire la philosophie à la psychologie, et la psychologie à la physiologie. Mais ce qu’il ne dit pas à vrai dire, c’est que Nietzsche a bien vu, avant le XXème siècle, qu’il ne s’agit pas là de réduire, mais de poser une question qui s’impose, si l’on cesse de croire aux “chimères incorporelles” et que l’on se rend compte, un peu à notre dépit, de l’importance de la “corporéité”, dans une pensée profonde de tout ce qui est de l’ordre de l’esprit. C’est précisément ce qui constituera le paradigme de l’Embodied Mind et de l’Embodied Meaning à la fin du siècle dernier, sans parler de tout l’héritage phénoménologique, qui participe activement aujourd’hui, avec les sciences de la vie et les sciences de l’esprit (embodied cognitives neurosciences), à la montée en puissance des idées de ce nouveau paradigme. C’est ce que nous allons voir par la suite. {Il s’agit de l’œuvre de Jean Granier, Le problème de la vérité dans la philosophie de Nietzsche. Paris, Seuil, 1966}.
- 38.
Cf. O. P. C. Fragments posthumes Tome XIV 25 [1]. Nietzsche emploie en réalité l’expression suivante: “la grande politique veut que la physiologie soit la reine de toutes les autres questions”.
- 39.
Généalogie de la morale, troisième dissertation, 16, p. 154.
- 40.
Cf. le remarquable article de Keith Ansell Pearson, “Incorporation and Individuation: On Nietzsche’s Use of Phenomenology of Life”, in Journal of the British Society of Phenomenology, Vol. 36, No. 1, 2007, pp. 61–89 (notamment p. 62).
- 41.
C’est sans doute l’une des grandes tâches que se donne Merleau-Ponty, et qui sera reprise par l’un de ces plus brillants disciples: Francisco J. Varela. Il s’agit surtout pour Varela de reprendre les travaux de La structure du comportement et de La phénoménologie de la perception, mais nous pouvons dire que c’est une tendance générale dans l’œuvre de Merleau-Ponty, qui bouscule ainsi toutes les oppositions traditionnelles comme “le sujet et l’objet”, “le transcendantal et l’empirique”, l’ “esprit et le corps” etc.
- 42.
Dans un article important, publié dans The Body and the Self, l’un des moments phares de l’histoire de la théorie de l’Embodiment, Marcel Kinsbourne tient à souligner à la fin que tout ce qu’il explique ici a déjà été dit en réalité par Nietzsche, il y a plus d’un siècle: “I am body entirely, and nothing beside”. Cf. “Awareness of One’s Own Body: An Attentional Theory of Its Nature, Development, and Brain Basis”, in Bermudez J. L., Marcel A., Eilan N. (eds.), The Body and the Self, Cambridge (Mass.) – London, The MIT Press, 1995, pp. 205–223 (voir pp. 205 et 217–218: 11. “The Self as Emerging from Backround Body Sensation”).
- 43.
Ce qui apparaît aujourd’hui dans de nombreux travaux, comme ceux, par exemple, de Dan Zahavi, de Shaun Gallagher ou de Hubert L. Dreyfus. Marc L. Johnson souligne par ailleurs le travail pionnier des grands fondateurs du pragmatisme américain: Charles Sanders Peirce (qui inspirera par ailleurs la Biosemiotics, comme nous allons le voir), William James et John Dewey. Voir également les projets de “naturalisation de la phénoménologie”, et tous ceux qui se réclame de l’œuvre de Francisco J. Varela, ainsi que les travaux de Natalie Depraz.
- 44.
Cf. Angelica Nuzzo, Ideal Embodiment. Kant’s Theory of Sensibility, Bloomington, Indiana University Press, 2008. Voir p. 200: “Kant establishes ontological and epistemological conditions that radically break with the modern paradigm of the mind/body dualism. His aim is to overcome such metaphysical dualism by proposing not only a new concept of rationality but also a new, broadly construed notion of human sensibility that includes Anschauung, Empfindung, Gefühl, Affekt/Affektion, and Einbildungskraft.”
- 45.
Cf. The Problem of Embodiment. Some Contributions to the Phenomenology of the Body, The Hague, Martinus Nijhoff, Phaenomenologica 17, 1964, 1971.
- 46.
Il faudrait distinguer en effet l’Embodiment, qui apparaît dans les neurosciences et les sciences cognitives depuis trois décennies, qui sera réexaminé et repris par des linguistes ou des philosophes comme Georges Lakkof et Marc L. Johnson, et l’Embodiment (Leiblichkeit) phénoménologique, qui est beaucoup plus ancien (cf. The Problem of Embodiment: Some Contributions to the Phenomenology of the Body, op. cit.) et qui n’a pas manqué d’influencer le “second” Embodiment à plusieurs reprises. On parlera alors du “retour” des sciences cognitives à la phénoménologie.
