1 Introduction

Carl Friedrich Gauss (1777–1855) ne fut pas seulement le prince des mathématiciens mais aussi un mathématicien appliqué avec ses travaux sur la méthode de moindres-carrés, la solution numérique de systèmes d’équations linéaires, la solution numérique d’intégrales, l’interpolation, la transformée de Fourier rapide (FFT), etc. Il fut un physicien mathématicien avec ses apports en astronomie, en géodésie et en géomagnétisme (Garland 1979; Sheynin 2001), mais aussi un expérimentateur talentueux. Dans ce travail, on s’intéresse à l’apport de Gauss sur le magnétisme terrestre. Il fut le premier à modéliser mathématiquement le champ magnétique à la surface de la terre, et à trouver des résultats numériques. Gauss commença à s’intéresser au champ magnétique dès 1803. On commentera les théories successives de l’attraction gravitationnelle qui bouleversèrent la physique mathématique et dont les méthodes influencèrent directement le modèle du potentiel magnétique.

2 Observations du champ magnétique terrestre et les instruments

En 1831, Wilhelm Weber rejoint l’université de Göttingen comme professeur. Il remplacera Tobias Meyer qui était décédé. Ce sera le début d’une fructueuse coopération avec Gauss. En 1832, Gauss commence ses recherches sur le magnétisme terrestre. L’initiative semble venir d’Alexander von Humboldt qui voulait intéresser Gauss à son projet d’établir une grille de stations d’observations magnétiques autour du globe terrestre (Bühler 1981; Dunnington 1955) pour observer et bien comprendre les lois de variation du champ magnétique. Aussi en 1836, von Humboldt écrivit au Président de la Royal Society à Londres pour proposer d’établir des observatoires magnétiques partout dans les dominions britanniques et la mission fut confiée au Major Sabine. En 1833, Gauss fit construire un observatoire magnétique très moderne, à Göttingen, à côté de l’observatoire astronomique. Il était aussi intéressé par les variations temporelles du champ magnétique. Comme instruments, il y avait les boussoles de déclinaison, d’inclinaison, et d’intensité. En 1833 aussi, Gauss publie sa nouvelle invention, un magnétomètre pour mesurer le champ magnétique terrestre (Garland 1979). Les données magnétiques étaient essentielles et nécessaires comme conditions aux frontières pour le modèle mathématique global de Gauss. Garland dira:

Écrivant en 1838, Gauss remarqua que pendant beaucoup d’années, il avait souhaité être tenté par l’analyse, mais qu’il était nécessaire pour lui d’attendre la publication d’observations suffisantes. (Garland 1979, p. 14).

Ce que fera Sabine en 1837. Il exista au cours des siècles, des explications bien fantaisistes du magnétisme terrestre. Christophe Colomb croyait que l’étoile polaire attirait l’aiguille aimantée. D’autres pensaient qu’il existait une montagne magnétique dans l’Arctique. William Gilbert bouleversa toutes les hypothèses précédentes en publiant en l’an 1600 De Magnete où il expliqua que la terre était un aimant gigantesque avec un pôle nord et un pôle sud. Gilbert fut un protégé de la reine Elisabeth I. Le modèle de Gauss de 1839 justifiera a posteriori les hypothèses de Gilbert.

3 La théorie du potentiel gravitationnel

Pour bien comprendre l’apport de Gauss dans le problème de conditions aux limites, il faut retracer d’abord les acquis de la théorie de la gravitation. Dans le livre Principia d’Isaac Newton, publié en 1687, les forces gravitationnelles considérées étaient les forces d’attraction entre deux points matériels. Si on dénote parμ 1 une masse située au point M 1 et par μ 2 la masse située au point M 2, la force d’attraction mutuelle est exprimée par:

$$ \overrightarrow{F}=\gamma \frac{\mu_1{\mu}_2}{r^2}\overrightarrow{e_r}, $$
(1)

r est la distance radiale entre M 1 etM 2, γ est une constante et \( \overrightarrow{e_r} \) est le vecteur unitaire indiquant la direction d’une masse à l’autre. Après, les observations de Pierre Louis Moreau de Maupertuis concernant la sphéricité de la terre en 1736, la théorie de la figure de la Terre devint un sujet de recherche fondamentale. Puis Alexis Clairaut publia son fameux livre sur La Figure de la Terre (Clairaut 1743). Pour lui, une telle étude sur la Terre serait une étape importante pour la compréhension du système du monde. Un objet, placé à un certain endroit à l’extérieur de la Terre est attiré par toutes les particules composant la Terre, chacune d’elles agissant selon sa position et simultanément avec plus ou moins de force selon sa distance. Clairaut alla si loin qu’il voulait considérer la terre comme composée de matière hétérogène. Les géomètres réalisèrent rapidement qu’il était difficile de travailler avec des forces vectorielles, et commencèrent à travailler avec les composantes individuelles. En 1738, Daniel Bernoulli introduit en mécanique des fluides le concept d’une fonction scalaire du potentiel (ascensis actualis et potentialis) d’où une force est dérivée, et en (1773), Joseph Louis Lagrange présenta la quantité scalaire Ω pour le problème d’un corps attiré par un système de masses ponctuelles (Burkhardt and Meyer 1900; Godard 2018):

$$ \Omega =\frac{m_1\mu }{r_1}+\frac{m_2\mu }{r_2}+..\dots =\frac{M}{\varDelta }+\frac{M^{\prime}}{\varDelta^{\prime}}+\frac{M^{\prime\prime}}{\varDelta^{\prime\prime}}+\dots, $$
(2)

r i ou Δ i (notation de Lagrange) sont les distances des points de masse m i de coordonnées (x i, y i, z i) au point de masse μ de coordonnées (a, b, c), et les M i (notation de Lagrange) sont m iμ. Avec une écriture plus moderne, on peut exprimer (2) comme:

$$ V\left(a,b,c\right)=\sum \limits_i\frac{m_i\mu }{\sqrt{{\left(a-{x}_i\right)}^2+{\left(b-{y}_i\right)}^2+{\left(c-{z}_i\right)}^2}}. $$
(3)

Rappelons que les mots fonction de potentiel V ne furent proposés que beaucoup plus tard par George Green dans son article de 1828 et en 1840 Gauss proposa tout simplement le mot potentiel. L’énorme avantage de travailler avec une fonction scalaire est que les différentes composantes s’additionnent simplement. La prochaine étape sera de généraliser la formule (3) en passant du cas discret au cas continu; ce que feront Laplace, Legendre, and Lagrange. Par exemple, en 1792–1793, Lagrange écrivit les phrases suivantes:

On sait que l’attraction d’un sphéroïde sur n’importe quel point dont la position dans l’espace est déterminée par les coordonnées a, b, c par rapport aux mêmes axes que les coordonnéesx, y, z, dépend de la formule:

$$ \int \frac{dxdydz}{\sqrt{{\left(a-x\right)}^2+{\left(b-y\right)}^2+{\left(c-z\right)}^2}}, $$
(4)

qu’on appelle V, l’intégration se faisant sur la masse entière du sphéroïde. De sorte que, dans cette quantité, V est vue comme une fonction de a, b, c… (Lagrange 1798).

Dans (4), la terre est supposée être un corps homogène et la masse est prise comme unité. Cette formule était déjà connue de Pierre-Simon Laplace et d’Adrien-Marie Legendre en 1782. Il était clair que le système de coordonnées cartésiennes n’était pas adapté à la symétrie du problème. Dès 1782, Legendre et Laplace travailleront en coordonnées sphériques qui étaient plus commodes. Ces deux articles de Legendre et Laplace écrits en 1782 forment la pierre d’angle pour l’attraction terrestre. Laplace montrera que l’intégrale de convolution (4) est la solution de l’équation de Laplace ∇2V = 0. Dans son article de 1782, publié en (1785), Laplace l’écrit directement en coordonnées sphériques sans explications! Ce n’est que dans le tome 1 du Traité de mécanique céleste (Laplace 1799, vol.1, pp.156–157) qu’il dérive l’équation de Laplace directement à partir de (4) en faisant des dérivations sous le signe ∫ en fonction de variables a, b, c. Laplace écrivit l’équation comme:

$$ \frac{ddV}{da^2}+\frac{ddV}{db^2}+\frac{ddV}{dc^2}=0. $$
(5)