- 47.
Marc L. Johnson, The Bodily Basis of Meaning, Imagination and Reason, Chicago, The University of Chicago Press, 1987.
- 48.
A cette date, en 1987, Johnson se trouve en effet encore assez seul, sans Varela, sans Damasio, et sans références continentales importantes, c’est-à-dire sans l’embodiment de la phénoménologie, et sans les “embodied cognitive neurosciences” (seulement quelques références à l’herméneutique de Hans Georg Gadamer, et une critique virulente de Gotlob Frege): il s’agit encore de quelques pionniers plus ou moins solitaires, dans la philosophie anglo-saxonne. Parmi eux, Eugene Gendlin, qui avait déjà publié, il y a un demi siècle: Experiencing and the Creation of Meaning, Evanston, Northwestern University Press, 1962.
- 49.
Cf. L’Erreur de Descartes. La raison des émotions Paris, Odile Jacob, 1994–2010, p. I–II. Damasio explique, dans sa préface à la nouvelle édition (2005), qu’à part quelques grandes exceptions notables comme Charles Darwin, William James ou Sigmund Freud, qui ont mis l’accent sur l’importance de l’émotion et des affects, “les sciences de l’esprit et du cerveau s’étant épanouies aux XXème siècle, leur intérêt s’est porté ailleurs et les spécialités que l’on regroupe aujourd’hui sous le terme vague de neuro-sciences ont plutôt tourné le dos aux recherches sur les émotions”; on peut même dire que les “exceptions n’ont fait qu’accentuer l’oubli dans lequel l’émotion, en tant que sujet de recherche, était tombée. Le béhaviorisme, la révolution cognitiviste et les neurosciences computationnelles n’ont pas atténué cet oubli […] tel était, en gros, la situation lorsque l’Erreur de Descartes a été publié pour la première fois”, à la fin du siècle dernier, en 1994.
- 50.
Pour se repérer et mettre en perspective l’histoire de ce courant, nous pouvons considérer que la montée en puissance du paradigme de l’Embodiment a eu lieu principalement selon un les étapes suivantes: (1) Francisco J. Varela, Evan Thompson, Eleonor Roch, The Embodied Mind: Cognitive Science and Human Experience, Cambridge (Mass.), The MIT Press, 1991. (2) Antonio R. Damasio, Descartes’ Error. Emotion, Reason, and the Human Brain, New York, G. P. Putnam’s Sons, 1994. (3) José Louis Bermudez, Antonio Marcel, and Noami Eilan (ed.), The Body and the Self, Cambridge (Mass.), The MIT Press, 1995. (4) Andy Clark, Being There: Putting Brain, Body, and the World Together Again, Cambridge (Mass.), The MIT Press, 1997. (5) Antonio R. Damasio, The Feeling of What Happens: Body and Emotion in the Making of Consciousness, New York, Harcourt Brace, 1999. (6) Shaun Gallagher, How the Body Shapes the Mind, Oxford, Oxford University Press, 2005.
- 51.
The Embodied Mind: Cognitive science and Human Experience, op. cit.; traduction française, L’inscription corporelle de l’esprit. Sciences cognitives et expérience humaine, Paris, Seuil, 1993.
- 52.
Pour une vision globale, vingt ans après la publication de The Embodied Mind, cf. Enaction: Toward a new Paradigm in Cognitive sciences. Cambridge (Mass.), The MIT Press, 2010.
- 53.
Cette expression est même devenu le titre d’un livre de John Tombomino, dans lequel il reprend les idées de Nietzsche sur l’importance du corps, dans la pensée et dans l’histoire, et propose d’en tirer les conséquences sur le plan sociétal et politique: The Corporeal Turn. Passion, Necessity, Politics, Lanham, Roman and Littlefield Publishers, 2002. Voir aussi à ce sujet le travail très riche de Lorenzo Altieri (sa thèse de doctorat): Eidos et Pathos. Corporéité et signification entre phénoménologie et linguistique cognitive, Bucarest, Zeta Books, 2009.
- 54.
The Meaning of the Body. Aesthetics of Human understanding, Chicago, The University of Chicago Press, 2007.
- 55.