Laplace supposa que (5) était définie à l’intérieur de la Terre comme à l’extérieur. Mais en 1813, Siméon Denis Poisson observa que (4) divergeait si le point (a, b, c) était situé à l’intérieur du sphéroïde et que dans ce cas, l’équation de Laplace devait être replacée par l’équation de Poisson:

$$ {\nabla}^2V+4\pi \rho =0. $$
(6)

Poisson supposa que la densité ρ à l’intérieur de la sphère était constante. Ce résultat fut étendu par Gauss en 1839 au cas où la densité ρ(x, y, z) était variable, pourvu que ρ(x, y, z) avait des dérivées premières ρ x, ρ y, ρ z uniformément bornées. Rappelons que l’opérateur de Laplace Δ ou ∇2 a lui-même son histoire. Fourier écrira DV = 0, tandis que Poisson et Green disent δV = 0, pour Murphy, c’est ΔV, Δ 2V pour Lamé, Δ 2V pour Betti et ∇2V pour Gibbs et Tait (Burkhardt and Meyer 1900, p. 468). Finalement l’équation de Laplace fut dérivée et étudiée pour la première fois non par Laplace, mais par Leonard Euler dans son papier Principes du mouvement des fluides, composé en 1752 (Kline 1972, p. 525).

3.1 L’article de Legendre en 1782

Cet article de Legendre sur l’attraction des sphéroïdes homogènes, écrit en 1782, publié en (1785), est bien connu (Kline 2, pp. 525–531; Todhunter 1873 vol. 2 chapitre XX). Il constitue le premier mémoire de Legendre sur l’attraction gravitationnelle. Après un exposé sur les travaux antérieurs de Colin MacLaurin sur l’attraction gravitationnelle d’ellipsoïdes intitulé Sur le flux et le reflux de la mer, et couronnés par l’Académie des Sciences en 1740, Legendre exprime le potentiel donné par (4) en coordonnées sphériques (1785, paragraphe 14):

$$\begin{array}{llll} V&=\int \frac{d\rho}{\sqrt{r^2+r{\prime}^2-2{rr}^{\prime}\cos \left(\gamma \right)}}\nonumber\\&=\frac{3\rho }{r}\left[\frac{\alpha_0{P}_0\left(\cos \theta \right)}{r^0}+\frac{\alpha_2{P}_2\left(\cos \theta \right)}{r^2}+\frac{\alpha_4{P}_4\left(\cos \theta \right)}{r^4}+\dots \right]. \end{array}$$
(7)

Ou plus exactement:

$$ V{\kern-1pt}={\kern-1pt}\frac{3\rho }{r}\left[\frac{1}{3}{\kern-1pt}+{\kern-1pt}\frac{\alpha }{5{r}^2}\left(\frac{3}{2}{\cos}^2\theta {\kern-1pt}-{\kern-1pt}\frac{1}{2}\right){\kern-1pt}+{\kern-1pt}\frac{\varsigma }{7{r}^4}\left(\frac{5.7}{2.4}{\cos}^4\theta {\kern-1pt}-{\kern-1pt}\frac{3.5}{2.4}2{\cos}^2\theta {\kern-1pt}+{\kern-1pt}\frac{1.3}{2.4}\right)+\dots \right]. $$
(8)

Ici, r est la distance du point attiré P(r, θ, 0), r ' est le rayon vecteur à n’importe quel point à l’intérieur du sphéroïde, et γ est l’angle entre les deux vecteurs. θ est l’angle entre le vecteur P et l’axe des z. C’est la colatitude. Legendre suppose une symétrie axiale, donc cela implique une Terre homogène. Il fut ainsi capable d’exprimer le potentiel en fonction des polynômes de Legendre de degré pair P 2n(cosθ) à cause de la symétrie du problème. Les α 0, α 2, α 4, … sont des constantes et ρ est la masse.