La linguistique cognitive est un courrant important de la linguistique contemporaine qui émerge à la fin des années 1970, et qui vient contredire la linguistique “officielle”, celle notamment de Noam Chomsky; mais ses auteurs critiquent en réalité toute la tradition formelle et analytique, celle qui, depuis Gotlob Frege ou Bertrand Russell se voue à la formalisation et l’analyse, et qui constitue le Linguistic turn au début du XXème siècle. Ce qu’elle oublie en revanche c’est l’importance cruciale du fondement “expérientiel”, ou de l’expérience vécue dans la constitution du langage et du sens. L’un des livres fondateurs de cette tradition fut celui de Georges Lakoff et Mark L. Johnson: Metaphors We Live By (Chicago, The University of Chicago Press, 1980, traduction française, Les métaphores dans la vie quotidienne, Paris, Edition de Minuit, 1985), qui aboutira, vingt ans plus tard, à leur travail philosophique monumental: Philosophy in the Flesh: The Embodied Mind and Its Challenge to the Western Thought. New York, Basic Books, 1999. Notons la reprise, dans l’intitulé de l’ouvrage, de l’expression “The Embodied Mind”, présente dans le titre du livre de Varela, en 1991. Ce qui, bien sûr, n’est pas dû au hasard, et montre l’affinité grandissante, qui apparaît ainsi, progressivement, entre tous ces auteurs.
- 56.
Cf. Metaphors We Live By, op. cit., traduction française, Les métaphores dans la vie quotidienne, op. cit. Egalement leur article: “Why Cognitive Linguistics Requires Embodied Realism”, in Cognitive Linguistics, 13, 3, 2002, pp. 245–263.
- 57.
Les métaphores dans la vie quotidienne, op. cit. p. 30.
- 58.
Voir surtout l’article de Vitorio Gallese et Georges Lakoff, qui a été souvent cité comme une référence: “The Brain Concepts: The Role of the Sensory-Motor System in Conceptual Knowledge”, in Cognitive Neuropsychology, 22, 2005, pp. 455–479. (Lakoff est le linguiste, et Gallese, le neuroscientifique qui avait travaillé, entre autres, sur les “neurones miroir”: [avec A. Goldman] “Mirror Neurons and the Simulation Theory of Mind-Reading”, Trends in Cognitive Science, 2, 1998, pp. 493–501). Pour les mathématiques, on peut lire aussi avec intérêt l’œuvre de Lakoff avec le mathématicien Rafaël Nuñez, Where Mathematics Comes From. How the Embodied Mind Brings Mathematics into Being, New York, Basic Books, 2000, ainsi que leur article: “The Cognitive Foundations of Mathematics: The Role of Conceptual Metaphor”, in Handbook of Mathematical Cognition, New York, Psychology Press, 2005, pp. 109–124; et les articles de Nuñez: “Do Real Numbers Really Move? Language, Thought, and Gesture: The Embodied Cognitive Foundations of Mathematics”, in R. Hersh (ed.), 18 Unconventional Essays on the Nature of Mathematics, New York, Springer, 2006, pp. 160–181; “Mathematicatics, the Ultimate Challenge to Embodiment: Truth and the Grounding of Axiomatic Systems”, in Paco Calvo and Antoni Gomila (ed.), Handbook of Cognitive Science: An Embodied Approach, Elsevier, Academic Press, 2008.
- 59.
Il y avait déjà une grande critique de Frege, dans Les métaphores dans la vie quotidienne, op. cit. pp. 211–212.
- 60.
Cf. Noam Chomsky, Language and Mind, traduction française par Claude Bourgois, Le langage et la pensée, Paris, Editions Payot & Rivages, 2012; Syntactic Structures, traduction française par Michel Braudeau, Structures syntaxiques, Paris Editions du Seuil, 1979. Comme le dit Chomsky lui-même, il s’agit d’une “linguistique cartésienne”.
- 61.
Cf. Rodney Brooks, “Intelligence Without Representation”, in Artificial Intelligence, vol. 47, 1991, pp. 139–160. C’est précisément là que se trouve la fameuse “déception” de l’intelligence artificielle. Il s’est avéré, en réalité, qu’au fond, avant de partir en quête d’une “intelligence”, on devait d’abord, auparavant, approfondir la problématique de la “vie artificielle”, car, un esprit sans corps s’avérait de plus en plus impossible. Voir Francisco J. Varela, Cognitive Science. A Cartography of Current Ideas, traduction française par Pierre Lavoie, Invitation aux sciences cognitives, Paris, Editions du Seuil, “Sciences” 1996. Nous pouvons lire p. v que le problème était justement “la tendance de l’IA (ainsi que du reste des sciences cognitives) à l’abstraction, pour élaborer les perceptions et les capacités motrices”. Mais “une tel abstraction ne peur saisir l’essence de l’intelligence cognitive, qui ne réside que dans son intégration corporelle”.
- 62.
Cf. Les métaphores dans la vie quotidienne, op. cit. p. 7. “Les théories de la signification qui étaient dominantes dans la philosophie et la linguistique occidentales étaient inadéquates, et […] le terme “signification”, dans cette tradition, n’avait rien à voir avec ce qui, dans la vie des hommes, leur apparaissait comme significatif”.
- 63.
The Meaning of the Body. Aesthetics of Human Understanding, op. cit. p. x.
- 64.
Ibid. p. xi.
- 65.
Idem.
- 66.
Ibid. p. 10. Voir aussi son très bel article sur Merleau-Ponty, dans lequel il développe également, à partir de l’œuvre du philosophe français, sa théorie du sens: “Merleau-Ponty’s Embodied Semantics – From Immanent Meaning, to Gesture, to Language”, in EurAmerica, Vol. 36, No. 1, March 2006, pp. 1–27.
- 67.
Ibid. p. 272. On peut dire que cette objection, contre “les théories objectives du sens”, dans l’histoire de la philosophie occidentale, est une constante dans son œuvre, et ce depuis la publication de Metaphors We Live By, en 1980: la linguistique cognitive a été même une des premières “insurrections” contre l’oubli des racines “expérientielles” du sens. Elle annonçait déjà le Corporeal Turn (“tournant corporel”) de la pensée contemporaine.
- 68.
Mais les allusions à Nietzsche restent malheureusement, extrêmement rares; ce qui montre que c’est un grand projet, encore à venir, vaste et prometteur, pour la pensée contemporaine, qui, sans faire exprès, sans le vouloir, lui donne raison, et de plus en plus. Elle le fait notamment face à Heidegger, qui malgré toute son importance, avait oublié le corps, et n’avait pas vraiment vu venir ce tournant majeur, ce qui allait être nommé “Corporeal turn”. On peut lire tout de même—ce qui est encourageant—dans The Meaning of the Body, p. 105: “The history of Western philosophy, from the early Presocratics to the present day, reveals a succesion of attempts to identify and describe these universal, eternal norms. Wether they are believed to come from the mind of God, from Nature, or from Universal Reason, their function is supposed to be that of providing us with an always-fixed mark by which to navigate our way through the ever-changing, ever flowing waters of our temporal existence. But Nietzsche […] and a host of subsequent thinkers have shown us that life is change and existence is an ongoing process. There is no eternal logic, no absolute form that could save us from grappling with change every moment of our lives. The logic we humans have is an embodied logic of inquiry, one that arises in experience and must be readjusted as situations change”.
- 69.
Cf. The Meaning of the Body. Aesthetics of Human Understanding, op.cit. p. 11–12.
- 70.
Il ne s’agit plus ici des Geisteswissenschaften de Wilhem Dilthey, mais bien de cette nouvelle vague des “embodied cognitive sciences”. Cf. en particulier: Handbook of Cognitive Science: An Embodied Approach, op. cit. Johnson écrit par ailleurs, dans son livre, The Meaning of the Body, p. 1: “For at least the past three decades, scholars and researchers in many disciplines have piled up arguments and evidence for the embodiment of mind and meaning. […] The best biology, psychology, cognitive neuroscience […] available today teach us that our human forms of experience, consciousness, thought, and communication would not exist without our brains, operating as an organic part of our functioning bodies, which, in turn, are actively engaged with the specific kinds of physical, social, and cultural environments that humans dwell in”.
- 71.
The Meaning of the Body. Aesthetics of Human Understanding, op. cit. p. xi.
- 72.
Ibid. p. 264: “analytic philosophy of mind and language”.
- 73.
Ibid p. x: “much contemporary philosophy focuses exclusively on abstract conceptual and propositional structure, leaving us with a very superficial and eviscerated view of mind, thought, and language, These philosophers have developed elaborate conceptual schemes for indentifying the so-called cognitive, structural, and formal aspects of experience, thought, and language, but they lack adequate philosophical resources to plumb the depths of the qualitative feeling dimensions of experience and meaning”. Et nous pouvons lire aussi page 9: “In the account of embodied meaning that I am developing […] I am using the term meaning in a broader sense than is typical in mainstream Anglo-American philosophy of language and mind. I seek to recover most of the resources for meaning-making that are ignored in the writings of influential philosophers such as Quine, Searle, Davidson, Fodor, Rorty, and many others”.
- 74.
Dès début de The Embodied Mind, il est question de l’œuvre et de la pensée de Maurice Merleau-Ponty, et c’est ce qui aboutira dans les dernières années, au projet de “naturalisation de la phénoménologie” (“The Naturalization of Phenomenology as the Transcendance of Nature”, in Alter. Revue de phénoménologie. No. 5, Paris ENS, 1997, pp. 355–381), ainsi qu’à une “neuro-phénoménologie” (cf. “Neurophenomenology: A Methodoligical Remedy for the Hard Problem”, in Journal of Consciousness Studies, 3, 1996, pp. 330–335). Voir aussi l’article très riche sur Kant, publié avec Andreas Weber, après la mort de Varela: “Life after Kant: Natural Purposes and the Autopoietic Foundations of Biological Individuality”, op. cit.
- 75.