Legendre appellera le potentiel V, la quantité qui représente la somme des molécules du sphéroïde divisée chacune par sa distance au point attiré.

Dans un deuxième mémoire intitulé Recherches sur la figure des planètes, accepté en 1784 et publié en (1787), Legendre étudie les propriétés de ses polynômes, notamment les propriétés d’orthogonalité, déjà connues pour les fonctions trigonométriques (page 374):

$$ {\int}_{-1}^{+1}{P}_{2n}(x){P}_{2m}(x)=\left\{\begin{array}{l}0\kern1em \mathrm{si}\kern1em m\ne n\\ {}\frac{1}{4m+1}\kern1em \mathrm{si}\kern1em m=n\end{array}\right. $$
(9)

Dans un quatrième mémoire très fructueux, datant de l’année 1789 et publié en (1793), Legendre écrit ses sept premiers polynômes pairs et impairs (page 377); les propriétés d’orthogonalité (page 384) et l’équation aux différences ordinaires pour les polynômes de Legendre associés (page 427) à deux paramètres k et m:

$$ \frac{d\left(1- xx\right){dV}^{m,k}}{dx^2}-\frac{k^2}{1- xx}{V}^{m,k}+m\left(m+1\right){V}^{m,k}=0 $$
(10)

Il étudie aussi la solution de l’équation différentielle de Legendre (page 454) à un paramètre m:

$$ \frac{d\left(1- xx\right){dX}^m}{dx^2}+m\left(m+1\right){\mathrm{X}}^m=0 $$
(11)

3.2 L’article de Laplace en 1782 et le traité de mécanique céleste

En 1782, Laplace soumet son article Théorie des attractions des sphéroïdes et de la figure des planètes. Il fut publié en 1785. Cet article est son quatrième mémoire en la matière. Il choisit de solutionner directement l’équation de Laplace en coordonnées sphériques et il considère une Terre hétérogène (Laplace 1785, p.363). Laplace explique son raisonnement:

J’ai observé dans nos Mémoires pour l’année 1779, que les intégrales des équations linéaires aux différences partielles du second ordre n’étaient souvent possibles qu’au moyen d’intégrales définies, semblables à l’expression de V (Eq. 5); ainsi lorsqu’on a de semblables intégrales, il est facile, dans un grand nombre de cas, d’en tirer des équations aux différences partielles, dont la considération peut fournir des remarques intéressantes et faciliter la réduction des intégrales en séries.

Alors, Laplace choisit de faire le changement de variables cosθ = μ, et écrit directement:

$$ 0=\frac{\partial \left[\left(1-{\mu}^2\right)\frac{\partial V}{\partial \mu}\right]}{\partial \mu }+\frac{\frac{\partial^2V}{\partial {\phi}^2}}{1-{\mu}^2}+r\frac{\partial^2(rV)}{\partial {r}^2}. $$
(12)

Ce ne sera seulement que dans le tome 1 du Traité de mécanique céleste (1799, pp. 157–159) que Laplace fera explicitement le changement de coordonnées pour le passage des coordonnées cartésiennes en coordonnées sphériques. Il va utiliser la méthode de séparation des variables et choisit comme solution d’essai en remarquant que le potentiel doit diminuer si on s’éloigne de la terre:

$$ V\left(r,\theta, \phi \right)=\frac{U^{(0)}}{r}+\frac{U^{(1)}}{r^2}+\frac{U^{(2)}}{r^3}+\dots $$
(13)