Varela avait commencé ses recherches en Biologie au Chili, avant son doctorat à Harvard, avec ce grand biologiste; et il retournera dans son pays pour le rejoindre, après avoir fini sa thèse. Il travaillerons ensemble intensément, et avec beaucoup d’espoir, jusqu’au coup d’État de Pinochet, en 1973. A partir de cette date, il choisit le chemin de l’exil, et il ne reviendra au Chili qu’en 1985. Il s’installe finalement à Paris en 1986, et deviendra Directeur de recherches au CNRS en 1988. Il travaillera au CREA de l’Ecole polytechnique (fondé quelques années auparavant par Jean-Pierre Dupuy et Jean-Marie Domenach) et à l’Hôpital de la Salpêtrière jusqu’à sa mort en 2001.
- 76.
Varela s’est particulièrement intéressé à l’œuvre de Hans Jonas [notamment The Phenomenon of Life], qui apparaît encore dans l’ultime article sur Kant: “Life after Kant”, op. cit.
- 77.
L’inscription corporelle de l’esprit, op. cit. p. 17: “Notre voyage au cours de ce livre peut être vu comme le prolongement moderne d’un programme de recherche fondé il y a une génération par Maurice Merleau-Ponty”. Cf. aussi pp. 18, 19, 27, 28.
- 78.
Il s’agit du premier grand courant des sciences cognitives qui allait aboutir, entre autres, à l’intelligence artificielle… et à ces déceptions. On considérait l’esprit, dans cette perspective, comme un opérateur formel, autrement dit, comme un ordinateur, qui fonctionne grâce à une certaine “logique”, laquelle peut être modélisée, et donc reproduite, indépendamment du corps, dans une machine. Cf. Invitation aux sciences cognitives, op. cit. pp. 27–51 (notamment, p. 44–51: “L’enfant du cognitivisme: l’intelligence artificielle”).
- 79.
Voir à ce sujet le livre de Jean-Pierre Dupuy, Aux sources des sciences cognitives, Paris, La Découverte, 1994; et son “éclairage historique”, dans “Philosophie et sciences cognitives”, in Jean Petitot et al. (ed.) Naturaliser la Phénoménologie. Essais sur la phénoménologie et les sciences cognitives, Paris, CNRS éditions, 2002, pp. 697–723.
- 80.
Autopoiesis and Cognition: The Realization of the Living, Dordrecht, Kluwer Academic Publisher, “Boston Studies in the Philosophy of Science” 42, 1980, traduction française, Autonomie et connaissance: essai sur le vivant, Paris, Seuil, “La couleur des idées, 1989.
- 81.
Cf. “Patterns of Life: Interwining Identity and Cognition”, Brain and Cognition, 34, 1997, pp. 72–87: “An organism is fundamentally a process of constitution of an identity”.
- 82.
Cf. “Organism: Meshwork of Selfless Selves”, in Organism and the Origins of the Self, Dordrecht, Kluwer Academic Publisher, 1991, pp. 79–107.
- 83.
Pour une vision rétrospective globale voir en particulier l’introduction de Enaction. Toward a New Paradigm in Cognitive Science, op. cit. pp. vii–xvii.
- 84.
Varela explique bien les choses, de façon claire et synthétique, dans son livre Invitation aux sciences cognitives, op. cit. Mais on peut dire pour résumer que le “computationnisme” constitue la version pure et dure du cognitivisme; il est l’héritier direct de la première cybernétique, celle des fondateurs, dans les années 1940, 1950, comme Warren MacCulloch, et qui compte notamment parmi ses adeptes, Herbert Simon, Noam Chomsky et Jerry Fodor. Pour cette école, l’esprit fonctionne comme un ordinateur, sur le modèle de la fameuse “machine” d’Alain Turing, qui fut précisément l’un des pères de la cybernétique. Le “connexionnisme”, ou “émergentisme”, viendra plus tard, et cherchera à s’éloigner de ce modèle, pour profiter des avancées des neurosciences, et des sciences de la complexité, et se fonder de préférence sur l’idée de réseau intelligent, celui qui peut se constituer entre des neurones connectés entre eux: ces neurones interconnectés peuvent ainsi faire émerger un système intelligent, grâce aux lois de l’auto-organisation. La cognition, l’intelligence, serait alors la propriété émergente d’un tout qui est plus que la somme de ces parties. Varela considère qu’il s’agit là de deux approches, qui sont non pas tant erronées, mais plutôt superficielles, et trop théoriques, et qui sont loin d’épuiser ce qu’est réellement l’esprit humain. Il s’agira pour lui de réinsérer ou réinscrire l’esprit non seulement dans son contexte biologique, corporel ou charnel, mais aussi et surtout de revenir essentiellement à l’expérience vécue, en tant que telle, autrement dit, telle qu’elle est vécue par chacun, “à la première personne”. D’où l’importance du corps, et surtout du “témoignage” de la personne. Ce qui peut avoir des applications thérapeutiques, qui ressemblent beaucoup aux idées de la “psychologie” et de la “psychiatrie phénoménologiques”. [Varela y fait allusion, en évoquant Karl Jaspers et Ludwig Binswanger, au début de L’inscription corporelle de l’esprit, op. cit. p. 19, note 2]. Voir aussi notamment les travaux instructifs d’une des disciples de Varela, Claire Petitmengin: L’expérience intuitive, Paris L’Harmattan, 2001; “La neuro-phénoménologie: quels enjeux thérapeutiques ?”, présenté à l’Université du bouddhisme, 13–14 novembre 2010, sur le thème: “La guérison: le fruit d’une interaction entre le corps et l’esprit ?”; “Un exemple de recherche neuro-phénoménologique: l’anticipation des crises d’épilepsies”, in Intellecta, No. 40, 2005, pp. 63–89. Pour une liste plus complète, on peut consulter le site: http://claire.petitmengin.free.fr. Enfin, pour les conséquences ou l’impact des sciences cognitives et de leur conceptions, dans le domaine clinique, neurologique et psychiatrique: J. Vion-Dury, “Entre mécanisation et incarnation: réflexion sur les neurosciences fondamentales et cliniques”, in Revue de Neuropsychologie, Vol. 7, No. 4, 2007, pp. 293–361.