U (i) = F (i)(θ, ϕ). Il faut alors substituer cette valeur d’essai de V dans l’équation différentielle partielle en éliminant la composante en r. Les fonctions U (i)seront appelées les harmoniques sphériques, ou fonctions de Laplace. Alors Laplace pose:

$$ 0=\frac{\partial \left[\left(1-{\mu}^2\right)\frac{\partial {U}^{(i)}}{\partial \mu}\right]}{\partial \mu }+\frac{\frac{\partial^2{U}^{(i)}}{\partial {\phi}^2}}{1-{\mu}^2}+i\left(i+1\right){U}^{(i)}. $$
(14)

Là il ne continue pas avec la méthode de séparation des variables pour étudier les composantes en μet en ϕ. Laplace prouvera les propriétés d’orthogonalité des harmoniques sphériques et le théorème suivant:

Si U (n)et U (m)sont deux solutions de l’équation différentielle (14):

On aura généralement ∫U (n)U (m)dμdϕ = 0où n et m sont deux nombres entiers positifs et différents entre eux, les intégrales étant prises depuis μ = 1 jusqu’à μ =  − 1,et depuis ϕ = 0à ϕ = 360o(Laplace 1785, p. 389).

Dans l’article de 1782, et le deuxième tome du Traité de mécanique céleste (Laplace 1799), Laplace calcule les deux premières solutions de (14). Il trouve que pour i = 0, la solution est une constante, et pour i = 1, sa solution est de la forme:

$$ H\mu +{H}^{\prime}\sqrt{1-{\mu}^2}\sin \phi +{H}^{\prime\prime}\sqrt{1-{\mu}^2}\cos \phi, $$
(15)

H, H ', H ''sont des constantes, soit un développement en polynômes de Legendre associés et de fonctions trigonométriques. On appelle maintenant les fonctions sphériques U n de Laplace, les fonctionsY n(θ, ϕ). Elles seront définies par Gauss (1839) comme:

$$ {Y}_n\left(\theta, \phi \right)=\sum \limits_{m=0}^n\left({a}_m\cos m\phi +{b}_m\sin m\phi \right){P}_n^m\left(\cos \theta \right), $$
(16)

où les a m et b m sont des constantes arbitraires.

Après Legendre et Laplace, on observe une pause mais il faut souligner les efforts de Poisson (1835) et de Lejeune-Dirichlet (1837) sur les harmoniques sphériques. Les deux s’intéressèrent à la représentation d’une fonction arbitraire f(θ, ϕ) comprise entre certaines limites, par une série de fonctions sphériques du type:

$$ f\left(\theta, \phi \right)={Y}_1+{Y}_2+\dots +{Y}_n+\dots, $$
(17)

et les propriétés de convergence. Selon Poisson, ce développement en série avait une grande importance en mécanique céleste, la théorie de la chaleur, et autres questions de physique mathématique et de mécanique. Les fonctions Y étaient obtenues à partir de produits scalaires entre la fonction f(θ, ϕ)et des polynômes de Legendre. Cependant les preuves de Poisson et de Lejeune-Dirichlet étaient très restrictives (Lambert 1904–1916). Ils travaillaient par analogie avec les séries trigonométriques, mais ils ne possédaient pas la définition correcte des fonctions Y n. Le chapitre VIII de (Poisson 1835) était intitulé: Suite de la digression sur la manière de représenter les fonctions arbitraires par des séries de quantités périodiques.