- 85.
Varela accorde énormément d’importance à cette question cruciale. Cf. The View from Within: First –person Methods in the Scientific Study of Consciousness, Exeter, Imprint Academic, 1999.
- 86.
L’inscription corporelle de l’esprit, op. cit. p. 235.
- 87.
Voir aussi la belle présentation générale, de l’œuvre et de la pensée du biologiste, par Paul-Victor Duquaire: “Introduction à la pensée de Francisco J. Varela. A partir de Autonomie et connaissance et L’inscription corporelle de l’esprit”, in Les Cahiers de l’ATP, juillet 2003, p.13.
- 88.
Evan Thompson, “Sensorimotor Subjectivity and the Enactive Approach to Experience”, in Phenomenology and the Cognitive Science, 4(4), 2005, pp. 407–427, p. 21, note 1.
- 89.
Voir les textes très riches de Enaction. Toward a New Paradigm in Cognitive Science, op. cit.
- 90.
“Sensorimotor Subjectivity and the Enactive Approach to Experience”, op. cit. p. 108.
- 91.
Voir l’article de Donald Favareau, “The Evolutionary History of Biosemiotics”, in Marcello Barbieri (ed.), Introduction to Biosemiotics. The New Biological Synthesis. Dordrecht, Springer, 2008.
- 92.
Cf. Marcello Barbieri, “Biosemiotics: A New Understanding of Life. Review”, Naturwissens-chaften, 95, 2008, pp. 577–597. Voir p. 596.
- 93.
Anton Markos avait même préféré au départ le terme Biohermeneutics, parce qu’il voulait se rapprocher de la philosophie herméneutique, tandis que Marcello Barbieri proposait l’expression semantic biology ou Biosemantics en faisant référence à l’idée de “science of biological semiosis”; mais il parviendront finalement à un accord autour du terme Biosemiotics. Cf. “Biosemiotis: A New Understanding of Life. Review” op. cit. p. 596.
- 94.
Cf. l’article de Jesper Hoffmeyer “Biosemiotics”, in P. Bouissac (ed.), Encyclopedia of Semiotics, New York, Oxford University Press, pp. 82–85.
- 95.
“The study of signs, of communication, and of information in living organism”. In Oxford Dictionary of Biochemistry and Molecular Biology, Oxford, Oxford University Press, 1997, p. 72.
- 96.
“Biology that interprets living systems as sign systems”. In C. Emmeche, K. Kull, F. Stjernfelt, Reading Hoffmeyer. Rethinking Biology, Tartu, Tartu University Press, 2002. p. 26.
- 97.
“The scientific studies of biosemiosis”. in Reading Hoffmeyer. Rethinking Biology, op. cit. p. 9.
- 98.
Cf. Jesper Hoffmeyer “Biosemiotics: Towards a New Synthesis in Biology?”, in European Journal for Semiotics Studies, 9(2), 1997, pp. 355–376.
- 99.
Cf. A. Sharov “From Cybernetics to Semiotics in Biology”, in Semiotica, 120(3/4), 1998, pp. 403–419. Voir pp. 404–405.
- 100.
Il s’agit de la International Society for Biosemiotics Studies, qui publie sur son site Internet des textes d’un grand intérêt, et informe régulièrement sur ces activités et ses conférences internationales: www.biosemiotics.org. Et nous pouvons lire à la page d’accueil: “the interdisciplinary research project of biosemiotics is attempting to re-open the dialogue across the life sciences – as well as between the life sciences and the humanities – regarding what, precisely, such ineliminable terms as “meaning” and “significance” might refer to the context of living, complex adaptive systems. […] Most fundamentally, the Society considers that one of its most important purposes is the promotion of a cross-disciplinary exchange of ideas between researchers who are actively studying any of the myriad forms of organismic sign use found throughout the natural and cultural world. ISBS thus welcomes the membership and collaboration of scholars from all relevant disciplines, including biology, philosophy, ethology, cognitive science, anthropology, and semiotics”.
- 101.
“Evolutionary Intentionality”, in Cf. E. Pessa, A. Montenanto and M.P. Penna (ed.), Proceedings from the Third European Conference on Science Systems, Rom 1–4 Oct. 1996, Rom, Edisioni Kappa, 1996, pp. 699–703. “The Natural History of Intentionality. A Biosemiotics Approach”, in T. Shilhab et al. (ed.), The Symbolic Species Evolved, Biosemiotics, 6, Springer, 2012, pp. 97–116: www.springerlink.com
- 102.
“The Natural History of Intentionality”, op.cit. pp. 97–105.
- 103.
Il faut dire cependant que ça n’a pas toujours été le cas: en effet, jusqu’aux années soixante la Biosemiotics était encore profondément divisée entre ceux qui avaient choisi le modèle de Saussure, avec son “signifiant” et son “signifié”, et ceux qui défendaient la validité du système peircien du signe “triadique”; mais progressivement, et surtout à partir des années 1990, grâce notamment aux efforts de Thomas Sebeok, le modèle de Peirce est adopté, et devient la référence pour la communauté des “biosémioticiens”. Cf. “Biosemiotics: A New Understanding of Life. Review” op. cit. pp. 494–595.
- 104.
“The Natural History of Intentionality”, op.cit. p. 101.
- 105.
Ibid. p. 107.
- 106.
Idem.
- 107.
Voir le même livre de Adam Christopher Konopka, An Introduction to Husserl’s Phenomenology of Umwelt op. cit. Pour Jacob von Uexküll, c’est une notion centrale, puisqu’il ira jusqu’à fonder, en 1926, un institut, un centre de recherche à l’Université de Hambourg, qui sera nommé Institut für Umweltforschung (Institut pour la recherche sur l’Umwelt (le milieu, l’environnement)). Il s’agit en réalité d’une véritable exploration du monde (Welt) propre à chaque organisme vivant, c’est-à-dire l’environnement tel qu’il est perçu, subjectivement, par chaque être vivant. Marqué par l’œuvre de Kant, c’est en 1909, qu’il introduit cette notion, dans un ouvrage intitulé Umwelt und Innenwelt der Tiere (Berlin, Springer, 1909). On peut dire aussi que la physiologie sensorielle, qui sera l’une des bases de ses travaux, lui permettra justement d’étudier, entre autres, l’ “espace subjectif” des animaux. Chaque “monde” sera ainsi considéré comme une “création” du système sensoriel ou perceptif et moteur de chaque animal. Dans chaque cas, nous aurons donc des “signes” différents, mais des signes quand même, qui viennent d’une “interprétation”, à chaque fois différente, qui constitue les “liens” et le “dialogue” qui se créent entre un organisme et son environnement. Voir par exemple: Kull Kalevi, “Jacob von Uexküll. An Introduction”, in Semiotica, 134 (1/4), 2001, pp. 1–59; Gudrun von Uexküll, Jacob von Uexküll – Seine Welt und seine Umwelt, Hamburg, Wegner, 1964; Thure von Uexküll, “The Sign Theory of Jacob von Uexküll”, in M. Krampen, K. Oehler, R. Posner, T. A. Sebeok (ed.), Classics of Semiotics, New York, Plenum Press, 1987, pp. 147–179.
- 108.
Cf. Geneviève Hébert, “Nietzsche, Malin Génie de l’herméneutique ?”, in Jean Greisch (dir.), Comprendre et Interpréter: le paradigme herméneutique de la raison, Paris, Beauchesne, “Philosophie” 15, 1993, pp. 311–341.
- 109.
“The Natural History of Intentionality”, op. cit. p. 103–104.
- 110.
“Evolutionary Intentionality”, op. cit. p. 701.
- 111.
Idem.
- 112.
Cf. nos articles: “Le nihilisme et l’épuisement: Heidegger et Nietzsche” op. cit.; “Nietzsche and the future of Phenomenology” op. cit.
- 113.
Evolutionary Intentionality, op. cit. p. 701.
- 114.
Ibid. p. 703.
- 115.
Cf. Ilya Prigogine and Isabelle Stengers, Order Out of Chaos. Man’s New Dialogue with Nature, Toronto, Bantam Books, 1984.
- 116.