4 Carl Friedrich Gauss et le modèle du champ magnétique terrestre en 1839

Parallèlement aux progrès sur l’attraction gravitationnelle, les applications de l’analyse mathématique aux théories en électricité et en magnétisme avaient aussi avancé. Par exemple, entre 1811 et 1823, Poisson écrivit cinq mémoires notamment sur la théorie du magnétisme. Il eut aussi une forte influence sur George Green. En (1839), Gauss publia Allgemeine Theorie des Erdmagnetismus sur la modélisation mathématique du champ magnétique terrestre. Ce sera un article de physique mathématique ou mieux de géomagnétisme de 72 pages dans le volume V du Werke avec beaucoup de tables. Gauss va bénéficier de l’apport mathématique lié à la théorie gravitationnelle et donnera très peu d’explications sur les équations. Il ne donna aucune référence sur les mathématiques, mais par contre, il fit un bref historique sur les relevés magnétiques, notamment la carte de déclinaison d’Halley, le travail de Barlow, la carte d’inclinaison de Hansteen en 1780, etc. Dans son travail, Gauss suivit les hypothèses de William Gilbert que la terre est un aimant, que la surface de la Terre et l’extérieur ne contenaient aucune source de magnétisme et qu’alors le potentiel magnétique à la surface de la Terre et l’extérieur obéissait à l’équation de Laplace. Ce faisant, il travailla par analogie avec les forces d’attraction gravitationnelles et les lois de Charles-Augustin de Coulomb de 1787 sur l’électricité et le magnétisme. D’ailleurs Gauss ne s’intéressera qu’à la surface de la Terre et non à l’extérieur. Gauss devra alors résoudre l’équation de Laplace en coordonnées sphériques pour une surface terrestre hétérogène ayant la forme d’une sphère. Il aura besoin d’une carte magnétique comme condition aux limites à la surface de la Terre, d’où son grand soin pour prendre des observations magnétiques précises. Selon nous, le seul qui ait posé un problème aussi compliqué avant Gauss, fut Joseph Fourier en (1821–1822) dans son mémoire sur La Théorie du mouvement de la chaleur dans les corps solides. Fourier avait besoin de connaître la distribution de température à la surface du globe comme condition aux limites du problème de conduction de la chaleur. Malheureusement pour Gauss, le potentiel magnétique n’était pas une quantité observable. Seules les composantes du champ magnétique terrestre étaient mesurables. On préfère maintenant dire induction magnétique. Le modèle devient:

$$ {\nabla}^2V=0,\vspace*{-10pt} $$
(18)
$$ V\left(r\to +\infty \right)=0, $$
(19)
$$ \frac{\partial V}{\partial r}\left(a,\theta, \phi \right)=Z, $$
(20)
$$ \frac{1}{r}\frac{\partial V}{\partial \theta}\left(a,\theta, \phi \right)=X, $$
(21)
$$ -\frac{1}{r\sin \theta}\frac{\partial V}{\partial \phi}\left(a,\theta, \phi \right)=Y, $$
(22)
$$ V\left(r,\theta, \phi +2\pi \right)=V\left(r,\theta, \phi \right), $$
(23)

a est le rayon de la terre. Alors la déclinaison est donnée par D = arctan (Y/X); l’inclinaison sera I = arctan (Z/H) et l’intensité horizontale est \( H=\sqrt{X^2+{Y}^2}. \) Donc Gauss écrit l’équation pour les harmoniques sphériques (24), puis la formule pour obtenir les polynômes de Legendre associés \( {P}_n^m \)et directement la solution correcte sous la forme d’une série formée de fonctions trigonométriques et de polynômes de Legendre associés sans explications ni références:

$$\begin{array}{lll} {Y}^{(n)}&={g}^{n,0}{P}^{n,0}+\left({g}^{n,1}\cos \phi +{h}^{n,1}\sin \phi \right){P}^{n,1}\nonumber\\&+\left({g}^{n,2}\cos 2\phi +{h}^{n,2}\sin 2\phi \right){P}^{n,2}+\dots +\left({g}^{n,\mathrm{n}}\cos \kern0.1em n\phi +{h}^{n,\mathrm{n}}\sin \kern0.1em n\phi \right){P}^{n,\mathrm{n}}. \end{array}$$
(24)

L’équation (24) représente un progrès considérable par rapport aux travaux de Legendre et de Laplace du 18ième siècle. Les coefficients g et h seront appelés coefficients de Gauss. En notation moderne, on a pour la série complète du potentiel (Chapman and Bartels 1962; Thébault et al. 2015):

$$ V\left(r,\theta, \phi \right)=a\sum \limits_{n=0}^N{\left(\frac{a}{r}\right)}^{n+1}\sum \limits_{m=0}^n{P}_n^m\left(\theta \right)\left[{\mathrm{g}}_n^m\cos m\phi +{h}_n^m\sin m\phi \right], $$
(25)