“The Signifying Body. A Semiotic Concept of Embodiment”, Diagrammatology, pp. 257–273.
- 117.
Ibid. p. 271.
- 118.
Cette idée se trouve essentiellement dans un texte de Uexküll considéré plus ou moins comme le texte fondateur de la Biosémiotique; il s’agit de: Bedeutungslehre. – BIOS. Abhandlungen zur theoretischen Biologie und ihrer Geschichte 10, Leipzig, Barth, 1940; traduction anglaise: “The Theory of Meaning”, Semiotica, 42(1), 1982, pp. 25–82; traduction française “Théorie de la signification”, in Mondes animaux et Monde humain, Hambourg, Gonthier, 1956–1965, pp. 83–155. Voir à ce propos: “A Natural Symphony? To What Extent is Uexküll’s Bedeutunsglehere Actual for the Semiotics of our Time?”, Semiotica, 134 (1/4), 2001, pp. 79–102; on peut consulter également un numéro spécial, de la même revue, consacré à cette même “Théorie” (l’éditeur de ce numéro est son fils): Thure von Uexküll (ed.), “Jacob von Uexküll’s “The Theory of Meaning””, Semiotica, 42 (1), Special Issue, 1982.
- 119.
Voir aussi à ce sujet l’article de Roel Kerkhofs et Willem F. G. Haselager, “The Embodiment of Meaning”, in Manuscrito, 29(2), 2006, pp. 753–764.
- 120.
“The Signifying Body. A Semiotic Concept of Embodiment” op. cit. p. 270.
- 121.
C’est ce point précisément qui rapproche le plus la linguistique cognitive, l’Embodiment et la Biosémiotique, et leurs auteurs et leurs problématiques, de l’œuvre et de la pensée de Nietzsche… et ce n’est pas moins qu’une “révolution copernicienne”, qui va plus bien loin que celle de Kant, et nous mène au “paradigme herméneutique de la raison”, au “malin génie de l’herméneutique”, après nous avoir dit, au fond, la “mort de Dieu” et celle du “monde intelligible”, de la “vérité objective”, du “monde objectif”, de la “logique”, de la “grammaire”, et tout ce qui tourne autour depuis des siècles… et toutes ces “idées” n’étaient que d’admirables créations faites pour l’homme et par l’homme, pour défendre ses intérêts les plus profonds… Mais il faudrait pour cela, au moins, un autre article, si ce n’est beaucoup plus…
- 122.
“The Natural History of Intentionality”, op. cit. p. 105: “Biosemiotics is not a new version of vitalism”. (Il renvoie également à son article: “A Biosemiotic Approach to Health”, in S. Cowley, et al. (ed.) Signifying Bodies. Biosemiosis, Interactions, and Health, Braga, The Faculty of Philosophy, Portuguese Catholic University).
- 123.
Voir le très bel article de Andreas Weber, consacré aux liens entre l’œuvre de Cassirer, sa “philosophie des formes symboliques”, et les idées de l’ancêtre de la Biosémiotique, Jacob von Uexküll: “Mimesis and Metaphor: The Biosemiotic Generation of Meaning in Cassirer and Uexküll”, in Sign System Studies, 33, ½, 2004, pp.297–307. Il dit cependant dans une formule saisissante, p. 300: “What Cassirer is missing in his theory of man as an “animal symbolicum” precisely is the animal. For this reason he is interested in Uexküll. And it is here where a further biosemiotic deepening can make Cassirer’s already acclaimed philosophy still more important. We only have to follow the way he himself indicated: as Cassirer stresses, any critique of culture ultimately must be grounded on a critique of perception”.
- 124.
Cf. Shaun Gallagher, How the Body Shapes the Mind, op. cit.
- 125.
C’est l’idée, ou l’une des plus grandes idées, qui se dégage principalement du fameux livre de Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Mais nous avons été ravi de la voir aussi brillamment évoquée, à la fin d’un article consacré à Merleau-Ponty, l’Embodiment, l’écologie et… au capitalisme! Cf. John R. White, “Lived Body and Ecological Value Cognition”, in Suzanne L. Cataldi and William S. Hamrick (ed.) Merleau-Ponty and Environmental Philosophy, op. cit. pp. 177–189 (voir surtout pp. 184–187: “Lived Body and Capitalist Ethos”).
- 126.
Humain, trop humain I, Chapitre V, “Caractères de haute et basse civilisation”, § 285, « L’inquiétude moderne ».
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Zeifa, A. (2014). Meaning in the Forthcoming Sciences of Life: From Nietzsche and Husserl to Embodiment and Biosemiotics. In: Tymieniecka, AT. (eds) Phenomenology of Space and Time. Analecta Husserliana, vol 116. Springer, Cham. https://doi.org/10.1007/978-3-319-02015-0_27
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