où les coefficients de Gauss sont maintenant donnés en nanotesla, donc en unités du champ magnétique. Le potentiel V possède (N + 1)2 − 1 constantes. Gauss se limita à N = 4, soit 24 constantes pour les dérivées du potentiel. Gauss va innover pour le calcul des coefficients g et h. Il ne va pas essayer de les résoudre sous forme d’intégrales comme Poisson ou Lejeune-Dirichlet, mais par la méthode numérique des moindres-carrés. Il va rejeter aussi le calcul direct de (25) à partir des observations directes à cause des calculs prohibitifs. Gauss avait les observations de stations magnétiques réparties partout autour du globe terrestre. Il fallait par une méthode d’interpolation ramener les informations aux nœuds d’une grille θ = constante et ϕ = constante (Chapman and Bartels 1962, pp. 631–632, Barraclough 1978, pp. 5–6). Ce sera un des premiers exemples de tessellation! Il garda 12 points sur chaque cercle de latitude et selon 7 cercles de latitude soit 84 points au total. Puis Gauss décomposa son problème en travaillant d’après les colatitudes θ = constante et en faisant une analyse harmonique (Heideman et al. 1985) Il avait par exemple pour la composante X:

$$ X=\sum \limits_{n=1}^4\sum \limits_{m=0}^n\left({g}_n^m\cos m\phi +{h}_n^m\sin m\phi \right)\frac{{d P}_n^m}{d\theta}, $$
(26)

soit: \( X=\sum \limits_{m=0}^4\left({\alpha}_{mx}\cos m\phi +{\beta}_{mx}\sin m\phi \right)\!. \) Donc il y a 9 coefficients à estimer par cercle de latitude. Ceci était réparti sur 7 cercles de latitude soit 63 coefficients à déterminer au total. Comme il y devait faire les calculs pour les trois composantes du champ magnétique, cela faisait 63×3=189 coefficients α m, β m à trouver. La méthode de Gauss permettait cependant de faire des économies de calcul énormes. Par identification, il posa (Garland 1979, p. 15):

$$ \left\{\begin{array}{c}{\alpha}_{mx}\\ {}{\beta}_{mx}\end{array}\right\}=\sum \limits_{n=m}^4\left\{\begin{array}{c}{g}_n^m\\ {}{h}_n^m\end{array}\right\}\frac{{d P}_n^m\left(\theta \right)}{d\theta} $$
(27)

Il utilisa donc les 189 équations pour trouver les 24 coefficients de Gauss, qu’il appela éléments, par la méthode des moindres-carrés. Il utilisa probablement sa méthode itérative pour résoudre ce système d’équations (Chabert et al. 1993, pp.333–335). Nous avons vérifié les premiers coefficients et sur la Fig. 1, on montre leur variation temporelle de 1835 (Gauss) à 1940. On voit bien la variation temporelle et les résultats de Gauss de 1835 étaient précis. On semble avoir un artefact pour le coefficient \( {g}_1^1 \) ou g 11 pour l’année 1880. Comme la série donnée par (25) converge rapidement, le choix de quatre harmoniques était judicieux.

Fig. 1
figure 1

Variation temporelle des coefficients de Gauss de 1835 à 1940 (Chapman and Bartels 1962, p. 639; Thébault et al. 2015). Les coefficients sont en nanotesla

Sur les Figs. 2 et 3, nous avons reproduit sur ordinateur le modèle de Gauss avec les coefficients de 1835 pour la déclinaison et l’intensité totale. Ces cartes se comparent favorablement aux calculs modernes plus précis. Sur la Fig. 3, on voit que l’intensité augmente vers les pôles.

Fig. 2
figure 2

Déclinaison [en degrés] selon le modèle de Gauss pour 1835, degré et ordre 4. La carte correspond à une projection Mercator

Fig. 3
figure 3

Intensité du champ terrestre [en microtesla] selon le modèle de Gauss pour 1835, degré et ordre 4. La carte correspond à une projection Mercator

5 Après Gauss

En 1857, un professeur du nom de Plarr publia un article de deux pages et demi dans les Comptes Rendus. Le titre était Note sur une propriété commune aux séries dont le terme général dépend des fonctions P n de Legendre, ou des cosinus ou sinus des multiples de la variable. Plarr montra que si on veut minimiser l’erreur globale quadratique entre une fonction bornée, continue par morceaux et une série tronquée de polynômes de Legendre ou de polynômes trigonométriques, les coefficients associés, étaient automatiquement les coefficients de Fourier-Legendre ou les coefficients de Fourier. Le lien était ainsi établi entre les séries de Fourier-Legendre et les moindres-carrés. Ainsi, la méthode de Gauss pour trouver ses coefficients était justifiée. En fait Bessel en 1815, avait déjà établi cette propriété dans le cas discret pour des séries trigonométriques en minimisant la somme des carrés des différences entre les valeurs données par le calcul et celles fournies par l’observation (Esclangon 1904-1916). Pour trouver les coefficients g et h d’une façon simple et élégante mais peu utilisée, il suffit d’utiliser les propriétés d’orthogonalité des fonctions sphériques. On a ainsi les résultats suivants pour les produits scalaires des fonctions tesserales harmoniques, et les coefficients \( {g}_n^m \) et \( {h}_n^m \)selon les coordonnées sphériques (Chapman and Bartels 1962, pp. 610–612, Barraclough 1978, p. 15, Rexer and Hirt 2015):

$$ {\displaystyle \begin{array}{l}\frac{1}{4\pi}\underset{0}{\overset{\pi }{\int }}\underset{0}{\overset{2\pi }{\int }}{\left[{P}_n^m\left(\cos \theta \right)\cos \kern0.2em \mathrm{m}\phi \right]}^2\sin \theta d\phi d\theta =\frac{1}{2n+1},\\ {}\frac{1}{4\pi}\underset{0}{\overset{\pi }{\int }}\underset{0}{\overset{2\pi }{\int }}{\left[{P}_n^m\left(\cos \theta \right)\sin \kern0.1em \mathrm{m}\phi \right]}^2\sin \theta d\phi d\theta =\frac{1}{2n+1},\end{array}}\vspace*{-5pt} $$
(28)
$$ {\displaystyle \begin{array}{l}{g}_n^m=\frac{2n+1}{4\pi}\underset{0}{\overset{\pi }{\int }}\underset{0}{\overset{2\pi }{\int }}V\left(\mathrm{a},\theta, \phi \right){P}_n^m\left(\cos \theta \right)\cos m\phi \kern0.1em \sin \theta \kern0.1em d\phi d\theta, \\ {}{h}_n^m=\frac{2n+1}{4\pi}\underset{0}{\overset{\pi }{\int }}\underset{0}{\overset{2\pi }{\int }}V\left(\mathrm{a},\theta, \phi \right){P}_n^m\left(\cos \theta \right)\sin m\phi \kern0.2em \sin \theta d\phi d\theta .\end{array}} $$
(29)

En conclusion, le mémoire de Gauss en 1839, en utilisant les harmoniques sphériques a donné une forme mathématique aux hypothèses de Gilbert que le champ magnétique terrestre est d’origine interne, mais aussi il a fait progresser les méthodes en présentant les harmoniques sphériques sous forme d’une série composée de fonctions trigonométriques et polynômes de Legendre associés pour trouver les coefficients g et h. Ce faisant, Gauss a aussi contribué aussi à l’avancement des théories concernant la gravitation. Bien plus, Gauss a contribué à l’explosion des modèles géomagnétiques. Ainsi Barraclough (1978) a trouvé dans la littérature, 264 modèles d’harmoniques sphériques du champ géomagnétique.

Finalement, Kline (1972, pp. 522–531), dans son livre Mathematical thought from ancient to modern times, donna un long exposé des travaux de Legendre et de Laplace sur la théorie du potentiel sans mentionner les travaux de Gauss qui donna pourtant la solution définitive pour le magnétisme et la gravitation.